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Il est aux alentours de 13 heures, vendredi, lorsque l'entraînement du capitaine prend fin. Au Saut-du-loup, dans le bois de Boulogne, certains joueurs du Stade Français font quelques extras. Passes pour les demis de mêlée et jeux au pied pour les ouvreurs. À près de cinquante mètres face aux poteaux, un ballon s'envole dans le ciel gris et finit sa course entre les perches. Ce coup de pied de «mammouth» est l'oeuvre de la nouvelle pépite de la capitale, Joris Segonds, vingt-deux ans.
Né en 1997 à Decazeville (Aveyron), cet ouvreur râblé (1,80 m ; 91 kg) vit le rêve qui l'a poussé, à l'âge de quinze ans, à quitter le Sporting Club Decazevillois et sa famille pour rejoindre Aurillac. Après avoir gravi les échelons au sein du club cantalou, il est lancé dans le grand bain de la Pro D 2 en 2016, contre Carcassonne. Segonds ne quittera plus jamais l'équipe première. «Il a énormément de qualités individuelles. J'ai fait de mon mieux pour le faire progresser, confie son ex-partenaire d'Aurillac Maxime Petitjean. Quand je suis entré dans le staff, on a passé beaucoup de temps ensemble pour le faire évoluer, et aujourd'hui c'est une fierté de le voir à ce niveau.»
Naturellement doué, Joris Segonds est aussi un gros travailleur. «En présaison, l'année dernière avec Aurillac, nous les buteurs on a décidé de faire un concours de tirs au but. Maxime l'a fait avec nous, comme il venait de prendre sa retraite, raconte Segonds tout en souriant. Punaise, ça me fait encore mal au coeur de le dire, mais c'est lui qui a gagné ! Du coup, dès le lendemain et pendant trois semaines, j'étais tous les matins à 8 heures sur le stade avec les ballons pour m'entraîner à buter.»
«Il peut avoir la pénalité de la gagne à cinquante mètres en coin et il va peut-être penser à la soirée qu'on a prévue (rires). C'est ce qui fait sa force» - Son ami Hugo Bouyssou
Si pour certains la Deuxième Division est une porte vers la retraite, pour d'autres, comme Segonds, elle permet de se forger en tant qu'homme. «C'est évident que sans la Pro D 2 je n'aurais pas tous ces acquis. J'ai énormément progressé avec Max (Petitjean). À Paris, on est plusieurs jeunes à être passés par la Pro D 2 : Arthur Coville (Vannes), Lester Etien et Julien Delbouis (Massy)... c'est très, très formateur.» Et pour Hugo Bouyssou, avec qui il formait la charnière en espoirs à Aurillac, ce n'était qu'une «question de temps» pour jouer au plus haut niveau : «Tout le monde le voyait et tout le monde le savait. Il était au-dessus.» Bien qu'en concurrence au poste d'ouvreur avec deux internationaux, Jules Plisson et Morné Steyn, l'Aveyronnais ne s'est pas gêné pour continuer à brûler les étapes au Stade Français : «Même moi, j'étais surpris de jouer autant en ce début de saison. Ça m'a fait bizarre d'être titulaire dès le deuxième match (à La Rochelle). Pour moi, ce n'est que du bonus, je prends chaque match comme si c'était mon premier.» S'il peut parfois avoir la pression « deux ou trois jours avant le match», elle disparaît le jour J. «Dans le rugby, comme dans la vie, il n'est jamais stressé, raconte son ami Hugo. Il peut avoir la pénalité de la gagne à cinquante mètres en coin et il va peut-être penser à la soirée qu'on a prévue (rires). C'est ce qui fait sa force.»
Même si le demi d'ouverture n'est pas stressé sur le pré, il n'en demeure pas moins superstitieux. «Tout le temps dans mon sac j'ai le même caleçon. Je ne le mets pas, mais il est tout le temps dans la valise. J'ai un cuissard blanc avec lequel je joue depuis trois ans. Je ne peux pas l'enlever, même s'il commence à être déchiré. Et puis je porte le même bracelet depuis cinq ans. Il faut à tout prix que je l'aie, sinon je ne suis pas bien.» À croire que la superstition fonctionne. Parce que Joris Segonds, qui claqua l'an dernier quatre drops dans un match contre Nevers (!), est bien en ce début de saison.
En l'absence de l'Argentin Nicolas Sanchez, parti au Japon pour le Mondial, Segonds avait une belle carte à jouer. Il a su saisir sa chance.
