Depuis, l'équipe de France ne s'est pas améliorée, au contraire. L'idée de se tourner vers l'extérieur pour préparer au mieux le Mondial 2023 à domicile a donc fait son chemin. « Je ne vais pas forcément prendre un sélectionneur étranger », pondère le président de la FFR dans Midi-Olympique, tout en assénant : « L'Irlande et le pays de Galles sont entraînés par un Néo-Zélandais, les Anglais par un Australien, les Italiens par un Irlandais (lire par ailleurs). Eux ne se posent pas la question de la nationalité de leur technicien, seulement de sa compétence. »
«En 2007, on avait étudié la possibilité de nous tourner vers l'étranger, mais on n'était pas allés plus loin, peut-être par manque de courage»
Alors la France du rugby franchira-t-elle le pas, comme celle du football dès 1973, avec l'appel au Roumain Stefan Kovacs (lire par ailleurs) ? Elle n'en a jamais été aussi près. On a cité Warren Gatland, mais les noms de l'Australien Eddie Jones (à la tête de l'Angleterre), du Sud-Africain Jake White, Champion du monde en 2007, et de Clive Woodward, sacré en 2003, circulent. Bernard Laporte affirme ne pas vouloir se précipiter. Pourquoi ? Déjà, il a le temps. Jacques Brunel possède un contrat jusqu'en juin 2020, même si on imagine que ce dernier peut trouver un arrangement avec son employeur pour partir plus tôt, surtout en cas d'élimination précoce au Japon.
Mais, surtout, Laporte a promis d'organiser un référendum auprès des clubs amateurs - qui dépendent de la FFR - pour leur demander : « Accepteriez-vous que le sélectionneur de l'équipe de France soit un étranger ? » Jusqu'ici, on ne s'était pas vraiment posé la question. Il y avait bien eu une (toute) petite ouverture, en 2015, lorsque Pierre Camou avait officiellement audité Clive Woodward. Mais, comme pour les autres candidats (Galthié, Ibanez...), les dés étaient pipés, puisque l'ex-président de la FFR - décédé en août - avait promis le poste à Guy Novès avant même de recevoir le Toulousain, viré par Laporte en décembre 2017.
Au gré du temps, on a entendu parler du Sud-Africain Nick Mallett, très francophile, et du Néo-Zélandais Vern Cotter - à Montpellier, après avoir réussi à Clermont -, mais sans que ça aille très loin. Car on parle ici d'une révolution culturelle. En 2007, on se souvient en avoir discuté quelques fois avec Bernard Lapasset, patron de la FFR, au moment du remplacement... de Bernard Laporte, en poste depuis 2000. « On avait étudié la possibilité de nous tourner vers l'étranger, dit aujourd'hui Lapasset, président d'honneur du comité d'organisation des Jeux Olympiques 2024 à Paris. Puisque les autres le faisaient, pourquoi pas nous ? Je me souviens de discussions pour décortiquer un profil d'entraîneur - sans en cibler un de précis - qui nous correspondrait. Mais on n'était pas allés plus loin, peut-être par manque de courage à l'époque, et parce qu'on n'avait pas tilté sur un mec. » Et aussi parce que l'équipe de France gagnait alors 60 % de ses matches, loin du malade d'aujourd'hui qui ne remporte plus qu'une rencontre sur trois. Et puisque les remèdes nationaux, pourtant censés être les meilleurs, n'ont pas fonctionné, l'idée de se tourner vers une autre médecine fait son chemin...
«Ça peut être une bonne idée d'avoir un sélectionneur étranger (...) mais il faut des entraîneurs français avec lui, parce que psychologiquement vous n'êtes pas prêts.»
Philippe Saint-André, qui a occupé le fauteuil entre 2012 et 2015, expliquait la semaine dernière sur Eurosport 2 : « Je suis favorable à un entraîneur étranger en équipe de France pour l'après-Coupe du monde. On a besoin d'une prise de conscience, de travailler différemment, de travailler la vitesse, car c'est la base du haut niveau, et nous on ne travaille plus la vitesse. Je prendrais Eddie Jones ou le coach Irlandais Joe Schmidt (il ne sera pas disponible). [...] Je me souviens qu'on avait fait des tests de vitesse, et on avait eu la malchance de blesser un joueur (Fofana). Je m'étais fait assassiner en me faisant traiter d'incapable [...] Si les joueurs ne font pas de la vitesse, tu es en difficulté. »
« Il faut faire comme les clubs de Top 14 et se tourner vers des compétences étrangères, ne plus rester entre nous, regarder ce qui se fait ailleurs », nous confiait un Bleu avant même ce Tournoi des Six Nations raté (4e). Aujourd'hui, près de 50 % des entraîneurs principaux du Top 14 ne sont pas français, alors faire appel à un sélectionneur étranger irait dans le sens de l'histoire. Mais... Oui, il y a un mais. Et un gros. Si la question essentielle que devrait se poser le rugby français n'était pas tant d'engager un sélectionneur que de mener sa révolution, trouver enfin son modèle propre, entre une FFR, qui a la main sur l'équipe de France, et les clubs, sur le pognon ? Prenez par exemple Eddie Jones, sa volonté de tout décider, tout contrôler, jusqu'aux costumes des joueurs, adepte de méthodes d'entraînement très dures, et lâchez-le dans un système où - malgré une convention quadriennale entre la FFR et la Ligue - on a sans cesse des discussions de marchands de tapis... On imagine le choc culturel.
Et quelles garanties aura le futur sélectionneur, quel qu'il soit, Français ou non, que tout ira très vite mieux dans la formation des joueurs, le calendrier de la saison, le partage des informations entre clubs et équipe nationale ? Entraîneur des trois-quarts du Stade Français, l'Irlandais Mike Prendergast estime : « Ça peut être une bonne idée d'avoir un sélectionneur étranger qui apporterait des choses nouvelles, mais il faut des entraîneurs français avec lui, parce que psychologiquement vous n'êtes pas prêts. » Pas plus que structurellement.