Équipe de France : comment fonctionne la charnière Morgan Parra - Camille Lopez
Publié le
mercredi 30 janvier 2019 à 17:41
| Mis à jour le
30/01/2019 à 17:42 dans l'Equipe par Aurelien Bouisset
La charnière Morgan Parra - Camille Lopez a appris à se connaître par coeur à Clermont. Et les Bleus espèrent bien profiter de leur entente technique et humaine pour gagner en fluidité.
Un sentiment de déjà-vu pourrait se diffuser dans le public du Stade de France vendredi soir. Une équipe de France avec Morgan Parra en demi de mêlée et Camille Lopez à l'ouverture, contre le pays de Galles dans le Tournoi ? C'est déjà arrivé en 2015 (13-20) ! Et à les voir si fréquemment ensemble à la manoeuvre avec Clermont, depuis 2014, ça semblerait évident. Mais trompeur : les Bleus n'ont utilisé cette charnière que cette seule et unique fois. C'était Philippe Saint-André qui l'avait alignée alors. « Morgan, on connaissait son leadership et son expérience internationale. Camille, lui, commençait à être numéro 1 comme ouvreur, avec sa vision du jeu et sa technique de passe, son jeu au pied et sa vista », justifie a posteriori l'ancien entraîneur national (2012-2015).
PSA cherchait aussi à exploiter les automatismes naissants entre Parra et Lopez. « Avec deux joueurs du même club, tu gagnes du temps au niveau de la communication, précise l'actuel consultant de RMC. C'est pour ça qu'à la Coupe du monde 2015, j'avais misé sur Sébastien Tillous-Borde et Fred Michalak. Tu sécurises ton équipe. »
Les deux Toulonnais rappelaient alors une mode qu'avait suivie le rugby tricolore dans les années 1960, quand les quinze de France, qui s'entraînaient peu et dont les joueurs étaient peu supervisés, s'appuyaient sur des paires voultaine, dacquoise ou briviste. Et ce n'est pas autre chose que Brunel cherche à faire avec les Auvergnats, chez ses Bleus qui tanguent et ont un besoin urgent de retrouver des patrons de jeu. Le sélectionneur précisa d'ailleurs son choix mercredi, en conférence de presse : « Cela fait un an qu'on veut les mettre ensemble mais les blessures nous en ont empêchés. C'est le moment, cela arrive plus tard que prévu. À part la saison dernière, Clermont pratique un jeu complet et domine le Championnat, avec cette charnière au coeur du jeu. Ils ont une complicité au-dessus de la moyenne. »
C'est que depuis bientôt cinq ans, l'attelage Parra-Lopez n'a cessé d'affiner son fonctionnement. « Ce qui simplifie les choses, c'est qu'ils s'apprécient en dehors du terrain », témoigne Xavier Sadourny, entraîneur adjoint à l'ASM. Une amitié palpable le 21 octobre 2017 au stade Michelin : Parra était resté agenouillé auprès de son pote de longues minutes, et Lopez, qui venait de se briser la jambe, s'agrippait au maillot de son numéro 9 en hurlant de douleur.
« Ils connaissent tout sur tout ! » - Xavier Sadourny, entraîneur adjoint de l'ASM
« Et ils ont la même sensibilité rugbystique », poursuit Sadourny. Celle de l'ovalie des villages. Parra a sauté dans le pas de son père Tonio, joueur à Metz, en Fédérale 2, pour commencer à jouer à quatre ans et demi, et Lopez vibrait pour le Stade Athlétique Mauléonnais où s'impliquait son père Christian, pour tâter de ses premiers ballons à six ans. La même passion les pousse encore à se pointer au stade les premiers. « Tous les matins, quand on arrive pour le petit-déjeuner de 8 heures, ils sont déjà là, assis l'un en face de l'autre, s'étonne encore leur coéquipier Alexandre Lapandry. Et si l'un des deux n'est pas là, c'est qu'il est malade... » L'échange permanent qui les anime ne fait que commencer.
« Ils participent beaucoup à l'élaboration de la stratégie », détaille Franck Azéma, leur coach. Le duo s'immerge à fond dans la préparation tactique, en discutant, observant, en participant aux réunions avec le staff. Il dissèque, il propose. « Ils connaissent tout sur tout, se marre Sadourny. Mais leur implication sur le travail spécifique à leur poste, comme les renvois pour Camille, ou le but pour Morgan, donne de la légitimité à leur statut. »
Arrive alors la vérité du terrain. Où il ne s'agit pas de tirer la couverture à eux. Dans l'intimité d'un vestiaire d'avant-match, ils sont encore côte à côte, mais ouverts sur leurs partenaires, ils discutent. Plutôt relax, mais Lopez un peu plus tendu que Parra. Après le coup d'envoi, « ils prennent leurs responsabilités sur le terrain, mais ils savent aussi les diffuser autour d'eux, apprécie Azéma. C'est important pour que tout soit bien maîtrisé ». Tactiquement, les deux hommes sont devenus complémentaires. Et savent quand adapter le plan à ce qui se passe sur le champ. « Morgan arrive à soulager Camille de certaines tâches du 10 », observe Sadourny, en pensant notamment au jeu au pied d'occupation. Sans ego, les deux pieds gauches se sont longtemps partagé le but en fonction des sensations du moment même si, cette saison, Parra accapare le tee.
Leur relation technique, elle, carbure. « Ce qui les caractérise, c'est la justesse de passe, analyse Benjamin Boyet. Ça peut paraître anodin, mais Morgan (1,80 m ; 81 kg) et Camille (1,76 m ; 88 kg) sont deux gabarits similaires. Ils n'ont pas à s'adapter l'un à l'autre, ça les rend plus fluides. » L'ancien ouvreur de Bourgoin a remarqué qu'« en match, ils ne se parlent presque pas. Ils ont peut-être des codes visuels, des gestes, mais il n'y a pas de conciliabules. Ils se connaissent tellement bien ! ». L'entente est devenue naturelle. Instantanée.
Mais pas toujours cordiale... « Sur le terrain, ils se prennent la grappe ! », se marre Lapandry, qui apprécie ces deux « caractères, gagneurs, droits, entiers. Ça s'engueule pendant le match, mais une fois qu'on est rentrés dans le vestiaire, ils se disent : "Oh, désolé"... Morgan et Camille, c'est un vrai petit couple ! » Qui espère enfin transposer son mariage longue durée avec l'équipe de France.