Depuis, il y a eu des plaquages extrêmement limites et restés impunis, comme ceux du capitaine anglais Owen Farrell sur le Sud-Africain Andre Esterhuizen, ou de l'Australien Samu Kerevi sur l'arrière gallois Leigh Halfpenny, lors des tests d'automne.
En France, cette saison, plusieurs plaquages ont provoqué énormément de réactions. Les derniers en date : celui du Racingman Ben Tameifuna sur le Toulonnais François Trinh-Duc le 6 janvier et, dimanche, celui du Toulousain Joe Tekori sur le talonneur de Clermont Yohan Beheregaray. Partout, dans les émissions spécialisées ou sur les réseaux sociaux, les fans de rugby se demandent pourquoi ces deux joueurs n'ont écopé que d'un carton jaune malgré un contact au cou ou à la tête évident.
Et pourquoi d'autres plaquages, qui paraissaient moins dangereux, comme celui d'Ole Avei (Racing) sur Jean-Baptiste Dubié (Bordeaux) ou de Zack Holmes (Toulouse) sur Juan Imhoff (Racing), ont valu des rouges à leurs auteurs. Pourquoi d'autres enfin, comme celui d'un autre Toulousain Richie Arnold sur l'ouvreur de Clermont Nanai Williams, pour ne citer que le cas le plus récent, n'ont même pas été relevés par les arbitres.
Que dit le règlement ?
Il est considéré qu'il y a eu un contact dangereux, dans le cadre d'un plaquage, d'une tentative de plaquage ou d'une autre phase de jeu, si le joueur savait ou aurait dû savoir qu'il y avait un risque d'entrer en contact avec la tête de l'adversaire mais a tout de même effectué ce geste. Cette sanction s'applique même si le plaquage débute au-dessous de la ligne des épaules.Sanction minimale : Carton jauneSanction maximale : Carton rouge
Pour le public, toute la question est là : quelle est la cohérence entre ces sanctions, alors que les instances dirigeantes, World Rugby en tête, appellent à une lutte sans merci contre le jeu dangereux ? À l'issue des tests de juin et de novembre, aucune explication des arbitres n'avait été fournie après les gestes de Tu'ungafasi, Farrell et Kerevi mais le directeur général de World Rugby, Brett Gosper, avait déclaré dans le quotidien anglais The Daily Telegraph : « La seule façon de changer le comportement des joueurs est de les sanctionner d'un carton rouge et nous n'en avons pas vu assez. »
Dernièrement, lors du symposium sur la santé des joueurs, organisé à Marcoussis, du 18 au 20 mars, les dirigeants de World Rugby avaient été plus loin, et avaient tenu à clarifier le barème des sanctions concernant les plaquages dangereux en donnant plusieurs exemples de « bonne conduite »pour les arbitres. L'un d'eux concernait justement le double plaquage subi par Rémy Grosso. « On nous a expliqué que cette action, dans le barème clarifié, devait coûter deux cartons aux Néo-Zélandais, un jaune (pour Cane) et un rouge(pour Tu'ungafasi) », révélait Serge Simon, le vice-président de la FFR, à l'issue des réunions.
« En termes d'arbitrage, le rugby pro n'est pas une bonne école » - Joël Dumé, responsable des arbitres français
Une rectification (un peu frustrante) qui sera suivie prochainement, à condition d'être validée par le prochain comité de World Rugby, d'une nouvelle règle destinée à supprimer ou, a minima, diminuer la zone grise qui existe entre cartons jaunes et rouges, qui agite le monde du rugby régulièrement. En effet, l'arbitre vidéo aurait la possibilité, en cours de match, de transformer un carton jaune en carton rouge. « La proposition, explique Simon, c'est que lorsqu'un joueur sortira dix minutes à la suite d'un carton jaune, l'arbitre-vidéo pourra visionner les ralentis pendant ce laps de temps et décider que le geste mérite un rouge, interdisant ainsi au joueur de retourner sur le terrain. »
On peut donc penser que les instances, qui souhaitent également expérimenter le HTW (high tackle warning) dès la saison prochaine, font tout ce qu'elles peuvent pour lutter contre les plaquages dangereux. Reste que les comportements des joueurs sont longs à changer, et que les arbitres ne sont pas tous au diapason. Le 31 janvier, lors d'un colloque sur la sécurité des joueurs organisée par l'Université Descartes, à Paris, où étudiait le jeune espoir du Stade Français Nicolas Chauvin, décédé à 18 ans des suites d'un double plaquage, le responsable des arbitres français Joël Dumé, un des intervenants, avait tenu un discours étonnant de franchise : « Dans le rugby français, nous prônons la fermeté, avec des sanctions au-dessus de la norme. Le bémol, c'est le Top 14 car les arbitres professionnels (ils sont 18 en France), contrairement aux autres, disposent de l'arbitrage-vidéo qui permet des analyses extrêmement fines et des décisions mesurées. Récemment, le pilier du Racing 92 Ben Tameifuna a reçu un carton jaune après un plaquage dangereux sur François Trinh-Duc. Tout le monde est d'accord : ça valait un rouge. Seulement, l'arbitre, qui veut se prémunir, fait appel à la vidéo et entre alors dans une analyse très précise, selon les préconisations de World Rugby, en oubliant les fondamentaux de la sécurité. Le bon sens aurait voulu qu'il sorte le rouge et nous l'avons souligné en envoyant le clip à tous nos arbitres : "Pour cette action-là, notre barème, c'est le rouge." »
« On l'a aussi soumis à World Rugby en demandant quelle sanction aurait été donnée en match international, avait poursuivi Dumé. Réponse : carton jaune ! Il y a là une véritable incohérence. Le rugby professionnel est un rugby particulier... Des choses sont implicitement validées, des déblayages, des joueurs qui se jettent au sol ne sont pas sanctionnés. C'est comme une latitude donnée au rugby pro pour favoriser une notion de spectacle. Je ne cautionne pas, c'est un état de fait. C'est un rugby particulier, avec des règles mal appliquées, et cela fait partie d'un consensus. En termes d'arbitrage, le rugby pro n'est pas une bonne école... » Autant dire qu'on n'a pas fini, week-end après week-end, de se repasser en boucle les plaquages litigieux et de contester les sanctions.