Une équipe se forge mieux dans la victoire ? Pas toujours ! Si vous cherchez l'un des actes fondateurs à l'élaboration du management selon Fabien Galthié, rembobinez jusqu'à l'été dernier. L'actuel sélectionneur n'était alors qu'un adjoint comme un autre, mais cela ne l'avait pas empêché de sévèrement s'agacer à la suite de la défaite d'Édimbourg (17-14), en match de préparation à la Coupe du monde.
Les raisons de sa colère ? D'abord une mêlée jouée par les Français sur leurs quarante mètres, bien excentrée dans le couloir droit, juste avant la pause (39e). Sous l'ère Brunel, le jeu de passes tricolore relevait surtout du concours de jongles entre otaries de chez Pinder, pourtant, nos vaillants attaquants, parce qu'ils menaient largement au score (3-14), avaient choisi de tenter leur chance.
Après trois transmissions laborieuses, Damian Penaud dégueulait son ballon et offrait à Sean Maitland et sa bande de revenir au tableau d'affichage avant de prendre un avantage définitif lors du second acte. La partie terminée et l'équipe de France battue, Galthié était allé interroger plusieurs joueurs sur l'initiative fatale de fin de première période. Certains avaient avancé qu'il ne s'agissait que d'un match amical et que le jour où le résultat aurait une véritable importance, ils ne tenteraient pas le diable.
Cette réponse avait scotché l'ex-demi de mêlée international (64 sélections) qui avait rétorqué : « Vous y avez souvent gagné, vous, à Murrayfield ? » Le discours en zone mixte n'était pas plus convaincant : l'arrière Maxime Médard expliquait que ses partenaires et lui « auraient aimé gagner, mais qu'ils préparaient une Coupe du monde ». Le pilier Jefferson Poirot, de son côté, arguait que les Bleus étaient « dans une phase où ils tentaient des coups », qu'ils faisaient « des erreurs pour apprendre ».
Ou encore qu'il préférait « être français qu'écossais » à l'issue de cette défaite, au prétexte qu'une semaine plus tôt, à Nice, ils leur avaient passé 30 points (32-3). En une après-midi, la défaite encourageante avait été ressuscitée et le futur patron du quinze de France s'était fait sa conviction qu'il faudrait bousculer les mentalités et l'idée que ces garçons se faisaient de la construction d'un match international.
« Ils ont montré beaucoup de valeurs pour revenir et nous battre. On a pris une leçon, à nous de bien la retenir »
Charles Ollivon, capitaine du quinze de France
Un peu moins de sept mois plus tard, à Murrayfield, le capitaine Charles Ollivon n'avait rien oublié de ce test estival, d'ailleurs évoqué dans l'intimité de Marcoussis plus tôt dans la semaine : « La défaite du mois d'août suffit à nous rappeler que l'on vient dans un contexte compliqué, face à une belle équipe d'Écosse, qui aurait pu et peut-être dû gagner en Irlande (défaite 19-12) et contre les Anglais (défaite 13-6) [...] Elle nous a marqués parce que les Écossais n'ont rien lâché. On menait 3-14, et ils ont montré beaucoup de valeurs pour revenir et nous battre. On a pris une leçon, à nous de bien la retenir. »
L'épisode avait bien plus marqué Galthié qui a, depuis, entrepris sa révolution culturelle en érigeant le pragmatisme comme vertu cardinale du rugby qu'il a conçu pour son pays. L'efficacité et le sang-froid sont aujourd'hui au coeur de l'arsenal stratégique tricolore, autant dans les discours des joueurs saisis par les caméras intrusives de leur intimité que dans le cadre plus formel des conférences de presse. Il n'est plus question de jouer depuis son camp sur conquête directe et de se pincer le nez quand il s'agit de jouer au pied. Certains y verront la disparition d'une forme de romantisme tricolore, d'autres l'abandon d'une indécrottable illusion et la recette gagnante du renouveau français.