Article du Monde daté du 27 mai 2017
Un portarit intéressant du présidnet du Stade Rochelais
Avec Merling, le Stade rochelais à bon portPrésident atypique, il bâtit son club de rugby pas à pas et l'emmène en demi-finale du Top 14 vendredi 26 mai
Devant le port de La Rochelle, une statue de l'amiral Guy-Victor Duperré se dresse sur le quai du même nom. A ses pieds, la carrière du héros local, qui s'acheva sous les ors du ministère de la marine dans les années 1830, est résumée en trois mots gravés sur une plaque : " Mousse, capitaine, amiral ".
Une trajectoire dont les étapes font étrangement écho à celle de Vincent Merling au sein du Stade rochelais : " Joueur, éducateur, président ". A la tête du club de rugby de la cité maritime depuis 1991, ce qui en fait, à 67 ans, le plus ancien président en activité dans le Top 14, l'ancien troisième-ligne est aussi le seul à avoir porté le maillot de l'équipe première de son club, dans les années 1970.
Vincent Merling (prononcer " merlingue ") est un président atypique. D'abord, parce que la -lumière le dérange, ce qui détonne dans les hautes sphères de l'Ovalie d'aujourd'hui, devenues repères du tout-à-l'ego. " Un portrait de moi ? Oh non… ", fait-il sans malice avant de révéler, l'air de rien, sa conception du management : " Le registre du “moi, je” me gêne profondément. Mais si on en profite pour parler du club, du rugby, ça va. Et puis, je vous fais confiance… "
Atypique, Vincent Merling l'est ensuite parce qu'il ne cache pas son bonheur. Il est rare de croiser un président qui se revendique " un homme comblé ". " J'ai la chance d'avoir une vie telle que je me la suis souhaitée et construite ", explique-t-il tranquillement, installé dans une salle de réunion du siège social du Stade rochelais, avec vue sur l'antre Marcel-Deflandre, en plein -centre-ville.
Perçu comme un " has been "
" On est dans une époque de -“jamais contents”, donc c'est important de dire qu'on a le droit d'avoir le sourire et d'être heureux, avec humilité, dans un bonheur simple. Et les gens qui œuvrent pour le Stade rochelais ont le droit, et même le devoir, d'être fiers. Ils -peuvent se dire : “Oui, il y a quelque chose qu'on a réussi, en gardant notre identité et notre culture de club” ", martèle-t-il.
Plus habitués à faire l'ascenseur entre l'élite et la Pro D2, les Maritimes n'ont cessé de surprendre lors de l'exercice en cours, à tel point que leur première place, loin devant Clermont, Montpellier et Toulon, n'a plus étonné personne à l'issue de la phase -régulière du championnat. Des Toulonnais que les Rochelais retrouveront vendredi 26 mai au Stade Vélodrome de Marseille, pour la première demi-finale de Top 14 de leur histoire.
Avec le dixième budget prévisionnel au départ de la saison 2016-2017 (18,5 millions d'euros pour la section professionnelle), La Rochelle n'avait pourtant pas la tête du meilleur élève capable de finir invaincu à domicile (dix victoires, trois matchs nuls). " On avait Clermont dans le rétroviseur, c'était un truc de fou… ", s'enflamme Vincent Merling, qui peut esquiver le jeu médiatique mais difficilement les feux de la rampe. Car le succès de ce qui est désormais labellisé " modèle rochelais " porte forcément la marque de son président.
" Vincent a très longtemps été perçu comme un has beendans le milieu du rugby professionnel, comme un provincial un brin conservateur, raconte Pierre Venayre, 38 ans, directeur général du club, lui aussi ancien joueur du Stade rochelais (de 2001 à 2008). Sauf qu'aujourd'hui, avec les résultats du club, avec le stade qui grandit et un budget toujours équilibré, certains commencent à se dire qu'il avait plutôt un temps d'avance. "
En bon fils d'une cité auto-proclamée " belle et rebelle ", de tradition protestante et insoumise, Vincent Merling cultive discrètement sa différence et s'inscrit dans le long terme, en " bâtisseur ". " J'ai toujours dans la tête une stratégie, pour tout. J'ai besoin d'éclairer en pleins phares, jamais en veilleuses. Mon entreprise, je l'ai d'abord créée parce que j'aime construire ", raconte-t-il en évoquant Cafés Merling, société spécialisée dans la torréfaction et la distribution de café, née en 1979, lorsqu'il raccrochait les crampons, et qui compte aujourd'hui 500 salariés.
" C'est la même chose avec ma -famille, avec le club, tout ça ne forme qu'un pour moi, avec le tronc commun qu'est l'affectif, poursuit le Charentais. En fait, j'aime plus le club du Stade rochelais que le sport lui-même, même si le rugby en est un formidable. Pour moi, le club, avec les valeurs qu'il porte, est la priorité des priorités. C'est une passion dévorante. "
" Il doit avoir du sang jaune et noir dans les veines, confirme Pierre Venayre. Depuis que je suis là, il n'a probablement manqué qu'un ou deux matchs, et parce qu'il était à l'hôpital. Je ne connais pas beaucoup de présidents capables d'accompagner leur équipe pour un match de Pro D2 à Oyonnax en plein hiver. "
Le club n'a connu que trois entraîneurs en presque trente ans, Patrice Collazo prenant en 2011 la suite de Jean-Pierre Elissalde (1988-2003) et de Serge Milhas (2004-2011). " Quand le président m'a choisi, j'ai senti qu'il me remettait les clés de l'institution Stade rochelais. C'est une immense marque de confiance. Quand on a -quelqu'un comme ça en face, on n'a qu'une envie, c'est de tout donner ", assure l'entraîneur en chef des Jaune et Noir.
" Un jour je vais rendre ce club "
" Vincent saitfaire grandir une organisation humaine parce qu'il sait faire grandir les hommes, renchérit Pierre Venayre. C'est criant sur le choix de Patrice Collazo : on devait gérer une descente en Pro D2 et, dans ce cas, 99 % des présidents seraient allés chercher un entraîneur de renom pour rassurer les partenaires et jouer la carte sécurité. Mais on a décidé de prendre un Collazo, entraîneur des espoirs au Racing, et un Fabrice Ribey-rolles, entraîneur des espoirs à Clermont, en se disant que ces jeunes allaient vraiment faire progresser le club. "
A l'heure de récolter les fruits -issus d'une ambition tenace et discrète, Vincent Merling rejette toute pression négative : " On a construit ce qui nous arrive, donc je ne suis pas inquiet quant au -risque d'une crise de croissance. Et puis, je ne suis pas pressé d'être champion de France… même si j'en rêve. Pour moi, l'impatience n'existe pas. Elle peut exister pour l'entraîneur et les joueurs, pas pour le président, qui doit avoir une stratégie de club, pas une stratégie d'équipe. "
Alors qu'il fêtera ses 120 ans en 2018, le club investit aujourd'hui dans de nouvelles infrastructures : un stade en cours d'agrandissement, pour passer à 16 000 places et satisfaire les 11 700 abonnés, le nombre le plus élevé du Top 14, et la création d'un " centre de performance ", sorti de terre en à peine plus de six mois, qui va accueillir le secteur sportif du club dès l'été prochain.
Le Stade rochelais a une autre particularité : la répartition de son actionnariat. Vincent Merling n'est actionnaire qu'à hauteur de 5 %, comme cinq autres entreprises partenaires, laissant la part du lion à l'association sportive, qui détient 50 % des parts, les 20 % restants se répartissant entre des sociétaires individuels et d'autres PME locales. " Le club, il aurait pu l'acheter dix fois, mais il n'est pas dans une logique d'appropriation. Il veut que les partenaires et les abonnés puissent se le partager, que ça reste une aventure collective, un bien commun ", estime Pierre Venayre.
A l'heure d'aller poser pour la séance photo dans les travées d'un stade rincé par une pluie incessante, Vincent Merling, posture dégingandée qui rappelle le M. Hulot de Jacques Tati, ne dit pas autre chose : " Je sais qu'un jour, je vais le rendre, ce club. Et je devrai le rendre plus grand, plus fort, plus beau qu'il n'était lorsque je l'ai pris. Mais quand je dis “je”, c'est “nous” ". Nous le rendrons plus grand. "
Erwan Le Duc