Raoul Barrière : « Mes racines sont catalanes »
« Quand avez-vous eu, la première fois, senti la nécessité de professionnaliser l'entraînement de l'AS Béziers ?
Voilà un terme qui va à l'encontre de mes idéaux. Je suis contre le professionnalisme en matière de rugby. Pas contre le fait de donner l'argent aux joueurs, non : ce qui me gêne, c'est que ce jeu ne progresse pas à cause des Britanniques qui changent régulièrement les règles pour le rendre acceptable. Si un jour on en vient à supprimer le combat, on supprimera l'essence de ce jeu.
Pouvez-vous définir ce qu'est le combat ?
C'est une opposition au corps. Le rugby est le seul sport collectif où ça existe.
Entraîneur de Béziers, où placiez-vous le combat ?
Partout. Et d'abord dans l'arrêt physique de l'adversaire. Il s'agit d'arrêter le porteur du ballon, de le faire reculer, puis de le mettre au sol et l'amoindrir pour lui enlever l'envie de tromper notre défense. Mais cette idée, je ne l'ai pas utilisée. Pendant quarante ans, j'ai été professeur de gymnastique et mon plus grand souci a été de préserver la santé physique des pratiquants, quels qu'ils soient.
Comment avez-vous travaillé le combat à l'entraînement avec l'AS Béziers ?
Attendu que le combat peut être douloureux, tous les entraînements, y compris parfois le matin du match, étaient avec opposition réelle, avec plaquage autorisé. Quelques fois, les joueurs s'invectivaient, mais je m'en foutais.
En quoi consistait le jeu de Béziers ?
Devant, c'était millimétré. J'expliquais à chaque joueur le pourquoi du comment des positions. Sans vidéo, car nous n'avions pas cet outil à l'époque. Une fois que nous avions rectifié un mauvais placement, il ne fallait pas que le fautif recommence sinon il prenait un « savon ». Personne ne déconnait à l'entraînement. C'était banni. En mêlée, nous avions axé la poussée sur le talonneur adverse, dont la colonne vertébrale constitue le point névralgique de la mêlée. Nos deux deuxième-ligne poussaient vers cet axe, mais les arbitres ne nous laissaient pas faire. Pourtant, la règle permettait différentes interprétations des liaisons. En fait, ce qui me gêne dans le rugby, c'est que la règle n'est pas appliquée comme elle est écrite.
« J'ai basculé vers le rugby parce qu'il y avait des coups de tronche à recevoir et à donner. On est cons, hein ? »
Vous avez été aussi le premier à utiliser les centres pour créer des points d'impact au centre du terrain...
Non, les Sud-Africains l'ont fait avant moi. Nous avions des attaquants très costauds, comme Henri Mioch (1,80m, 98 kg), et je voulais utiliser leurs caractéristiques pour éliminer physiquement l'adversaire et construire des regroupements en se positionnant pour avoir un bloc qui avance. Notre meilleur marqueur était un ailier, René Séguier, et de beaux essais, nous en avons marqué. Mais ces histoires de style, je m'en foutais.
Dans quels domaines avez-vous innové durant les années 70 ?
Nous avions payé un cameraman pour filmer nos adversaires avant les rencontres de phase finale, afin d'analyser leur jeu. Je soumettais aussi les joueurs à divers tests, sanguins, proprioceptifs, physiologiques et cardiaques, à l'université de Montpellier. Ça me permettait de pister leur hygiène de vie. La préparation physique, c'était mon cheval de bataille. Nous sommes passés rapidement à la VO2 max, la consommation maximale d'oxygène. En revanche, j'étais contre la fonte, la musculation lourde avec les haltères. Je considérais que c'était nuisible au développement du foncier. Il y a beaucoup de course en rugby. Je ne voulais pas de mecs qui tirent la langue.
Comment avez-vous découvert le rugby ?
Je suis né à Béziers mais mes racines sont catalanes. J'ai été bercé par les histoires que me racontaient mon père et mes oncles quand ils m'emmenaient au stade Aimé-Giral. À huit ans, j'ai rejoint mon frère à l'école sportive de Béziers. On pratiquait rugby, football, basket et gymnastique. J'ai basculé vers le rugby parce qu'il y avait des coups de tronche à recevoir et à donner. On est cons, hein ?
Pourquoi existe-t-il une telle rivalité entre Béziers et Perpignan ?
Mon grand-père me racontait que dans son village, à Baixas (à côté de l'actuel aéroport de Perpignan), les adolescents se donnaient rendez-vous dans un champ et se battaient à coups de pierres qu'ils se lançaient dessus. Ça courrait dans tous les sens mais parfois il y en a un qui prenait une pierre sur la tête. Ça s'appelait l'aspadragade. Par ici, nous vivons depuis très longtemps entourés de violence. Moi aussi, j'ai connu ces déchaînements de chauvinisme local. Souvent, à l'issue des matches juniors entre Béziers et Perpignan, mais aussi avec Carcassonne et Narbonne, ça tombait épais. On se barrait vite fait dans les vignes. Les supporteurs arrachaient les piquets et nous poursuivaient !
Pourquoi, alors que vous êtes catalan, n'avoir pas entraîné Perpignan ?
C'est mon plus grand regret. Ça a failli se faire et ça tenu à un coup de fil. En 1980, à une heure d'écart, j'entraînais Perpignan plutôt que Narbonne. Quand j'ai donné mon accord à Narbonne, un dirigeant de l'USAP m'a téléphoné pour me signaler que c'était bon pour eux. J'ai des principes : je ne pouvais pas revenir sur une parole donnée. Je l'ai regretté (silence). Qu'est-ce que j'aurais aimé entraîner l'USAP... Je vais vous avouer quelque chose : quand on a joué la finale contre l'USAP, en 1977 (victoire, 12-4), tous mes enfants étaient en bleu et rouge. Quand on est arrivé au Parc des Princes, mes cousins, mes tantes et mes oncles étaient en sang et or. Ça m'a travaillé. Presque déchiré. C'est la seule victoire en finale que je n'ai pas appréciée. »