Dans le monde classique du travail, cette décision serait passée inaperçue. Elle n'aurait pas été annoncée sur les réseaux sociaux, n'aurait suscité aucun commentaire, aucune réaction, pas plus de félicitations que de critiques. Mais dans le milieu du rugby professionnel - et plus globalement du sport pro - voir un joueur prendre un congé paternité est une rareté. D'autant plus que ce congé a été allongé de onze à vingt-cinq jours en juillet dernier (sans compter les trois jours de naissance).
Le sujet devrait d'ailleurs être inscrit au programme de travail de la commission paritaire des acteurs sociaux du rugby professionnel : Provale (le syndicat des joueurs), l'UCPR (l'Union des clubs pros) et Tech XV (le syndicat des entraîneurs).
Au coeur de ce débat ovale, il y a un choix familial et personnel de Timoci Nagusa. Ancien ailier de Montpellier (auteur de plus de 80 essais avec le MHR), désormais à Grenoble (Pro D2), le Fidjien a indiqué sur Twitter la semaine dernière, quelques jours après la naissance de son deuxième enfant, qu'il prenait l'intégralité de son congé paternité. Une décision qu'il estime parfaitement naturelle et légitime, au regard de la loi mais aussi de sa situation, lui dont la soeur devait venir l'aider mais a été finalement retenue aux Fidji.
« J'ai une autre petite fille qui a 15 mois, explique-t-il. J'ai vu à quel point ça a été difficile pour ma femme après ce premier accouchement. Je me suis dit qu'en tant que père et mari, il était de ma responsabilité de l'aider. Elle en a besoin »
Timoci Nagusa
« J'ai une autre petite fille qui a 15 mois, explique-t-il. J'ai vu à quel point ça a été difficile pour ma femme après ce premier accouchement. Je me suis dit qu'en tant que père et mari, il était de ma responsabilité de l'aider. Elle en a besoin. C'est juste du bon sens. Je suis fier de ma décision parce que je peux être à ses côtés et je passe du temps avec mon enfant qui vient de naître, c'est magnifique. Mais c'est une décision personnelle. »
Nagusa indique aussi avoir eu l'impression « d'ouvrir une boîte de Pandore », tant son annonce a suscité des réactions. S'il n'avait pas conscience d'être un pionnier, il savait que son choix ne serait pas forcément compris. Parce qu'il n'est pas habituel et crée un précédent.
Aussi parce qu'il pose la question de la compatibilité de ce congé avec les responsabilités et le quotidien d'un joueur pro, dont on a l'habitude de dire qu'il a besoin d'un temps de préparation et de réathlétisation au moins équivalent à sa coupure avant de revenir à la compétition. Ce qui signifie une absence des terrains de deux mois pour un joueur qui n'avait pas encore disputé la moindre minute cette saison.
« Quand on est rugbyman pro, on a une vie déconnectée de la réalité, soulignait l'ancien ouvreur du LOU, Jonathan Wisniewski, la semaine dernière dans le Late Rugby Club de Canal+. On évolue dans un monde privilégié [...] donc ça me paraît compliqué de vouloir bénéficier des mêmes privilèges que ceux qui gagnent moins bien leur vie. »
Contactés, le FCG et l'UCPR n'ont pas souhaité commenter le choix de Nagusa. Du côté de Provale, on rappelle que le Fidjien a seulement fait valoir un droit. « De l'extérieur, on peut se dire que le joueur de rugby est bien payé, qu'il vit de sa passion, c'est vrai, note Mathieu Giudicelli, DG de Provale. Mais sa vie est aussi rythmée par les sacrifices. Il faut par ailleurs savoir qu'on est un sport très patriarcal, où l'on vit dans un groupe ; le groupe a besoin de nous pour jouer, il y a divers effets de bord de cette situation. »
« Comme je l'ai dit à mon coach, à mon président, à mon retour, je jouerai de bons matches parce que je serai bien dans ma tête, heureux »
Timoci Nagusa
« C'est dur pour Grenoble, je le comprends, nous sommes une équipe qui essaie de gagner des matches, de grandir, et nous avons actuellement des joueurs blessés, reconnaît Nagusa. Le club m'a demandé si je voyais l'opportunité de faire autrement, je comprenais qu'ils veulent me faire jouer. Mais ils doivent aussi comprendre que j'ai une responsabilité en tant que père, en tant que mari. Quant à mes coéquipiers, ils étaient surpris, ça n'avait jamais été fait, mais j'ai aussi eu droit à des félicitations. Comme je l'ai dit à mon coach, à mon président, à mon retour, je jouerai de bons matches parce que je serai bien dans ma tête, heureux. »
Le choix de l'ailier de 34 ans aura-t-il un impact sur la suite de sa carrière, lui qui arrivera en fin de contrat à Grenoble à l'issue de la saison et aimerait encore jouer deux ou trois années ? « Ma foi m'aide à garder confiance, assure-t-il. Je vis au jour le jour, sans m'inquiéter du lendemain. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Et puis je sais que je fais quelque chose de bien, de bon pour moi et ma famille. »