Hamza nous avait prévenus : « Kubiac ? Tout le monde le connaît ici et personne ne vous dira du mal de lui. Bien au contraire... » Kubiac, c'est le colosse de Parker Lewis ne perd jamais, série télévisée des années 90. Kubiac, c'est donc Mohamed Haouas, du Petit Bard. Le pilier de l'équipe de France est né au Havre, mais il a grandi dans ce quartier populaire et sensible à l'ouest de Montpellier, côté Pergola. « Il habitait cour Bel Air, sa mère et son frère sont toujours là-bas », montre du doigt Ghoubir, coach sportif, ami, comme Hamza, de « Momo » Haouas que nous avons traqué sur les chemins tortueux de son enfance.
Son opiniâtreté, cette force de caractère incroyable, viennent de là, « du quartier », mais, au fil du temps, des vicissitudes, des fréquentations surtout, elle s'est renforcée du besoin d'aller à sa propre rencontre. Mohamed Haouas a 27 ans. Il est père. Joueur professionnel de rugby. International. Le « quartier », inévitablement, a façonné une personnalité originale.
Pourquoi, d'ailleurs, cette insinuation d'Hamza en tout début de balade ? « Parce qu'on dépeint "Momo" comme un délinquant que le rugby a sauvé (Son procès pour des faits de cambriolage remontant à 2014 doit avoir lieu le 28 mai), répond cet éducateur, ce grand frère, alors qu'il n'est qu'un très bon gamin qui s'est retrouvé dans de mauvaises histoires par effet de groupe, et qui s'en est sorti par son éthique de travail et son goût de l'effort. »
« Je sais que certains pensent qu'il a changé depuis qu'il est en équipe de France, mais c'est le regard des autres qui a changé, pas Momo. »
La mère de Mohamed Haouas
Un très bon gamin alors, « un brave petit qui a toujours été très poli lorsqu'il venait acheter des croissants », révèle Mohamed, le gérant de la boulangerie El Hamdaoui, à deux pas de la cour Bel Air. Là-bas, à l'ombre des platanes, on découvre donc ses terrains de jeu, on devine les espaces dédiés au football, ceux réservés aux vélos et aux scooters, aux soirées interminables à défaire ou refaire le monde. On tombe par hasard sur Elyes, le petit frère de Mohamed, d'abord effarouché, puis heureux de se muer en témoin assisté. « On jouait tout le temps dans cette cour, on se lançait des défis, se remémore-t-il. Je suis assez rapide, nettement moins costaud que lui, mais il me battait quand même à la course. Il a toujours aimé le sport. »
À la fenêtre, la mère observe l'échange, smartphone collé à l'oreille. « Je suis justement avec Momo », rigole-t-elle. France-Galles débute dans quelques heures, le pilier des Bleus est dans les salons du Pullman Tour Eiffel. Une tour moins austère... Elle prend un moment pour nous saluer et susurrer sa « fierté immense », pour évoquer aussi « des jalousies que son parcours a suscitées ». « Je sais que certains pensent qu'il a changé depuis qu'il est en équipe de France, dit-elle, mais c'est le regard des autres qui a changé, pas Momo. Il a eu une chance, il l'a saisie. Il ne tient qu'aux autres d'en faire autant. »
Elyes se prend au jeu, poursuit avec nous le tour du territoire, heureux, maintenant, d'évoquer l'enfance de son grand frère, d'écouter tous ceux qui ont un avis sur « le nounours sur pattes », sur « Kubiac », sur « Momo ». Direction le terrain Rachid-Malla, où « Momo venait toujours s'entraîner ». « Il ne faut pas croire, rappelle Ghoubir, c'est d'abord un immense bosseur. Il était tout le temps ici, ou alors à faire du fractionné sur les escaliers du bâtiment du conseil général. »
Elyes nous apprend que son frère a d'abord tâté de l'athlétisme sans se souvenir de la spécialité, - « le demi-fond peut-être »-, puis du taekwondo au dojo de la rue Paul-Rimbaud (voir encadré).« Il n'a pas trop accroché, affirme sa mère. Alors que le rugby... »« Avant d'habiter au Petit Bard, dévoile Elyes, on vivait face au terrain de Palavas et on allait voir les matches. Il aimait vraiment ça. » C'est Abdel Khanfa, un éducateur vacataire d'Hérault Sport, qui l'a guidé vers le club de Montpellier. Il avait quinze ans. « S'il n'était pas allé vers le rugby, le rugby serait naturellement venu à lui, imagine le rappeur Mehdi Djabi, Illtoo de son nom de scène, que Hamza vient de joindre au téléphone et qui a envie de rendre hommage. Il est bâti pour ce jeu. Il est surtout un exemple de réussite pour nous tous, parce qu'il a été persévérant. »
Au MRC (Montpellier Rugby Club, ex-MHR), Frédéric Mathieu a accueilli Momo chez les minimes. « Je l'ai vu arriver par hasard, un mercredi après-midi, se souvient-il, un gamin un peu timide, avec beaucoup de caractère, une forte personnalité et, déjà, un potentiel physique au-dessus de la moyenne. D'ordinaire, on procédait à deux ou trois séances avant de proposer une licence, histoire de voir si le gamin avait du courage, s'il pouvait avancer au contact. Pour Momo, il n'y a pas eu besoin de trois séances. Sa technique n'était pas aussi aboutie que celles de ses camarades, mais il avait déjà un profil de joueur moderne, capable de franchir, de passer après contact. Et puis il n'avait peur de rien. De personne. »
« Je suis très fier de sa réussite, parce que ce n'était pas forcément gagné au départ »
Romuald Rozet, ancien patron de Haouas dans une carrosserie
Dans le quartier, tout le monde est d'accord avec ça. Mohamed Haouas est un costaud. Un vrai dur qui ne s'est jamais laissé intimider. Ça lui a joué des tours, sans doute. Mais il a usé de ce physique avantageux (1,85 m ; 127 kg), de l'effet de surprise, aussi quand il fallait répondre par la vitesse aux quolibets de ceux qui pensaient qu'avec sa taille et son poids il n'était qu'une brute. « J'ai chez moi une photo où il porte trois ou quatre gars en même temps sur ses épaules, rigole Hamza. Une autre où il soulève un scooter. En fait, il est une force de la nature. Mais je me souviens d'abord de ses qualités humaines. Il est d'une gentillesse incroyable. Prévenant. Bienveillant. Vous vous souvenez de la vidéo qu'il a faite à Marcoussis pour encourager le club de foot du Petit Bard ? C'est tout lui. Je suis le président de ce club de futsal et c'était avant un tournoi des moins de 11 ans en Suisse. Je peux vous garantir que les minots avaient du courage après ça. »
À dire vrai, personne, ici, ne connaissait le rugby avant l'éclosion de Mohamed Haouas. « J'ai joué à XIII pendant cinq ou six ans, nuance Omar, le propriétaire de RS Grillades en partageant un thé à la menthe, et j'ai souvent échangé avec Momo parce qu'ici, c'est vrai, c'est d'abord et avant tout le football. Mais il aimait ça, je le sentais, et je l'ai poussé à prendre confiance en lui. »« Pour être honnête, appuie Hamza, le rugby n'intéressait pas grand monde dans le quartier. C'est très différent aujourd'hui. Sans le couvre-feu, j'aurais même fait monter un écran géant pour suivre les matches du Tournoi. »
Romuald Rozet, lui, connaît bien ce sport. Le président du groupe CDR, un réseau de carrossiers autour de Montpellier, a accueilli Mohamed Haouas en apprentissage lorsqu'il avait 15 ans. « Il est resté trois ans chez nous et on n'a jamais coupé le fil, raconte-t-il. Il nous appelle tout le temps, il vient nous voir à la moindre occasion, il est très proche de nos jeunes, de mon fils Kévin. » Il évoque « un garçon très attachant avec de réelles aptitudes pour ce métier », au point qu'il voulait le garder en CDI après son CAP. « Il était assidu, toujours souriant, dit-il, un peu fou-fou aussi. Bien sûr, il ne fallait pas l'emmerder, ça pouvait parfois être chaud dans l'atelier. Mais il n'a jamais fait de mauvais coups ni créé le moindre problème. Je suis très fier de sa réussite, parce que ce n'était pas forcément gagné au départ. »
« Momo, ajoute Jérémie, l'un des peintres de la carrosserie entré en même temps que lui, il a la joie de vivre. Dans une soirée, c'est lui qui va mettre l'ambiance. À l'extérieur, les gens ne voient qu'un gars costaud, pas qu'il a la main sur le coeur. Si tu as besoin de lui, il est là. Toujours humble. S'il a un moment dans l'après-midi, il va passer à l'atelier avec des gâteaux pour tout le monde. Il a fait des conneries, c'est vrai, et c'est pour ça qu'il a un peu peur du regard des gens. Mais Momo, c'est tout sauf un mauvais gars. »
« Sa trajectoire, finalement, est un formidable message d'espoir »
Hamza, ami de Mohamed Haouas
Sélectionneur de l'équipe de France militaire de 2008 à 2015, Philippe Vergélady acquiesce volontiers. Haouas a intégré la Marine nationale l'année de ses 20 ans. « On l'a connu brut de chez brut, avec son élocution particulière, ses galères, son tempérament, se souvient-il. On l'avait mis à l'accueil du recrutement de la défense, mais il avait peur de répondre au téléphone. Il s'est alors occupé de nettoyer et ranger les véhicules. Les gars ne lui faisaient pas de cadeau. Je ne dis pas que l'on a contribué à le mettre sur le droit chemin, mais il a appris chez nous à rendre des comptes, la discipline, le respect. En échange, il nous a apporté sa joie de vivre, sa gentillesse. En tout cas, s'il y a bien quelqu'un qui a réussi en partant de tout en bas, c'est lui. »
Et cette réussite, il la partage volontiers avec les gens du rugby, ceux de la carrosserie, ceux de l'armée. Ceux du quartier évidemment. Tous l'ont aidé à se construire, à élaborer un cadre duquel il ne veut plus jamais sortir. « Kubiac, c'est un ambassadeur pour tous les jeunes de chez nous, avoue même Hamza, parce qu'il veut constamment attirer l'attention sur nos problématiques, et elles sont nombreuses. Sa trajectoire, finalement, est un formidable message d'espoir. »
Alors, comme le footballeur Téji Savanier à la cité Gély, son portrait ornera peut-être, un jour, l'un des murs du Petit Bard ou de la Pergola. « J'ai un pote graffeur, assure Hamza, alors pourquoi pas... Ce serait un bon moyen de montrer que le quartier peut être un bon incubateur de talents. »
Après, il faut mordre à la discipline. On venait de lancer le club, on n'était pas du tout tourné vers le haut niveau, simplement sur le développement de la structure. On lui a dit d'essayer tous les sports qui l'intéressaient parce qu'on savait qu'il pourrait percer à condition de consentir les efforts nécessaires. Le taekwondo demeure un sport amateur, on lui avait parlé de boxe anglaise, de rugby, des sports susceptibles d'entrouvrir une voie professionnelle.
C'était un gamin pas vraiment introverti, bon vivant, curieux. Je l'ai souvent croisé depuis, dans les maisons pour tous du quartier, et il est toujours assoiffé de connaissances, de partage. C'est aussi un jeune qui a besoin des autres. » P. P.