Glissée dans un communiqué dévoilant les décisions du comité directeur de la LNR, fin mars, la mesure était presque passée inaperçue. La Ligue y actait plusieurs évolutions sur le cahier des charges des centres de formation, dont « l'interdiction des compléments nutritionnels chez les joueurs de moins de 18 ans ». Une mesure prise sur proposition de la commission formation LNR-FFR qui n'entrera officiellement en vigueur qu'au 1er juillet 2020 pour des raisons administratives mais qui devrait être testée dès le début de la saison prochaine.
Président de la commission médicale de la Ligue, Bernard Dusfour militait de longue date en faveur de cette interdiction. Pour lui, la prise de compléments nutritionnels, loin de se réduire au périmètre du rugby ou même au monde sportif, est un « phénomène de société ». La proscrire chez les mineurs dans les centres de formations et académies de rugby aurait plusieurs vertus, et une portée symbolique certaine à une période où les dirigeants tricolores souhaitent encourager l'évitement au détriment de l'affrontement, notamment chez les jeunes.
« On ne veut plus voir appliquer chez les jeunes dans les centres de formation cette culture de la masse (musculaire), à laquelle les compléments nutritionnels sont associés, explique-t-il. On voit bien que dans les équipes de très haut niveau il y a une diminution de cette masse. On est plutôt dans la vitesse, la gestuelle, la technique. Ça fait des années que l'on dit ''attention aux compléments'', c'est pas forcément la panacée. Le jeune a besoin de faire de la proprioception, de la psychomotricité, de la vitesse, pas de soulever de la fonte ou prendre des compléments. Cette mesure est d'ailleurs très bien passée chez tout le monde, en comités directeurs, que ce soit à la LNR ou à la FFR, qui s'est engagée pour les pôles nationaux (contactée, la fédération n'a pas confirmé ni officialisé cette décision). »
« Le jeu a changé, on penche vers un rugby de mouvement » - Christian Rizzi, responsable du centre de formation de Grenoble
Dans les centres de formation aussi, on apprécie le message véhiculé à travers cette mesure. « Il y a eu cette vague de joueurs bodybuildés, cette course au poids, au muscle, mais le jeu a changé, on penche vers un rugby de mouvement, affirme Christian Rizzi, responsable du centre de formation de Grenoble. Dans mon centre, j'ai un retour sur moult morphologies, on y arrive, ça a mis du temps. Mes jeunes sont suivis par un diététicien qui leur transmet les carences qu'ils ont ou qu'ils n'ont pas, on leur martèle qu'ils n'ont besoin de rien d'autre qu'une alimentation saine et équilibrée. »
Couramment utilisés chez les seniors, les compléments nutritionnels ont fait leurs apparitions dans les centres de formation, alors même que les jeunes sont incités à ne pas en consommer. « Les compléments sont dans une période faste, reconnaît Jean-Luc Arnaud, directeur du centre de formation d'Agen. Moi, de temps, en temps, je vois des pots dans les chambres. Je dis aux joueurs que s'ils y ont recours, ces compléments doivent obligatoirement passer par le toubib. Mais avant d'en prendre, il faut d'abord s'alimenter correctement. Sauf qu'aujourd'hui, très peu de centres de formation ont la capacité de proposer des repas équilibrés trois fois par jour, parce que ça coûte très cher. »
Une mesure difficile à appliquerSi Bernard Dusfour ne veut surtout pas faire d'amalgame entre compléments nutritionnels - légaux et autorisés - et produits dopants, il estime que cette interdiction permet aussi aux jeunes joueurs de ne pas prendre de mauvaises habitudes. « C'est difficile d'interdire des produits autorisés par l'État, admet-il. Pour les mineurs, c'est différent, on a la responsabilité, on peut agir. C'est bien de commencer tôt, de leur dire que les compléments ne sont pas la solution. Si vous voulez être aussi vifs que les joueurs de Toulouse, ne gonflez pas trop. »
Reste une grande interrogation : comment appliquer concrètement cette interdiction ? Les directeurs des centres, qui auront la responsabilité d'appliquer cette mesure, sont dubitatifs. « Déjà, dans mon centre je leur interdis de fumer et de boire, j'essaie de faire au mieux pour contrôler mais je n'y arrive pas toujours, souligne Christian Rizzi. S'il y en a qui fument, ils le font en cachette. » « Contrôler les joueurs me semble quasi impossible, confirme Joan Caudullo, responsable du centre de formation du Stade Montois. C'est comme avec certains joueurs en surpoids, on essaie de leur expliquer comment manger équilibré, on déjeune ensemble mais le soir, quand ils sont en famille, on ne sait pas comment ils s'alimentent. » Et quels recours ils ont à des compléments nutritionnels.