Oui. J'avais un long temps de latence avant que le texte ne s'affiche mais c'est bon maintenant ça marche.
Voilà donc la suite. Désolé du coup c'est un peu dans le désordre.
Quelles images gardez-vous de la finale contre Toulon ?
Franck Azéma: Des images ? Un sentiment, plutôt. Quelque chose de puissant. Cette victoire, c’était comme une bombe qui explose. Il n’y avait rien de plus fort.
Jono Gibbes Moi, je revois les pénalités toulonnaises en fin de match. Ils poussent, ils poussent, se rapprochent, on les repousse. Les derniers instants d’une finale sont toujours les plus durs. Le cœur bat la chamade. Puis, c’est la libération.
Avez-vous eu peur, à cet instant-là du match ?
F. A._ Oui, mais je ne me suis pas dit qu’on allait le perdre. On s’envoyait tellement, sur le terrain…
J. G._ Plus les secondes passaient et plus je me rapprochais de la pelouse. Je leur hurlais : « Défendez le ballon porté ! Le sauteur à terre, tout de suite ! » On était dingue.
Quid du rassemblement du lendemain et des 50 000 personnes réunies sur la place de Jaude ?
J. G._ C’était énorme. Je n’avais jamais vu ça… Et pourtant, la connexion entre les supporters du Leinster et leurs joueurs est très particulière (Jono Gibbes a passé six ans à Dublin, de 2006 à 2014). Mais à Clermont, ça dépasse l’entendement. Sur notre terrain d’entraînement, il y a une pancarte qui dit : « La douleur est la base de la performance ». Fuck. La douleur, les supporters de Clermont-Ferrand l’ont connue plus que nul autre.
F. A._ On m’avait parlé de ce qu’avait été le rassemblement, après le titre de mai 2010. Mais je n’en avais pas pris conscience. Quand on parle de « peuple auvergnat », le mot n’est pas vain. Ici, ça dort, ça boit, ça mange rugby. Les Auvergnats se déplacent partout, défendent leur équipe, leurs joueurs. Ils sont très « vrais » dans leur relation au club. Les voir heureux était bon. Putain, oui, c’était bon !
Les manifestations de joie des supporters clermontois ont fait le bonheur des journaux, ces derniers jours. Des supporters ont même investi, nus, la piscine de Morgan Parra au lendemain du titre. Cela vous a-t-il choqué ?
J. G._ Pfff, ces mecs sont des idiots…
F. A._ C’est une violation de propriété privée et un manque de respect total. Ces choses-là ne devraient pas être relayées comme elles l’ont été. Franchement, ce n’est pas normal. J’espère qu’ils vont les choper et les secouer, un peu.
Jusque-là ?
F. A._ La nuit du titre, il y a des mecs qui ont écrit à la craie sur le trottoir d’Aurélien Rougerie : « Merci Roro ». Ça, c’est sympa. C’est cool, bon enfant. Concernant la piscine de Morgan, il n’y a rien de respectueux. Pour moi, ce sont des petits cons.
Vous semblez remonté…
F. A._ Imaginez que la compagne de Morgan soit chez elle, en train de dormir. Imaginez la situation de stress dans laquelle elle aurait pu être. Il ne faut pas banaliser ce genre de situation.
Jono, les fêtes jalonnant un titre regorgent toujours d’anecdotes. Laquelle vous a-t-elle le plus marqué, ces jours derniers ?
J. G._ Le voyage en train, au lendemain du titre, fut pour moi incroyable. Je revois nos mecs taper des pieds et chanter au wagon bar : « Clermont, chalalalalala… » Je revois aussi Rado (Ludovic Radosavljevic) vêtu du costume de contrôleur SNCF, demandant les tickets de voyage à ses camarades, sévissant quand ils n’avaient rien à lui présenter… C’était le train du bonheur… Vous savez, nous avions fait le même trajet il y a deux ans, après la finale perdue face au Stade français (12-6, le 13 juin 2015). L’ambiance était tout autre. On tirait tous la gueule, pour être clair…
F. A._ Pour moi, le titre, ce sont des sourires et des discussions que tu ne peux pas avoir pendant la saison. La bringue, c’est juste une parenthèse. Une belle parenthèse.
Franck, ce bouclier a-t-il plus de sens pour vous que celui acquis en 2009 avec Perpignan ?
F. A._ Je ne peux pas comparer. Chaque bouclier a son histoire. Quand tu gagnes un titre, c’est qu’il s’est forcément passé quelque chose de très fort et de très puissant dans un groupe. Alors, l’émotion reste la même. […] Il y a quelques mois, nous avons eu une discussion très sérieuse avec Jono (Gibbes). On s’était dit que nous venions de passer trois années magnifiques ensemble et qu’on ne pouvait pas se quitter autrement que sur un titre. Sincèrement, ça m’aurait fait chier de ne pas partager quelque chose avec ce mec-là.
J. G._ Moi, je crois que pour Franck, ce bouclier est plus fort que celui de 2009. Parce qu’il est le boss, cette année ! (rires)
Jono, si vous croisez la route de l’ASMCA la saison prochaine, en phases finales de Champions Cup. Que ciblerez-vous ?
J. G._Hmmm… Les touches ?
F. A._ Merde, c’est lui qui a fait les annonces… (rires)
J. G._ Je vais vous casser les c.., Frankie !
Quel était le plan de jeu contre Toulon, au soir de la finale de Top 14 ?
J. G._ Le rugby de Toulon est simple mais efficace…
F. A._ (il coupe) Ça fait des dégâts…
J. G._ Leurs gros-porteurs de balle mobilisaient deux de nos joueurs sur chaque action. Le replacement défensif devait donc être extrêmement rapide.
F. A._ Défendre contre Toulon demande une énergie folle. Tu manques deux plaquages et tu finis derrière la ligne. Ils ont une telle puissance, pfff… Et un sacré caractère… Au fil de la saison, j’ai l’impression que le vestiaire toulonnais a pris tout en mains. Leurs leaders doivent être sacrément solides pour avoir réussi à redresser la situation.
J. G._ Et Nonu, quel match… Et « Tao » (Romain Taofifenua), my god…
F. A._ Ce sont des tanks, ces mecs. C’est usant, à la longue.
J. G._ Quand Tao sort, je me dis que c’est une bonne nouvelle. Puis Gorgodze rentre. Là, je me dis : « Et merde… »
Vous disiez à l’instant que le rugby de haut niveau fait du dégât. Devient-il trop dangereux ?
J. G._ Il faut protéger les joueurs. Mais le rugby n’est ni violent, ni dangereux.
Vous avez été des joueurs de haut niveau. Franck, vous avez joué à Narbonne, Clermont-Ferrand et Perpignan. Jono, vous avez été All Black dans les années 2000. Pourriez-vous survivre dans le rugby actuel ?
F. A._ Non. Mais le temps de travail n’est plus le même. Ce temps de travail là te permet d’aller plus vite, plus fort, mais aussi de te protéger davantage.
De quelle manière ?
F. A._ L’important, c’est la récupération. Et si, en France, les joueurs sont aujourd’hui trop exposés, c’est que cette période de régénération n’est pas respectée. Il y a trop de matchs.
J. G._ Il a raison. Le calendrier est le nœud du problème.
Vous n’êtes donc pas favorable au Top 16, qui revient au goût du jour dans les dernières réunions de la Ligue…
J. G._ Non, surtout pas.
F. A._ Le Top 16, ce n’est pas possible. L’année dernière, nous avons eu à Clermont vingt-trois opérations chirurgicales. Les mecs sortaient d’une coupe du monde et n’avaient eu aucune préparation avant leur retour en Top 14. Ils étaient sur le fron tout le temps. Et vous voulez vraiment rajouter des dates ?
Qu’a-t-elle de spécial, cette jeune génération clermontoise ?
J. G._ Damian Penaud porte souvent un immonde short rose…
F. A._ Oui, c’est horrible… (rires)
Non, sérieusement.
F. A._ C’est la première génération de gars ayant vraiment abordé le rugby comme un métier. Ils ne font pas semblant. Ils bossent. Ils ont une approche technique, tactique et physique de leur profession. Le rugby a changé, les mentalités aussi. De mon temps, les jeunes restaient dans un coin du vestiaire et n’ouvraient jamais leur gueule. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les mômes s’impliquent, donnent leur avis, s’engagent. Cette semaine, je n’ai constaté aucun fossé générationnel dans l’équipe. À 4 heures du matin, Étienne Falgoux et Arthur Iturria chantaient bras dessus bras dessous avec Roro (Rougerie), Dato (Zirakashvili) et Parra.
A-t-il été difficile d’expliquer à des cadres tels Spedding ou Lapandry qu’ils ne démarreraient pas les matchs de phase finale ?
J. G._ Pour moi, non. Je ne suis que l’entraîneur adjoint. Le sale boulot revenait à Franck. (rires)
F. A._ C’était dur, oui. Parce qu’il y a beaucoup d’affect entre nous et les joueurs. J’essaie pour autant de rester le plus honnête possible. Mais ce n’est jamais facile. Vous savez, un joueur ne se considère champion que lorsqu’il est sur la feuille…
Quelles étaient les raisons de ces choix ?
J. G._ A ce moment-là de la saison, Raka nous apportait quelque chose de nouveau : de l’énergie, de l’audace…
F. A._ Il y a des mecs qui donnent beaucoup pendant trois ou quatre mois. Tu t’appuies sur eux, tu tires un peu sur la corde. Et puis dans cette même période, il y a des garçons qui sont blessés, qui jouent peu mais reviennent à un pic de forme à l’instant T.
Avez-vous déjà été mis à l’écart par un entraîneur ?
F. A._ Oui, à maintes reprises. Quand je suis monté en équipe première à Perpignan, j’étais très jeune. Notre coach se nommait alors Georges Costes. J’avais fait toute la fin de saison, nous étions qualifiés et prêt à affronter Béziers pour un derby très important. Et puis, je me suis retrouvé sur le banc de touche. J’avais 18 ans et je m’en souviens encore. Aujourd’hui, je peux donc donner la meilleure explication qui existe au joueur, tout en comprenant qu’il ne l’accepte pas. Mais mon devoir, c’est de légitimer le choix, les yeux dans les yeux.
Et vous, Jono ?
J. G._ Quand j’étais All Black, mes concurrents s’appelaient Jerry Collins et Jérôme Kaino. Croyez-moi, je connais très bien ce genre de situation… (rires)
De l’extérieur, vous avez donné l’impression de dédramatiser le contexte de cette finale en déclarant quelques heures avant le match : « Si on perd celle-là, ça va faire quoi ? Est-ce que ça va changer l’histoire de l’ASM ? Non. Perdre une finale ? On est déjà rodé ! » Étiezvous sincère ?
F. A._ Que vouliez-vous qu’il nous arrive ? Oui, bon, les gens auraient pu dire : « Azéma, il y en plein le c.., il doit dégager ». Mais ça fait partie des risques du métier. […] Je crois que ce titre a enlevé un poids considérable à cette équipe. La légende, les finales perdues, ce ne sont plus des choses qu’on pourra nous ressortir. Quand tu gagnes deux fois en sept ans, tu n’as plus rien d’un loser.
Dans la foulée de la défaite en finale de Champions Cup, un de vos joueurs nous confiait regretter que l’ASM n’eût pas, ce jour-là, montré son vrai visage. Êtes-vous d’accord avec ce constat ?
J. G._ Oui, un peu. La victoire qui a suivi, en demi-finale face au Racing (36-31), nous a d’ailleurs fait un bien fou. Parce qu’elle fut le fruit de notre personnalité, notre rythme, notre style de jeu.
F. A._ Au lendemain de la défaite contre les Sarries, tout le monde était d’accord pour dire que nous avions été énormes dans l’engagement et que nous étions ce jour-là tombés sur plus forts que nous. Mais nous n’avions pas été suffisamment costauds pour imposer ce que nous souhaitions faire. La leçon, elle était là et nous avons su la retenir. Si nous avons été champions de France, nous pouvons donc dire merci aux Saracens.
On raconte qu’il y a eu des mots forts échangés dans les vestiaires d’Edimbourg, après cette défaite en finale de Champions Cup. Vrai ?
F. A._ Oui. Mais c’est bon, ça. J’ai connu ce genre de réactions dans tous les vestiaires que j’ai fréquentés. Quand tu perds et que tu as bu des canons, des choses sortent. Ce n’est pas mauvais. Si tu fais semblant dans la vie d’un groupe, ça ne fonctionne pas. Les conflits font avancer. Il n’y a rien de pire qu’un truc plat, un truc qui ne dégage rien.