Novès en veut terriblement à Bernard Laporte et Serge Simon, respectivement numéros 1 et 2 de la FFR. Parce qu'il estime que les dés étaient pipés, que ces deux-là ont tout fait pour en arriver à cette décision radicale qui l'a envoyé à pôle Emploi pour la première fois de sa vie. Il attend désormais que le conseil des prud'hommes, qui devrait rendre son verdict courant février, lui octroie les indemnités qu'il réclame et réhabilite son honneur bafoué. La procédure risque d'être longue ? Pas grave, il attendra. « J'ai signé au Stade Toulousain en 1975, et décroché mon premier titre de champion de France en 1985, dix ans après,rappelait-il récemment dans le Parisien. La patience, je sais ce que c'est. Je suis programmé pour une cible à atteindre. »
En mai dernier, Guy Novès avait rendez-vous au conseil de prud'hommes de Toulouse, pour une audience de conciliation avec la FFR. Aucun accord n'a été trouvé. (V.Chapuis/La DDM)
Il ne lâchera pas. Quitte à passer à côté de possibles rebonds. Courant 2018, l'ancien manager général des Rouge et Noir, soixante-quatre ans, a ainsi refusé des offres du Stade Français, de Brive. Il a même rencontré des hauts dirigeants de la Fédération française d'athlétisme pour intégrer un programme d'accompagnement de la haute performance jusqu'en 2024. Sans lendemain.« Quand il a eu ces propositions, il était encore sous le choc de son éviction violente, témoigne son ami Claude Hélias, ancien président du conseil de surveillance du Stade Toulousain. Il avait surtout la tête à monter un dossier en béton avec son avocat et sa fille (Julie, elle-même avocate) pour se donner les meilleures chances de gagner son procès. Il m'avait alors dit : "Comment veux-tu que je relève un nouveau challenge alors que je suis à 100 % impliqué dans cette histoire avec la Fédé ? Ça ne serait pas honnête vis-à-vis de dirigeants qui m'accorderaient toute leur confiance." Après, quand tout sera terminé, je le crois capable de reprendre une équipe. Je sens bien que ça le démange, parce que c'est le sel de sa vie. Aujourd'hui, je le trouve plus serein. Il profite de sa famille, fait du vélo, chasse. » Il assistera même dimanche, pour la première fois depuis qu'il n'est plus sélectionneur, à un match du Stade Toulousain, contre Toulon, au Stadium.
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C'est le nombre de matches du XV de France dirigés par Guy Novès. Avec seulement 7 victoires.
Les premiers échanges entre les deux clans sont glaciaux mais entretiennent l'illusion d'une cohabitation possible. En place à Marcoussis, Laporte comprend vite que limoger Guy Novès aurait un impact négatif sur le début de son mandat. L'entraîneur est populaire auprès du public rugby et de l'électorat fédéral. Par ailleurs, le quinze de France sort d'un mois de novembre 2016 avec deux défaites contre l'Australie (23-25) et la Nouvelle-Zélande (19-24), dont le contenu accrédite plutôt l'idée d'un progrès.
« S'ils veulent nous virer, qu'ils le fassent mais on ne leur fera pas ce plaisir », Guy Novès
À l'approche du Tournoi 2017, l'ambiance se rafraîchit en interne. Le chef resserre les rangs et fait passer le message à son staff qu'il est hors de question de démissionner, sur le thème : « S'ils veulent nous virer, qu'ils le fassent mais on ne leur fera pas ce plaisir. » Le sélectionneur sent monter l'ingérence de sa hiérarchie. Serge Simon, nommé manager des équipes de France, impose peu à peu sa présence. À des consignes claires de l'entraîneur en chef des Bleus, le vice-président de la FFR donne ses propres contre-ordres.
Pendant l'épisode de la fusion avortée entre le Stade Français et le Racing (mars 2017), Novès refuse à des joueurs parisiens d'aller à Jean-Bouin après l'entraînement, à quatre jours d'un match capital contre les Gallois, pour participer à une manifestation antifusion. Simon passe au-dessus et libère les joueurs. Ceux-là seront sanctionnés à leur retour. Le vernis craque définitivement avant ce dernier match des Six Nations, quand Simon veut faire porter à l'équipe de France des brassards roses en soutien au Stade Français. Après avoir essuyé un refus de Guilhem Guirado, le bras droit de Laporte affirme pourtant au staff que c'est un souhait du capitaine. Ce dernier dément formellement.
Malgré tout, Simon revient à la charge et un carton de brassards est livré le jour du match par l'intendant du quinze de France, Hervé Didelot, dans ses petits souliers. Novès menace de ne pas faire la causerie d'avant match si ses hommes sont contraints de les porter.
Suite à cet épisode, la fonction de Simon n'est pas remise en cause. En revanche, sa légitimité, lui qui n'a jamais entraîné à un tel niveau, est clairement la cible de la défiance de l'encadrement technique et des joueurs qui commencent à deviner des intentions inavouables. Mais, encore une fois, le bilan sportif du Tournoi (3e) ne justifierait pas de faire sauter le staff.
Dans le même temps, se prépare la tournée en Afrique du Sud et trois tests qui dessineront les contours du divorce à venir. La Fédé, qui veut porter la bonne parole ovale outre-mer programme une halte à la Réunion et Mayotte, scindant le groupe France en deux pour des événements de promotion et autres entraînements publics. Novès témoigne de sa réticence, mais ne s'oppose pas au voyage. Il aurait dû. Certains cadres, notamment Yoann Maestri, arrivent en Afrique du Sud malades. Cette halte dans les îles résonnera encore différemment quand le staff apprendra que Serge Simon a des intérêts personnels à Mayotte (actionnaire d'une chaîne de télévision).
Le premier test face aux Springboks est un naufrage (37-14) et marque un virage très net dans l'attitude des huiles fédérales vis-à-vis de Novès et ses hommes. À l'issue de la rencontre, Simon prend la parole pour la première fois dans le vestiaire, juste après Novès, démarche insupportable pour l'ancien manager du Stade Toulousain. Le dirigeant rappelle les joueurs à leur statut de l'équipe de France de rugby. Il parle du non-respect au maillot porté, de trahison des valeurs, mais aussi du jeu proposé : nul et individualiste. Dans un coin de la pièce, Novès est blême.
Dans la semaine qui suit ce premier test, Simon insistera sur le défaut d'agressivité. Il invitera certains garçons à écouter ses bons conseils de l'époque béglaise et le recours à une violence calculée pour faire mal sans se faire prendre. On hallucine à tous les étages de l'hôtel de Durban. Pris entre le marteau et l'enclume, certains Bleus témoignent alors d'une ambiance délétère. Cinq jours après le fiasco inaugural, dans nos colonnes, Bernard Laporte fait une interview où il place ces mêmes joueurs face à leur responsabilité. Un entretien perçu comme un premier clou dans le cercueil de l'encadrement en place. Devant l'équipe, Laporte tient d'autres propos : il dit comprendre la difficulté de ces voyages de juin qu'il a connus en tant que sélectionneur (2000-2007).
Il confirme même Novès dans ses fonctions jusqu'à la fin de la Coupe du monde au Japon. Avec trois défaites, la tournée reste un désastre sportif et humain. Au cours du séjour, Simon en profite pour élaborer avec Julien Deloire la préparation physique des joueurs protégés par la convention FFR-LNR. Un programme qui exclut les internationaux des groupes de travail de leurs coéquipiers au sein de leur club. Une stratégie vouée à l'échec parce qu'elle conduit à un nouveau bras de fer avec les clubs alors que la guerre entre les instances fait rage. Novès, lui, refuse d'entrer en confrontation avec les clubs malgré la pression de sa hiérarchie.
Avec Serge Simon en juin 2017, en Afrique du Sud. Avec trois défaites en trois matches, la tournée s'avère désastreuse pour les Bleus. Et pour Novès. (A.Mounic/L'Equipe)
Le premier test est perdu face aux All Blacks (18-38), le second contre la réserve néo-zélandaise aussi mais de peu (23-28). En revanche, il a créé une fracture au sein du groupe France. Le contingent lyonnais, pris en main par deux adjoints (Bastide et Béderède) s'est senti abandonné par le staff principal, qui s'attachait à préparer la réception de l'Afrique du Sud. Yoann Maestri, en colère, le déclare ouvertement en interview. En filigrane, c'est à Guy Novès que les joueurs en veulent plutôt qu'à la gouvernance, qui a pourtant calé ce match.
C'est dans cette atmosphère et sous une pression monstre que les Bleus préparent la rencontre la plus importante face aux Springboks. C'est une nouvelle défaite (17-18), la sixième de rang, à laquelle vient s'ajouter le déshonneur d'un match nul contre le Japon (23-23). Après le coup de sifflet final, un proche de Laporte dira partout, notamment devant des journalistes, que la décision est prise : Novès et ses adjoints ne survivront pas à cet automne. Le 4 décembre, le nom de Jacques Brunel circule déjà pour lui succéder. Le 10 décembre, Simon annonce que son président l'a mandaté pour un audit sur l'état de l'équipe de France auprès des joueurs, entraîneurs et préparateurs physiques du Top 14. Un document dont personne n'a jamais vu la couleur mais qui a pourtant servi de justification à la décision finale.
Le 12 décembre, alors qu'ils sont au CNR pour être entendus dans le cadre de cet audit, Guy Novès et ses adjoints Yannick Bru et Jean-Frédéric Dubois apprennent que Lionel Rossigneux, l'attaché de presse de l'équipe de France, est en Nouvelle-Zélande pour choisir les différents camps de base tricolores pour la tournée de juin 2018. Il est parti sans avertir le sélectionneur, officiellement toujours en poste, et seul décisionnaire des lieux de villégiature depuis son entrée en fonction. Pour les trois hommes, il est entendu que leur aventure est terminée.
Le 27 décembre, Jacques Brunel est officiellement nommé à la tête de l'équipe de France. Le lendemain, on apprendra que Guy Novès a été licencié pour faute grave sans même avoir été reçu par son président ni son second. Bernard Laporte dira quelque temps plus tard qu'il s'agissait « de la décision la plus dure qu'il ait eue à prendre ». Même s'il a, semble-t-il, eu le temps de s'y préparer.