Florian Grill, fondateur d'une agence de conseil de 150 salariés, reçoit dans ses bureaux du 10e arrondissement de Paris, situés dans une ancienne fabrique de porcelaine. Ce jour-là, le président du comité Île-de-France (54 ans), ancien deuxième-ligne du PUC, présente un mal de gorge tenace, hérité de son dernier déplacement de campagne. « J'ai perdu la voix mais pas les voix », s'amuse le candidat à la présidence de la FFR, adversaire de Bernard Laporte, qui affiche sa confiance à moins d'un an du scrutin.
« En juin dernier, Bernard Laporte a dit que seule votre mère vous connaissait. Aujourd'hui, cela va-t-il mieux en termes de notoriété ?
La notoriété, ce n'est pas le sujet. L'expertise, la connaissance et le travail, voilà le sujet. C'est en tout cas ce que me renvoient les clubs au quotidien.
Il y a deux ans, vous disiez que le rugby avait « besoin d'apaisement et de consensus ». Cette période électorale risque de ne pas y être très propice. La dernière campagne était tombée bien bas...
Ce ne sera pas notre pratique. La différence, c'est que Pierre Camou (ancien président de la FFR) avait eu cette phrase : « je ne dis pas du mal des gens du rugby parce que cela fait mal au rugby »
«Je suis un idiot de seconde-ligne et s'il faut prendre dans la gueule, je prends dans la gueule» - Florian Grill
Avec le recul, pensez-vous qu'il s'est trompé ?
Non, il avait raison de ne pas dire du mal. Mais il a eu tort de ne pas se défendre. Il aurait dû répondre à certains propos tenus contre lui. Quand Bernard Laporte a dit me concernant, « il n'y a que sa mère qui le connaît », j'ai répondu que j'étais à l'image des 1 900 présidents de clubs qui font tourner la boutique. Ce n'est pas en allant sur les plateaux télé qu'on va régler les problèmes du rugby français.
Vous attendez-vous à en prendre plein la gueule ?
Oui. Je suis un idiot de seconde-ligne et s'il faut prendre dans la gueule, je prends dans la gueule. Mais je ne me laisserai pas marcher sur les pieds. Je fais une campagne pour, pas une campagne contre. On a des vrais projets positifs pour le rugby. C'est de cela dont on parle aux clubs entre gens passionnés de rugby. Bernard Laporte et Serge Simon connaissent le rugby, certes, mais pas la réalité des clubs. Moi, ça fait quarante ans que je suis dans le rugby territorial.
Vous vous êtes fixé pour objectif de rencontrer tous les clubs. Où en êtes-vous ?
Nous avons vu pratiquement trois cents clubs. Cela conforte notre diagnostic, à savoir que le rugby est dans une crise sans précédent avec une baisse de 24 % des licenciés (30 221 de moins) entre 2015-16 et 2018-19 (dans les écoles de rugby on passe de 124 544 licenciés à 94 323 licenciés sur la période).
Comment endiguer cette baisse des licenciés ?
Le seul moyen, il est simple : c'est investir à fond sur le scolaire. Et certainement pas de changer le logo de l'équipe de France, qui est une dépense insensée. Encore moins d'augmenter de 65 % la masse salariale de la FFR, soit douze millions d'euros, quand on est confronté à une crise de cette ampleur...
Le rugby à l'école, Bernard Laporte en a aussi fait l'un de ses credo...
Mais la réalité, c'est qu'on a démissionné du scolaire. Bernard Laporte a annoncé une signature avec le ministère de l'Éducation et, dans la semaine qui a suivi, on a appris qu'il y avait une baisse de 25 % des subventions des sections sportives. Le budget de la Fédé, c'est 115 millions d'euros. La réalité de ce qui est investi sur le scolaire, c'est entre 400 000 et 600 000 euros. Moins de 0,5 % du budget de la FFR. C'est ridicule.
«Bernard Laporte a investi cinq millions d'euros pour quel résultat ? Un quart de finale, soit le plus mauvais résultat de l'histoire» - Florian Grill
Que proposez-vous concrètement ?
Multiplier l'investissement par dix. On passera de 400 000 euros à 4 millions d'euros. On dégonflera les 12 millions d'augmentation de la masse salariale pour prendre ces 4 millions. Pour que la pyramide soit forte, il faut que le socle soit fort. On est en train de créer une grosse tête et on ne voit pas qu'on a un petit corps freluquet qui est en train de se démuscler complètement.
La date de l'élection a été avancée de décembre 2020 au 3 octobre. Qu'en avez-vous pensé ?
La période de campagne a été resserrée parce que les comptes de la saison 2019-2020 vont être absolument dramatiques. Il y a la perte du partenaire BMW, soit 5 millions d'euros, l'augmentation de la masse salariale, soit 12 millions d'euros, la baisse des affluences dans les stades avec un France-Italie au Stade de France et un France-Écosse à Nice, à la frontière avec l'Italie... On peut se poser des questions. Ce qui me gêne dans la date du 3 octobre, c'est qu'on n'aura pas les comptes. Vu la catastrophe annoncée, je pense que c'est voulu ainsi. En règle générale, l'arrêté des comptes est le
30 juin. Je considère qu'avant le 3 octobre, nous devons être capables d'avoir au moins une estimation d'atterrissage. Je la réclamerai mais je ne suis pas certain qu'on nous la donne.
Ce resserrement du calendrier est-il contraignant pour vous ?
On avait prévu de faire des réunions les mercredi, jeudi et vendredi. Pour avoir le temps de voir la totalité des clubs, on y ajoute désormais le samedi matin. Avec les visites d'écoles de rugby le samedi après-midi. C'est une expérience humaine extrêmement enrichissante. Les réunions durent parfois deux heures et demie, trois heures, parce que les gens ont besoin de parler.
De quoi ?
De leurs difficultés. C'est terrifiant. Quand je dis que les clubs se délitent et que la crise est sans précédent, c'est vraiment cela. Bernard Laporte a dit à l'Assemblée générale de Nantes (en juin dernier) que le rugby français ne s'était jamais aussi bien porté. Mais je pense qu'il n'a pas les bonnes lunettes pour voir. Son diagnostic est faux. Comme il y a un peu plus de trois ans, quand il disait que le problème en France c'était la formation. Cela a été contesté par les deux titres de champion du monde des moins de 20 ans dont il a hérité.
Enregistrez-vous de nouveaux ralliements ?
Toutes les semaines, des personnes se lèvent et disent : « c'est à cela qu'on croit ». Pierre Raschi, Sylvain Deroeux, Jean Fabre, Lucien Mias, Jean-Michel Gonzalez... Des gens qui pèsent.
Et Guy Novès ?
Il n'y a pas de projet avec Guy Novès. Il ne peut pas y en avoir tant que je ne l'ai pas rencontré. Je vais forcément le rencontrer. Mais ce serait lui faire injure que de le prendre dans un but électoraliste. Il faut écouter l'homme meurtri, discuter avec lui, ne pas le faire venir pour les mauvaises raisons. En tout cas, ce serait extrêmement intéressant de discuter avec lui parce que c'est quelqu'un, s'il l'accepte, qui a encore beaucoup à donner au rugby français.
Quel bilan tirez-vous de cette Coupe du monde 2019 pour l'équipe de France ?
Entre le coût du licenciement de Guy Novès (2,5 M€) et le surcoût de l'encadrement de l'équipe de France (2,5M€), Bernard Laporte a investi cinq millions d'euros pour quel résultat ? Un quart de finale, soit le plus mauvais résultat de l'histoire, voilà ce que je retiens. On ne construit pas une Coupe du monde sur un coup, en trois mois, mais sur la durée. Or, on a entretenu autour de cette équipe de France un climat de défiance et de stress phénoménal. Le licenciement de Guy Novès (en décembre 2017) ? D'une violence inouïe. L'arrivée de Fabien Galthié (comme adjoint) en cours de route ? D'une violence inouïe à l'égard du sélectionneur en place (Jacques Brunel). Le comportement vis-à-vis de Sébastien Vahaamahina, stigmatisé devant le monde entier par le président de la FFR (1) ? D'une violence inouïe. Comment peut-on, dans un contexte comme celui-là, créer un climat de confiance qui fait que les gens prennent les bonnes décisions ?
«Je crois à un principe de base pour faire avancer les organisations : la confiance. C'est ce qui manque affreusement à cette Fédération. Elle tire à vue sur les dirigeants de la LNR alors qu'il faudrait négocier avec eux» - Florian Grill
Sur le terrain, les clubs amateurs s'inquiètent-ils du déclassement
des Bleus et de ses conséquences ?
Je vais vous dire : quand on voit les clubs au quotidien, il n'y en a pratiquement aucun qui nous parle de l'équipe de France.
Mais la corrélation entre une équipe de France forte et une hausse des licenciés, elle existe non ?
Bien sûr et on y travaille. Mais, d'abord, je crois beaucoup à la qualité du management et des relations. Quand Bernard Laporte et Serge Simon commencent les discussions avec la Ligue nationale de rugby en demandant la tête de Paul Goze (le président) et d'Emmanuel Eschalier (le directeur général) - qui sont toujours là, rappelons-le - c'est d'une violence inouïe. Comment est-ce que vous voulez, derrière cela, qu'il y ait un travail de collaboration ? Alors que tout l'enjeu du rugby français, c'est justement la qualité de la collaboration entre la Ligue et la FFR. C'est là que ça se passe. Je crois à un principe de base pour faire avancer les organisations : la confiance. C'est ce qui manque affreusement à cette Fédération : elle tire à vue sur les dirigeants de la LNR alors qu'il faudrait négocier avec eux. Résultat, on a gelé le rugby français pendant trois ans et demi. Aujourd'hui, le problème, c'est qu'il y a d'un côté la stratégie de la LNR et de l'autre celle de la FFR. Mais il manque une stratégie du rugby français.
Concrètement, si vous êtes élu, comment comptez-vous restaurer cette relation de confiance avec la Ligue ?
Quand tu veux discuter avec quelqu'un, au lieu de vouloir le flinguer, tu commences par comprendre quelles sont ses problématiques. Celles de la LNR, quand tu lis son plan stratégique à horizon 2023, sont les suivantes : un, la couverture géographique, et deux, un certain vieillissement de la cible : la moyenne d'âge du spectateur de Top 14, c'est 55 ans. Eh bien, réfléchissons ensemble comment construire autour de ces deux logiques : élargir et rajeunir.
Où se situe, dans le système actuel avec des clubs puissants, la marge de manoeuvre pour refaire de la France une nation forte du rugby mondial ?
Dans le travail. Je pense que sincèrement, on ne travaille pas assez dans cette Fédération. Je me renseigne : sur toutes les commissions qui existent entre la Ligue et la Fédé, les gens de la LNR travaillent beaucoup et ce n'est pas la FFR qui tient le bâton.
Est-ce que l'élaboration d'un staff très expérimenté et la présence d'une personnalité comme Raphaël Ibanez du poste de manager peuvent être de nature à ramener cette sérénité que vous appelez ?
Oui, mais on a perdu trois ans et demi. L'avenir, j'y crois, mais avec des managers apaisés et sereins. Et les managers apaisés et sereins, vous aurez compris que c'était nous. »
(1) Bernard Laporte a jugé le coup de coude de Vahaamahina « inexcusable ».