Ce qu'ils représentent
«L'équipe de France est très faible, on a des carences un peu partout»
«Doit-on sélectionner Alivereti Raka ? C'est délicat ça. Délicat, confie Christophe Dominici (67 sélections à l'aile entre 1998 et 2007). Si tu estimes que Raka est français, d'après les règles qu'a fixées Bernard Laporte, O.K.» «Il est français, c'est donc réglé, complète Erik Bonneval (18 sélections au centre ou à l'aile entre 1984 et 1988). Mais il y aura nécessairement un problème d'identification pour les jeunes ailiers des écoles de rugby. On peut me dire ce qu'on veut, mais pas un petit Français (de naissance) n'aura les qualités physiques d'un Raka.»
Olivier Roumat (61 sélections, en deuxième ou troisième ligne, entre 1989 et 1996) tout d'abord, soupire à la question : doit-on intégrer Paul Willemse chez les Bleus ? «Pfff... À partir du moment où il est français, il est sélectionnable. Après, c'est à Jacques Brunel d'estimer ce qu'il peut apporter à son cinq de devant.»
David Auradou (40 sélections en deuxième ligne entre 1999 et 2004), actuel entraîneur de Mont-de-Marsan (Pro D2), a joué en équipe de France avec Pieter De Villiers et Tony Marsh. «Ils n'étaient pas français mais, à l'époque, on avait des trous sur quelques postes seulement. Donc, je concevais tout à fait ce choix.» Aujourd'hui, après notamment l'appel à un Rory Kockott à la mêlée - «J'étais beaucoup moins d'accord» -, il s'interroge : «C'est compliqué de trancher mais, pour moi, se pose forcément une question de déontologie : est-ce que le salut de l'équipe de France passe par ces naturalisations de joueurs étrangers ? L'équipe de France est très faible, on a des carences un peu partout.» Au point qu'on pourrait avoir quinze étrangers naturalisés en bleu, en poussant à l'extrême ? «Si on continue, oui. Si on ne prend pas le mal de notre rugby à la racine, on va juste coller une rustine, prolonge David Auradou. Dans notre système, qui atteint ses limites, on sait qu'il y a trop de joueurs étrangers en Top 14 et on va chercher des potentiels chez les étrangers pour les Bleus...»
Ce qu'ils valent par rapport à la concurrence
«Il y a un test à passer, c'est toujours le niveau d'un match international»
«Il me semble que Raka peut être plus déterminant que Willemse, tant on a de problèmes de finition avec notre triangle arrière, avance Olivier Roumat. Toutefois, on ne voit en lui que le marqueur d'essais, mais a-t-il les bases du poste d'ailier, comme les réceptions des ballons hauts ?» Christophe Dominici juge qu'«il n'aurait pas fait le plaquage réalisé par Yoann Huget, pour sauver un essai contre l'Argentine, à trois mètres de notre ligne».
Erik Bonneval, qui commente la Coupe d'Europe sur BeIN Sports, se souvient «avoir vu Raka faire un match extraordinaire sous la neige aux Saracens la saison dernière, mais il fait aussi des cagades». Christophe Dominici souligne : «Sportivement, il est dans les cinq meilleurs ailiers français. Il est donc potentiellement sélectionnable. Mais on a déjà vu des joueurs, quelle que soit leur nationalité, qui dominaient en Championnat, mais qui n'ont pas franchi le niveau au-dessus.»
«Pour moi, quel que soit le joueur, il y a un test à passer, c'est toujours le niveau d'un match international. Quand tu n'as pas une seconde de réflexion mais 3/10e, quand l'environnement et la pression sont différents... Prenons Willemse qu'on n'a pas encore vu dans un match avec quarante minutes de temps de jeu effectif, très peu de mêlées et 120 rucks. Si tu marches après le troisième ruck...» «Quand Raka va enchaîner des saisons à vingt-cinq matches, ce ne sera peut-être plus pareil pour lui», remarque Dominici.
«Raka a un rapport poids-puissance phénoménal, pour le Top 14. Mais il ne faut pas croire qu'il va prendre le ballon dans ses 22 mètres et marquer, seul, un essai de 80 mètres contre l'Irlande, par exemple, explique Bonneval. Et si on prend Raka, c'est pour quel jeu ? Si tu le sers en premier attaquant pour taper dans un mur... Il faut se poser cette question : quel jeu proposer derrière ?»Concernant Paul Willemse, David Auradou avoue : «Sur sa qualité intrinsèque, on doit l'appeler. C'est un deuxième-ligne de fort tonnage (136 kg), capable de se déplacer, bon en touche. On n'en a pas cinquante dans ce registre. Il y a Sébastien Vahaamahina.»
«Ce profil-là, très puissant, capable de casser les plaquages, de jouer debout, on ne l'a pas, dit Olivier Roumat. Pour faire des brèches, il est supérieur à tous les deuxième-ligne français.» Mais l'ancien capitaine des Bleus s'interroge : «En fait, je suis ni pour ni contre sa sélection, la question est : avec qui l'associer en deuxième ligne et pour quel jeu ? Si on se base sur la conquête pure et la conservation du ballon, O.K. Mais si tu n'as que des Willemse dans ton pack, tu n'auras pas la garantie de gagner des matches... Lambey, par exemple, peut être très complémentaire avec lui. Ou Vahaamahina. Ensuite, je ne suis pas sûr que Willemse plaque plus que Maestri ou Vahaamahina. Quand tu vois l'importance de la défense au niveau international, avec des Retallick, Whitelock, Etzeneth, Alun Wyn Jones, Itoje, je ne suis pas convaincu que Willemse ait cette capacité. Il me fait plus penser à un Kobus Wiese (champion du monde springbok en 1995), très puissant mais avec pas trop de déplacements.» Roumat préfère un autre deuxième-ligne de Montpellier : Jacques Du Plessis. «Lui, c'est une machine ! Si j'avais le choix, je le prendrais. Mais il n'est pas sélectionnable, car déjà retenu avec les moins de 20 ans sud-africains.»
Ce qu'ils peuvent apporter
«Ce n'est pas un joueur ou deux qui vont changer l'équipe de France»
«Ce n'est pas un joueur ou deux qui vont changer l'équipe de France», résume Olivier Roumat. Erik Bonneval s'emballe : «Il ne faut pas attendre Raka comme un sauveur. En 2016, on avait Vakatawa et Nakaitaci aux ailes. Les Fidjiens devaient sauver la patrie... Il faut arrêter le fantasme ! Ça me dérange qu'on attende Raka comme le Messie. À l'aile, tu es loin du jeu... Il ne va pas tout changer. Il faut arrêter avec ces idées de sauveur.»
«Effectivement, Raka est le meilleur à l'aile à Clermont, avance Christophe Dominici, mais ce n'est pas parce qu'on va faire venir en équipe de France un garçon hyper athlétique que tout va changer. En 2016, Vakatawa et Nakaitaci, ça avait changé quoi ? La réflexion sur notre rugby doit être beaucoup plus importante, élargie. L'équipe de France, on l'a vue, confrontée au bras de fer, elle le perd. Et, après, ça s'effrite moralement.» «Domi» précise : «On n'a pas pris les Fidjiens de haut, comme je l'ai entendu, mais on ne considère notre rugby que sur l'affrontement. Préparons d'abord nos joueurs à être meilleurs énergétiquement et à se transcender dans les moments clés. Raka ? Il joue à l'aile et, en novembre, nos ailiers n'ont quand même pas été gavés de ballons.»Et n'ont donc pas eu l'occasion d'être souvent décisifs. «Quand on n'est pas bien, soupire Erik Bonneval, on essaie de se raccrocher à tout. Ce n'est pas parce que tu auras un Raka que tu auras la lumière à tous les étages.»
Philippe Saint-André : «Ils remplissent les critères»
Philippe Saint-André, ancien sélectionneur de l'équipe de France (2012-2015) : «Faut-il appeler Willemse et Raka en équipe de France ? Je ne suis plus sélectionneur... (Sourire.) Maintenant, ils remplissent les critères fixés par le président Bernard Laporte pour être sélectionnés. En France, de vrais ailiers, on n'en a pas beaucoup. À ce poste, Raka est capable d'amener en équipe de France. Quand il a le ballon, il a des qualités physiques que les autres n'ont pas. Après, on voit que lorsqu'il y a du jeu au pied sur lui ou derrière lui - ce qui est souvent le cas au niveau international - il peut être en difficulté. (...) Pendant quinze ans, on a subi un Top 14 avec beaucoup, beaucoup d'étrangers. Quand je disais, il y a six ou sept ans, qu'on n'avait plus le choix à certains postes - ailier, numéro 8, pilier droit -, ça faisait rigoler. Depuis dix-huit mois, le nouveau dispositif des JIFF est exceptionnel, on voit plein de jeunes Français jouer. (...)On aura à nouveau le choix d'ici deux-trois ans.»