Mais depuis que les Bleus déclinent, l'arrivée d'un étranger à la tête de la sélection nationale revient régulièrement dans le débat. « Déjà en 2014, signale Jean-Pierre Lux, quand la France était en grande difficulté, j'avais dit à Serge Blanco (alors vice-président de la FFR) qu'il recrute un entraîneur étranger. » En vain. L'Anglais Clive Woodward avait répondu à l'appel à candidatures lancé par Pierre Camou, mais c'est Guy Novès qui avait été choisi, sans que les dossiers ne soient réellement étudiés. Et sans que rien ne change.
Les mauvais résultats sous Philippe Saint-André ont persisté sous Novès, puis sous Jacques Brunel (30 victoires en 82 matches de 2012 à aujourd'hui). L'hypothèse d'un sélectionneur étranger a donc pris de l'ampleur, entre les partisans d'une sorte d'exception culturelle et ceux notant que d'autres nations ont réussi en s'ouvrant, comme l'Irlande (avec le Néo-Zélandais Joe Schmidt), l'Angleterre (avec l'Australien Eddie Jones) ou le pays de Galles (avec le Néo-Zélandais Warren Gatland).
Pour Bernard Laporte, président de la FFR, le débat est tranché. Avec la Coupe du monde 2023 en France, il veut pouvoir recruter parmi les meilleurs. Et est donc favorable à l'embauche d'un étranger. Mais, conscient du tabou et sans doute désireux de ne pas se mettre le rugby français à dos, il a décidé de poser la question aux clubs. Et uniquement à eux. Même Tech XV, le syndicat des entraîneurs de rugby professionnel, n'a pas été consulté. « Pour autant, on ne fera pas le buzz avec des déclarations, dit son président, Alain Gaillard. Je remarque simplement que les entraîneurs étrangers qui ont réussi en France, comme Cotter et Quesada, étaient nourris à la mamelle française. Je pense qu'il y a les compétences nécessaires et suffisantes en France pour assurer cette tâche-là. Je ne crois pas en l'homme providentiel. Lequel, de toute façon, sera confronté à la même problématique que ses prédécesseurs, à savoir la gouvernance et la structure du rugby français. »
Chez les cent personnes que nous avons interrogées, le « non » au sélectionneur étranger l'emporte. Les plus nombreux (54 % de notre panel) partagent l'avis de Gaillard : la France dispose de bons techniciens et n'a pas besoin d'aller chercher ailleurs. Pour d'autres, imaginer Gatland ou Woodward le coq sur la poitrine en 2023 ne pose pas de problème. « Ça ne me gênerait pas si ça doit faire gagner le quinze de France », avoue, décomplexé, Claude Atcher, directeur général de France 2023. « Notre modèle actuel est à bout de souffle. Il faut un homme qui ne soit pas pollué par les affiliations et les affinités, avec un regard critique », dit Robins Tchale-Watchou, président du syndicat des joueurs professionnels. Eux aussi concernés. Et qui ne participeront pas, eux non plus, au référendum.
Serge Blanco : « Ce n'est pas le problème »
Interrogé, Serge Blanco, ancien vice-président de la FFR et désormais figure majeure de l'opposition au sein du Comité directeur, n'a pas souhaité répondre selon les modalités prévues dans cette consultation. « Oui, non, peut-être, ce n'est pas le problème... Des opinions et des idées sur le sujet, j'en ai. Mais que le président de la FFR prenne d'abord ses responsabilités ! Que je sache, il n'a pas eu besoin de référendum pour virer Guy Novès du quinze de France. Alors pourquoi en faire un maintenant ? », a précisé l'ancien arrière et capitaine des Bleus, qui prépare la riposte au sein d'un groupe de réflexion opposé à Bernard Laporte comprenant aussi Florian Grill, Fabien Pelous, Jean-Claude Skrela et Marc Lièvremont. « Je n'ai pas besoin d'un référendum ou d'une consultation pour exprimer mon point de vue. J'ai mon opinion, mais je ne la donnerai que lorsque le président aura pris ses responsabilités, je le répète », a conclu l'ancien vice-président de la FFR sous l'ère Camou, réfractaire à l'idée d'une consultation sur le sujet de la nomination d'un entraîneur non-français pour la sélection nationale.
CONTRE (54 %)
Olivier Magne : « C'est une échappatoire. C'est la responsabilité de la FFR d'intégrer et de former des entraîneurs français. C'est l'aveu que la FFR n'est pas capable de mener à bien un projet sportif. »
Philippe Benetton : « Il faut faire confiance aux entraîneurs compétents que nous avons en France, et il y en a. Et puis nous sommes des Latins. Ça ne marchera pas avec un coach anglo-saxon. »
Pierre Berbizier : « Le bilan des entraîneurs étrangers en France, mis à part Cotter, Quesada et Mallett, n'est pas terrible. Le problème, c'est de savoir ce qu'on attend du quinze de France, pas d'un homme providentiel. »
Walter Spanghero : « Oh là, je ne le sens pas bien, ce truc ! Et puis je suis cocardier, moi. »
Pierre Villepreux : « Je suis contre à cent pour cent. Nous ne sommes pas une nation mineure. Nous avons autant de cerveaux que les autres. »
Alain Paco : « Les entraîneurs anglo-saxons ont l'habitude de travailler avec des fédérations qui gèrent leur rugby national. En France, un coach étranger va se heurter à des entreprises, à savoir des clubs qui ne s'inquiètent pas du tout du sort du quinze de France. »
Richard Astre : « On a un problème de modèle de jeu mais suffisamment de techniciens et de culture pour le résoudre. »
Vincent Clerc : « On a de bons entraîneurs en France, mais il faut leur donner les moyens, leur laisser les mains libres. »
Christian Lanta : « On n'a jamais puisé dans nos propres ressources pour constituer un staff efficace, on n'a jamais vraiment associé des compétences complémentaires. »
Victor Boffelli : « Un étranger n'apportera rien tant que le système actuel et le rapport FFR/LNR ne changera pas au profit exclusif du quinze de France. »
Jean Trillo : « Nous avons une identité à préserver, par des techniciens qui ont cette culture française. »
Karl Janik : « Ce serait dénigrer notre histoire rugbystique. Ça veut dire que le moment est désespéré. Alors qu'il ne l'est pas. »
Vincent Etcheto : « Nous avons de bons techniciens en France : il faut le choisir en fonction du projet de jeu de la fédé. S'il y en a un... »
Laurent Rodriguez : « Ce ne sont pas les entraîneurs qu'il faut changer en allant chercher ailleurs mais c'est l'état d'esprit des joueurs qu'il faut changer. Il faut qu'ils retrouvent l'envie de travailler dur. »
Érik Bonneval : « On a un problème de sélection des joueurs et de choix de jeu, et assez d'entraîneurs compétents en France pour le résoudre. »
La liste complète
- Guy Accoceberry
- Richard Astre
- Jean-Pierre Bastiat
- Abdel Benazzi
- Philippe Benetton
- Philippe Bernat-Salles
- Pierre Berbizier
- Philippe Bérot
- Victor Boffelli
- Érik Bonneval
- Jean-Louis Boujon (ancien président comité IDF et vice-président de la FFR)
- Benjamin Boyet
- Christian Califano
- Pierre Chadebech
- Éric Champ
- Vincent Clerc
- Didier Codorniou
- Pierre Conquet (auteur des Fondamentaux du rugby)
- Christian Darrouy
- Jacques Delmas
- Vincent Etcheto
- Christian Favre (ancien joueur et dirigeant, administrateur du Stade Rochelais)
- Bertrand Fourcade (entraîneur de Tarbes et de l'Italie)
- Jean Gachassin
- Christian Gajan (entraîneur : Toulouse, Japon, Trevise)
- Henri Garcia (ancien directeur de la rédaction de L'Équipe, auteur de La Fabuleuse histoire du rugby)
- Philippe Glatigny (éducateur de Tyrosse)
- Thibault Giroud (préparateur physique de Toulon)
- Jean Guibert (ex-CTR et entraîneur de Dax et de Tyrosse)
- Alain Hyardet
- Thierry Janeczek
- Karl Janik
- Christophe Lamaison
- Christian Lanta
- Yann Le Meur
- Jean-Patrick Lescarboura
- Thomas Lièvremont
- Olivier Magne
- Thierry Maset (ancien joueur de Toulouse)
- Yves-Marie Merling (ancien joueur, membre de la commission éthique et citoyenneté de La Rochelle)
- François Moncla
- Patrick Nadal
- Wanda Noury (fondatrice de la Fédération française de rugby féminin)
- Alain Paco
- Xavier Pemeja
- Maxime Petitjean
- Raphael Poulain
- Laurent Rodriguez
- Lucien Simon (ex-président d'Aix-en-Provence)
- Walter Spanghero
- Jérôme Thion
- Jean Trillo
- Pierre Villepreux
- Patrick Wolff (ex-dirigeant de Clermont et de la LNR)
POUR (37 %)
Pierre Albaladejo : « Mais il faudra en parallèle reprendre le rugby français depuis sa base et travailler avec les éducateurs. »
André Boniface : « Oui, si c'est un bon Néo-Zélandais ! (Rires.) »
Philippe Sella : « Ce sera une plus-value. Il faut connecter les liens entre les cultures. »
Dimitri Yachvili : « Recrutons de la compétence, pour l'entraîneur principal et son staff. Qu'il soit étranger n'est pas un souci. Mais il faudra qu'il puisse influer sur le jeu et les entraînements des clubs de Top 14. »
Thomas Castaignède : « Étranger ou pas, je m'en fous. Prenons le meilleur. S'interdire un choix parce qu'il vient d'ailleurs, ce serait une erreur. »
Jean-Pierre Rives : « La couleur et la langue m'importent peu ! Le rugby, c'est une famille et il y a de tout, dans une famille. »
Philippe Saint-André : « C'est terrible à dire mais seul un étranger changera les mentalités et parviendra à trouver un accord valable entre les clubs et le quinze de France. »
Jean-Michel Aguirre : « Il y a usure des possibilités chez les pointures françaises. C'est peut-être une solution pour sortir des querelles de chapelles et d'influences. »
Éric Blanc : « Il faut une vision neuve, un projet, une expérience internationale pour mettre fin aux batailles de chapelles. »
Claude Atcher : « À part Guy Novès et Bernard Laporte, personne d'autre n'a la culture de la gagne au plus haut niveau en France. Il faut aller chercher ailleurs. Avoir un entraîneur étranger durant le Mondial 2023 ne me générait pas si ça doit faire gagner le quinze de France. »
Thomas Lombard : « Je suis favorable à condition qu'il s'adjoigne un staff compétent qui connait bien les particularités du rugby français et qu'il travaille un projet pour toutes les équipes de France. »
Robins Tchale-Watchou : « Notre modèle actuel est à bout de souffle. Il faut un homme qui ne soit pas pollué par les affiliations et les affinités, avec un regard critique. »
La liste complète
- Jean-Michel Aguirre
- Pierre Albaladejo
- Claude Atcher
- Christian Badin
- Frédéric Barthe (entraîneur)
- Jérôme Bianchi
- Éric Blanc
- Éric Blondeau (préparateur mental, ex-Clermont, Montpellier et Écosse)
- André Boniface
- Nicolas Brusque
- Didier Camberabero
- Thomas Castaignède
- Denis Charvet
- Benoît Dauga
- Marc De Rougemont
- Yann Delaigue
- André Herrero
- Cédric Heymans
- Dominique Harize
- Rémi Lescalmel (ancien joueur La Rochelle, entraîneur)
- Thomas Lombard
- Jean-Pierre Lux
Jean-Claude Mercier (président de l'association des clubs de rugby amateur)
- Franck Mesnel
- Daniel Mocoeur (ancien joueur et éducateur de La Rochelle)
- Philippe Mothe (ancien joueur et entraîneur)
- Pierre Rabadan
- Jean-Pierre Rives
- Thierry Roudil (préparateur physique)
- Philippe Saint-André
- Claude Saurel (ex-entraîneur Béziers, Géorgie, Russie, Maroc, Tunisie)
- Christophe Schaeffer (ancien joueur, philosophe)
- Philippe Sella
- Sylvain Bouthier (responsable du Pôle Espoirs Lakanal)
- Robins Tchale-Watchou
- Sébastien Viars
- Dimitri Yachvili
NE SE PRONONCE PAS : 9 %
Laurent Cabannes : « Le critère, ce n'est pas la nationalité mais la compétence. Chinois ou bourguignon, je m'en fiche. »
Frédéric Michalak : « Il faut d'abord parler d'un projet et d'un staff technique. »
La liste complète
- Laurent Cabannes
- Philippe Dintrans
- Christophe Dominici
- Jean-Pierre Genet
- Max Guazzini
- Jo Maso
- Frédéric Michalak
- Michel Peuchlestrade (ex-entraîneur d'Aurillac)
- Jean Salut