Raphaël Ibañez, un explorateur dans l'âme
Depuis son départ de Bordeaux-Bègles en 2017, le Dacquois a multiplié les voyages en Irlande, au pays des Galles ou en Nouvelle-Zélande.
Lundi matin, après avoir commenté la veille Racing 92 - Toulouse (21-22) sur France Télévisions en quarts de finale de Coupe d'Europe, Raphaël Ibañez a pris le premier TGV pour Dax. Arrivé chez lui, il a coupé son téléphone portable avant de partir quatre jours en randonnée dans les montagnes du Pays basque avec Jacques, son père. Un ancien talonneur de l'US Dax, comme lui ; un ancien entraîneur, aussi. La veille d'Irlande - France à Dublin (défaite des Bleus 26-14, le 10 mars), l'ancien capitaine du Quinze de France était venu vers nous à l'Aviva Stadium : «Il faudra qu'on se parle, bientôt. Je vous tiens au courant.»Mystérieux, secret comme toujours.
Et carré : tant qu'une affaire n'est pas conclue... Le week-end dernier, notre téléphone a sonné : «C'est Raphaël. Je pars entraîner en Nouvelle-Zélande.»Sincèrement, on ne s'attendait à rien de spécial... Mais pas à ça. Avec du recul, pourtant, son choix n'est pas tellement surprenant, surtout quand on relit son interview dans nos colonnes du 8 décembre 2017, titrée : «L'exception française a du plomb dans l'aile.» Il rentrait alors, enchanté, d'un voyage qui l'avait conduit en Irlande, au pays de Galles, en Nouvelle-Zélande, à ses frais. «Il me paraissait indispensable d'avoir cette démarche. J'ai eu des contacts qui m'ont tout ouvert, à la seule condition que je me tienne à un devoir de réserve sur le contenu des entraînements, les stratégies de jeu», expliquait-il. Surtout, il s'était déplacé dans des clubs, des provinces, auprès de sélections chargées d'histoire.
«Je veux travailler sur ce qui me paraît le plus important dans une équipe : l'identité. Quelle motivation profonde pousse les joueurs à se dépasser ? Ce que j'ai constaté au travers des recherches, de mes études, c'est que la question d'identité est essentielle», confiait Ibañez. Avant d'ajouter à propos de l'équipe de France, déjà à la dérive : «Pour moi, la préoccupation majeure doit être de recréer une identité. Quel est le sens que les joueurs donnent à leur aventure en équipe de France ? Quelle est l'équipe prioritaire dans le rugby français ? Ce sont des questions de fond. Ce n'est pas une invention, mais ce sur quoi s'appuient les nations majeures du rugby mondial.»
Tandis que les Bleus s'enfermeront à Marcoussis pour préparer la Coupe du monde, lui s'envolera pour Auckland, le 4 juillet. Il partira en pionnier, premier entraîneur français chez les pros en Nouvelle-Zélande, comme Christian Califano avait été le premier joueur tricolore à participer au Super 12 avec les Auckland Blues en 2001-2002 (trois matches, une titularisation). Fou d'écriture, le Dacquois trouvera l'occasion de noircir des cahiers, comme il l'avait fait lors de son «rugby trip» de 2017. D'autant qu'il portera de nouveau un survêtement, mais sera de retour sur le terrain pour diriger des séances d'entraînement.
Raphaël Ibañez : «Je vais entraîner en Nouvelle-Zélande»
L'ancien coach de Bordeaux-Bègles rejoindra la province de Thames Valley comme entraîneur assistant de juillet à octobre le temps d'un championnat local. Il est le premier Français à coacher des pros chez les Néo-Zélandais.
«En début de saison, en marge d'un match, vous nous aviez glissé : "Je suis comme un joueur, j'ai besoin de temps de jeu..."
Oui, c'était exactement ça. Après mon expérience à Bordeaux (1), je n'ai jamais dit que je ne coacherai plus. Et je suis toujours dans le même état d'esprit.
Et vous allez enfin retrouver "du temps de jeu" ?
Oui. Je vais entraîner l'équipe de Thames Valley (à Paeroa, sur l'île du Nord) en Nouvelle-Zélande, entre juillet et octobre. Elle participe à la ITM Cup (une catégorie en dessous du Super Rugby), le Championnat national, après avoir gagné le titre de sa division la saison dernière. C'est un projet que j'avais en tête depuis longtemps, encore fallait-il le concrétiser. La Fédération néo-zélandaise (NZRU) est fière d'envoyer ses meilleurs managers dans le monde entier (Warren Gatland au pays de Galles, Joe Schmidt en Irlande, Vern Cotter en France ou Écosse) et elle a raison de l'être. C'est complètement légitime quand son équipe nationale est double championne du monde en titre. Mais effectuer le chemin inverse, à savoir un entraîneur étranger au sein d'un staff néo-zélandais, c'est quasiment impossible (2). La NZRU contrôle et centralise tout : clubs, joueurs, entraîneurs. Ça ne me choque pas du tout, mais ça rendait la concrétisation du projet plus délicate. Mais il paraît que je suis persévérant (sourire)...
Je pense que mon profil a joué, mais ce sont surtout mes amis sur place qui ont été d'un très bon soutien : Tony Marsh, mon ancien coéquipier en équipe de France, qui est à Auckland ; Leon Holden, qui a été mon coach aux London Wasps, qui vit dans la province de Waïkato. En fait, la «Wasps connection» a joué à fond (il rit). Je pense à Shaun Edwards (actuel entraîneur de la défense du pays de Galles), mon mentor de génie, notamment, qui m'avait permis de participer à un stage de la sélection galloise en 2017. J'avais passé cinq jours en immersion, dans leur centre d'entraînement, dormant sur place, au Vale of Glamorgan. Warren Gatland (coach des Wasps entre 2002 et 2005) m'avait tout ouvert, mais je n'étais qu'un observateur dans le cadre d'un voyage d'études personnel. Là, Gatland a personnellement appuyé ma candidature pour que ça se fasse avec Thames Valley. En plus, c'est la première province qu'il a entraînée (entre 1994 et 1996), j'imagine que cela a dû jouer dans la décision.
Il a fait votre portrait psychologico-rugbystique ?
Pas exactement ça, mais dans le protocole pour parvenir à entraîner une équipe en Nouvelle-Zélande, la NZRU se renseigne auprès de personnes qu'elle connaît bien. Warren Gatland a dressé mon profil, qui correspondait.
Pensez-vous qu'avoir été le capitaine d'une équipe de France qui a éliminé les All Blacks à deux reprises en Coupe du monde (demi-finales en 1999, quarts de finale en 2007) a pu jouer dans le fait que vous allez devenir le premier Français à entraîner en Nouvelle-Zélande ?
(Étonné.) Probablement, mais je n'espère pas seulement pour ça. Les Néo-Zélandais ont de la mémoire, mais je ne suis plus joueur, je viens pour autre chose, avec un état d'esprit très enthousiaste, dans l'idée d'engranger le maximum de choses. J'y vais pour découvrir leur rugby de l'intérieur. Je suis très intéressé, notamment, pour découvrir les écoles, voir comment on s'y prépare pour devenir joueur professionnel, quels sont les liens qui unissent le milieu scolaire et les clubs.
Cette aventure à l'étranger est le prolongement de votre voyage de 2017, qui vous avait conduit dans plusieurs pays pour comprendre, expliquiez-vous à l'époque, ce qui fait "l'identité d'une équipe" ?
Oui. J'étais parti en "rugby trip" afin de mieux comprendre les méthodologies d'entraînement. J'avais vraiment besoin de cette matière après la fin de l'histoire à Bordeaux. J'étais allé en visite au Munster, au Leinster, puis avec l'équipe nationale du pays de Galles et enfin deux semaines auprès de provinces néo-zélandaises (Wellington et Waïkato). Je ne me suis pas trop trompé car, depuis, le Leinster est devenu champion d'Europe et les Gallois viennent de faire le Grand Chelem (amusé) ! C'était top, hyper instructif, mais la grande différence avec aujourd'hui, c'est que cette fois je serai acteur. Je vais coacher là-bas à plein temps. Je vais faire partie de l'encadrement technique de Thames Valley. J'ai beaucoup échangé avec le head coach Matt Bartleet - que je n'ai pas encore rencontré physiquement - et on est convaincus qu'on a beaucoup d'idées à partager. Je continue de préparer cette expédition chez ces Néo-Zélandais qui me donnent cette chance.
Quel sera votre titre à Thames Valley ?
Entraîneur assistant, j'imagine, même si je ne sais pas si j'en aurai un. Justement, Matt Bartleet a rencontré son staff lundi pour discuter du dispositif à venir pour cette saison.
Qu'attendez-vous de cette expérience néo-zélandaise ?
J'espère une grande aventure rugbystique et culturelle. Parce que les deux aspects sont fortement liés là-bas. D'autant plus que j'y vais pour coacher au maximum : un accord a également été passé avec la province de Counties Manukau, une autre équipe basée au sud d'Auckland, pour que je vienne régulièrement faire des sessions chez eux. Voilà, c'est très ouvert. Je compte optimiser mon temps là-bas. Ce sera un rugby d'hiver (saisons inversées par rapport à la France), mais peu importe. Je vais être au cœur de leur système. J'y vais avec une grande envie, mais très humblement.
«Je suivrai la Coupe du monde au pays du rugby»
Quand rejoindrez-vous Thames Valley ?
Je pars le 4 juillet. Je reviendrai le 27 octobre, à la fin de la ITM Cup.
Vous y serez donc pendant la Coupe du monde au Japon (20 septembre-2 novembre)...
(Gourmand.) Oui, je la suivrai au pays du rugby ! J'imagine ce que ça peut être...
Et après ce voyage, savez-vous ce que vous ferez dans le rugby ?
Je ne vois pas plus loin que cette expérience en Nouvelle-Zélande. Et c'est déjà à l'autre bout de la planète.»
(1) Entraîneur de l'Union Bordeaux-Bègles depuis l'été 2012, Raphaël Ibanez avait annoncé le 13 mars 2017, en accord avec son club, son départ en fin de saison, avant le terme de son contrat en juin 2019.
(2) Même si l'Irlandais Ronan O'Gara est entraîneur de la défense des Crusaders, par exemple.
EN BREF Raphaël Ibañez
Ex-capitaine et talonneur des Bleus (98 sélections).
Équipe de France : en tant que joueur, il remporte quatre fois le Tournoi des Six Nations (2006, 2007), dont à deux reprises avec un Grand Chelem au bout (1998, sous le format des Cinq Nations, et 2002).
Carrière d'entraîneur :le 13 mars 2017, il annonce son départ du poste d'entraîneur principal de l'Union Bordeaux-Bègles, cinq ans après sa prise de fonction. Il emmènera par deux fois les Aquitains à la septième place du Top 14 (2015 et 2016), son meilleur classement.
Modifié par JB 03, 03 avril 2019 - 07:26 .
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