Le deuxième-ligne international revient pour la première fois sur sa suspension, après un doigt d'honneur à Agen, qui l'avait privé de tournée en Nouvelle-Zélande en juin.
De notre envoyé spécial Arnaud Requenna dans l'Equipe
CLERMONT-FERRAND - Une fin octobre tout en douceur. On retrouve Sébastien Vahaamahina en short et claquettes, à côté du stade Michelin. Le deuxième-ligne de Clermont est excellent en ce début de saison ; il l'explique par du repos et une longue préparation physique. Un repos forcé : un carton rouge reçu à Agen, le 28 avril après des coups échangés avec Corentin Braendlin et une sortie du terrain houleuse appuyée d'un doigt d'honneur. Trois semaines de suspension et «Vahaa» ne vit pas la Nouvelle-Zélande, terre de tournée des Bleus en juin. Il n'avait encore jamais reparlé de cette soirée qui le hante... Là, devant un café, il s'est lancé à fond lorsqu'on l'a questionné sur cette action dont il avait honte... Il a parlé de ce doigt, de ses douleurs. De ses conséquences aussi.
«Quelle est la chose que vous avez faite sur un terrain et dont vous avez honte ?
Ah ! Allez sur Internet, vous trouverez direct. Tapez "Sébastien Vahaamahina", la première chose qui sort, c'est ça : le carton rouge à Agen (le seul de sa carrière). J'ai honte.
Exclu et tancé par le public agenais en avril dernier lors de l'avant-dernière journée du Top 14, Sébastien Vahaamahina répond par ce majeur dressé. ( Document Canal+)
Du carton après une échauffourée, du doigt d'honneur en sortant du terrain ?
De tout. De toute l'action. Pour un joueur pro, international, ça ne se fait pas. J'ai honte d'avoir réagi comme ça en fait. Ce n'est pas dans mon tempérament de faire ça. Ça a été un moment particulier. Souvent, dans ce cas-là (quand il est conspué), je transforme la réaction en : il peut m'attendre derrière celui-là, je vais l'attraper. Mais je n'en fais rien, bien sûr. À Agen, quand je suis rentré dans le vestiaire, j'étais tout seul. Je me suis posé et me suis dit : qu'est-ce que je viens de faire ? j'ai tout bousillé : la fin de saison, la tournée avec l'équipe de France... Ce n'était même pas un comportement d'homme, ça. Montrer cette image, c'est très moche.
«Cette action (le doigt d'honneur) s'est située dans un moment vraiment particulier pour moi. C'était la semaine de l'anniversaire de mon père, puis celle de son décès la semaine suivante...»
Vous vous êtes excusé très rapidement via Twitter...
Oui, le soir même ; mais je n'en ai pas reparlé en public depuis. Cette action s'est située dans un moment vraiment particulier pour moi. C'était la semaine de l'anniversaire de mon père, puis celle de son décès (le 5 mai 2013) la semaine suivante... Le public d'Agen m'insultait, me faisait des doigts. Ah, vous voulez que je sois expulsé ? Voilà. Et j'ai pété les plombs, j'ai répondu. (Soupir.) J'ai de grandes mains, de grands doigts : on voit bien mon geste.
Ce doigt d'honneur, ça a été une explosion ?
Il y avait une accumulation, ça couvait quelque chose. Il y avait plein de trucs que je gardais en moi. C'est sorti parce que, peut-être, il fallait que ça sorte.
Comment a réagi votre femme, ancienne joueuse, qui vous accompagne de très près dans votre carrière ?
Cathie était triste. Elle a essayé de comprendre en fait pourquoi j'avais réagi comme ça. Quand je suis rentré, le samedi soir, puis le dimanche et le lundi, l'ambiance n'était pas top, on va dire. Elle avait honte pour moi car elle ne me connaît pas comme ça.
Vous vous êtes renfermé dans votre coquille ?
J'ai eu beaucoup de messages les jours suivants, je crois n'avoir répondu à personne. Si, j'ai fait une chose : j'ai appelé une sophrologue. J'en avais parlé avec Franck (Azema, manager de Clermont), qui ne m'a pas engueulé, mais m'a conseillé d'aller voir une sophrologue ; j'en ai parlé avec Cathie, aussi, qui pensait la même chose. Je l'ai vue plusieurs fois, régulièrement. Ça m'apporte beaucoup.
Pourquoi une sophrologue ?
Au début, je ne savais pas ce que c'était. Psy, sophrologue, j'ignorais la différence... J'ai cherché ce que c'était et me suis décidé à y aller Je connais mon problème et elle me donne les cartes qu'il faut. La première séance a été particulière, m'a beaucoup servi.
Vous n'avez rien dit, ce jour-là ?
Au contraire, j'ai sorti beaucoup de choses, ça m'a fait du bien.
Cela dit, vous parlez beaucoup plus qu'il y a quelques années...
Je sais. Je m'ouvre un peu plus, je peux dire les choses plus facilement. Quand je vois ce que j'ai fait en gardant tout pour moi, ça a mal fini (l'air désolé). Pour éviter d'avoir honte comme la dernière fois, je ne dois pas avoir peur de dire les choses.
«Pour cette Coupe du Monde, je vais essayer d'être un peu moins con lors des interviews. Être spontané, c'est une qualité... et un défaut.»
Vous vous retrouvez suspendu, vous manquez la tournée en Nouvelle-Zélande et vous êtes repris en équipe de France. Comme une évidence...
Je pense qu'ils me font confiance. Au stage à Marcoussis, en août, ils ne m'ont pas du tout parlé du carton rouge, mais qu'on avait fait un bon boulot physique à Clermont, pendant les huit semaines de préparation, après sept semaines de vacances. Du coup, j'ai confiance. Même s'il y a eu un petit moment de doute avant l'annonce de la liste.
Ah oui ? Parce qu'on parlait de Paul Willemse (finalement non retenu) en deuxième ligne ?
Non, pas ça. Mais je me demandais si j'allais y être car je n'étais pas à la tournée de juin. J'ai eu un moment de doute. (Il sourit.) Mais léger.
On est près et loin à la fois de la Coupe du monde au Japon 2019. En 2015, celle en Angleterre vous était passée sous le nez au dernier moment... (Il figurait parmi les cinq joueurs qui avaient quitté Marcoussis juste avant le départ pour le Mondial anglais.)
Pour celle-là, je vais essayer d'être un peu moins con lors des interviews. Être spontané, c'est une qualité... et un défaut. À l'époque, j'ai dit que je ne serais pas déçu si je n'étais pas sélectionné ? Je n'avais qu'une envie, à ce moment-là, c'était rentrer chez moi et revoir ma femme. On avait un problème personnel, mais je n'entrerai pas dans les détails. J'en avais parlé avec Philippe Saint-André, le sélectionneur.
Aujourd'hui, vous n'êtes plus le même joueur, vous n'êtes plus dans le même état d'esprit...
Oui. J'arrive à mieux répondre aux interviews. Et cette Coupe du monde, je veux la faire. En jouer deux ? Si je m'en sors bien, c'est possible. J'aimerais faire la Coupe du monde en France, en 2023.
Le replacement de votre coéquipier clermontois de deuxième-ligne à numéro 6 Arthur Iturria vous inspire-t-il ?
Franchement, Arthur est bon. 6, je l'ai fait en Écosse une fois (en 2014. Il était rentré à ce poste le match suivant contre l'Irlande) ; ça avait été une surprise pour moi. Et pas une réussite... Mais on a gagné, on va dire. Ce jour-là, j'ai fait un bon match de deuxième-ligne mais, pour un troisième-ligne, c'était insuffisant
On attend toujours de vous que vous bousculiez tout le monde...
Avant ça, il y a les rucks ! Souvent, on regarde le porteur du ballon. (Il s'anime.) Il fait de belles courses, de belles actions, mais si jamais le ballon est perdu dans le ruck d'avant, jamais il ne fera une belle course.
Mais vous possédez cette qualité de course pour porter le ballon...
Oui, mais il faut aller dans les rucks. Il ne faut pas se cacher. Le ruck, si tu n'y vas pas avec envie, tu ne feras rien du ballon.
Vous retrouvez les Bleus et Marcoussis. Quand on a fait match nul contre le Japon en novembre 2017, on doit avoir peur des Fidji (24 novembre) ?
Non. Ce match contre le Japon, on l'a entamé avec un sentiment de supériorité. Il ne fallait pas. Franchement, ça m'a fait bizarre. On est meilleurs que ça, mais on n'appuie pas assez. Quand on marque, qu'on prend les devants au score, on n'appuie pas assez. Quand tu vois ce que les meilleurs joueurs français font en club, ce n'est pas possible ! Mais je suis optimiste pour la suite, à commencer par cette tournée de novembre. On va prendre ces trois matches, puis voir pour le Tournoi. Et pareil ensuite.
Avez-vous regardé les matches des Bleus en Nouvelle-Zélande en juin ?
Le dernier. (Il sourit.) Avant, j'étais en vacances bricolages, sur le point de déménager, j'avais coupé avec le rugby. »