L'affaire serait donc un peu plus engagée. Galthié a toujours rêvé de l'équipe de France. Elle serait une sorte d'accomplissement dans sa carrière sportive déjà très riche, si l'on épluche son CV côté joueur, mais peut-être un peu plus frustrante côté entraîneur. Il connaît toutefois trop bien le rugby pour se laisser embarquer dans le piège d'une « pige » de luxe de quelques mois, jusqu'à la Coupe du monde (du 20 septembre au 2 novembre au Japon) et dans laquelle il aurait quelques coups à prendre. C'est pour cela que l'ancien capitaine du quinze de France ne serait tenté par cette mission qu'à la condition de poursuivre jusqu'en 2023. Une exigence logique et légitime quand on entend bâtir une équipe compétitive et exprimer des idées ambitieuses sur le jeu. Bernard Laporte, lui, n'était pas parti pour travailler dans ce sens. Reste que le patron du rugby français, même s'il réfléchit déjà à l'après-Brunel, doit gérer l'urgence et apporter des solutions à l'équipe de France.
Lui et pas un autrePourquoi lui ? C'est tout bête mais Fabien Galthié a d'abord l'avantage d'être libre. À part peut-être Raphaël Ibañez, ils sont rares dans ce cas. Autre avantage, il a toujours été très apprécié par Bernard Laporte, qui, dès son élection à la présidence de la Fédération française, en décembre 2016, avait dans l'idée de faire de Galthié son sélectionneur en 2019. L'ancien demi de mêlée compte d'ailleurs 33 de ses 64 matches avec les Bleus sous le premier mandat de Laporte comme sélectionneur tricolore (entre 2000 et 2003). Enfin, Galthié est encore plus proche de Jacques Brunel. Les deux hommes se connaissent de longue date, à Colomiers, et se respectent. Quand Brunel avait été désigné à la place de Guy Novès en décembre 2017, il avait appelé Galthié, à l'époque en poste à Toulon, pour lui proposer d'intégrer son staff.
Depuis le début de sa carrière d'entraîneur, en 2004 au Stade Français, Galthié a toujours été considéré comme un technicien hors pair. Consultant pour France Télévisions et L'Équipe sur l'équipe de France, il dispose de tribunes pour livrer ses analyses, qui, à l'instar de son décryptage avant le dernier match en Angleterre (8-44), prophétisant la tactique du jeu au pied anglais, impressionnent parfois et renforcent sa légitimité. Le responsable du rugby à Canal + Éric Bayle, voix qui porte dans le milieu, avait ainsi livré un plaidoyer sans réserve en sa faveur il y a quelques semaines. Même le président de Toulon, Mourad Boudjellal, qui s'est pourtant séparé du technicien l'an dernier, après seulement un an de contrat, abonde : « Si Bernard (Laporte) veut faire une évolution à court terme, et pas une révolution, la solution, c'est Galthié ! »
Un apport stratégique indéniableSon savoir, ses analyses, ses méthodes d'entraînement... La liste de ce qu'il pourrait apporter à ce quinze de France en souffrance est longue. « Galthié est un cerveau, ce serait dommage de s'en priver », résume Boudjellal. Depuis qu'il entraîne, l'ex-demi de mêlée a toujours été en avance sur son temps. « Il a un très haut niveau d'analyse et de conception du rugby, explique un ex-collaborateur. En plus, il a ajouté à sa palette un côté très scientifique. Il utilise beaucoup les données, ce qui est indissociable du rugby international. » De multiples compétences qu'il a notamment développées lors de ses voyages - en tant que joueur puis en tant que coach - et ses échanges avec de nombreux staffs, aux quatre coins du monde.
« Le problème, c'est notre jeu, pose Boudjellal. Il peut apporter plus d'intelligence et le bonifier. » Autre compétence reconnue : son côté stratège. « Il sait parfaitement décrypter le jeu des adversaires, poursuit notre interlocuteur préférant rester anonyme. Il sait mettre en place durant la semaine des exercices transférables au match pour gagner. Il est dans l'anticipation et se trompe rarement. Même à la mi-temps, il est capable de renverser un match. Il est très froid dans l'analyse, rarement dans l'émotion. »
De nombreux joueurs passés entre les mains de Galthié le reconnaissent : « On s'ennuie rarement aux entraînements. » Peut-il redonner sourire et entrain à Marcoussis aux Bleus, qui, pour la plupart, n'avaient qu'une envie à l'issue de ce Tournoi des Six Nations maussade, celle de rentrer en club ?
Une intégration qui pose questionQuand on parle de Galthié revient rapidement sur la table la question de son management. « Humainement, c'est compliqué » ou « Il est cassant » sont des phrases régulièrement entendues. Dans le cas présent, l'enjeu de son intégration serait double : vis-à-vis du staff en place et des joueurs. Parmi ces derniers, il en retrouvera certains qu'il a entraînés, comme Guilhem Guirado ou Mathieu Bastareaud, à Toulon. Il avait fait de Basta son capitaine au RCT, contribuant à relancer sa carrière, ce dont lui sait gré le centre des Bleus. En revanche, comment se passeraient d'éventuelles retrouvailles avec Geoffrey Doumayrou ? Le Rochelais était parti fâché de Montpellier en 2012 et s'était accroché avec son ex-entraîneur l'année suivante, alors qu'il évoluait au Stade Français.
La préparation à la Coupe du monde, en vase clos pendant plusieurs semaines, ne risque-t-elle pas de créer quelques étincelles ? Boudjellal se veut radical : « La gestion de l'humain le fait chier. Galthié est un joueur d'échecs. Jusqu'à preuve du contraire, un pion n'a pas d'état d'âme. On les bouge. C'est comme ça qu'il conçoit le rugby. S'il peut jouer aux échecs avec les Bleus, c'est Kasparov ! Mais il ne faut pas le laisser avec les joueurs. Il ne leur parle pas ! »
Et avec les autres membres du staff ? Quid de Jean-Baptiste Élissalde, en charge des arrières ? Ne risque-t-il pas de se sentir menacé ? De voir son périmètre se réduire ? Lorsque le nom de Galthié a circulé une première fois après la raclée subie en Angleterre le 10 février (44-8), « Élissalde tirait la gueule », nous a rapporté un habitué de Marcoussis. « Puis, suite au démenti de Laporte, ça allait mieux. » Pour que la greffe prenne, les ego devront rester aux vestiaires, comme le pense Boudjellal : « Si le jeu s'améliore, il prendra la lumière et de la légitimité. Ça posera des problèmes d'ego. Mais, vu la situation des Bleus, il faut que tout le monde mette son ego de côté. »
Consultant pour France Télévisions et L'Équipe.
2007 : le 9 juin, à l'issue de sa troisième saison d'entraîneur, il remporte le Top 14 avec le Stade Français, en finale contre Clermont (23-18).