Merci Vieux Tullois.
Voici l'article
Aux Fidji, une académie pour conserver les talents à domicile
Après seize ans de carrière, notamment en France, l’ancien international Seremaia Bai a créé une école pour porter les espoirs de son pays.
suva (fidji)
C’ est une salle de sport hors d’âge posée au pied de l’ANZ Stadium, le grand stade de Suva, maison des Flying Fijians. En cette fin novembre 2018, au cœur de l’été austral, les stars fidjiennes du rugby, comme Semi Radradra (Bordeaux) sont en Europe, théâtre des tournées d’automne, et s’apprêtent à écrire l’histoire en s’imposant contre les Bleus. Mais un de leurs glorieux prédécesseurs rayonne dans la moiteur : Seremaia Bai, deux Coupes du monde au compteur, 61 sélections avec les Fidji, dirige une séance de musculation, donne le tempo des séances d’abdos, encourage, compte les poids.
Sous ses ordres, des joueurs en formation, comme Laisa et Eneri, rêvent d’une carrière professionnelle. Ils n’écoutent pas n’importe qui : Seremaia Bai, 40 ans, est l’un des héros de la génération 2007, dernière à être allée jusqu’en quarts de finale de la Coupe du monde. Sauf miracle, après la défaite des Fidjiens contre l’Uruguay (27-30), mercredi 25 septembre, ce n’est pas au Japon que ses héritiers se révéleront.
Des journées chargées
Champions olympiques de rugby à VII en 2016 à Rio, les Fidji peinent encore à décoller sur la scène mondiale à XV. Et si leurs ressortissants brillent, c’est sous d’autres maillots : XV de France (Alivereti Raka, Virimi Vakatawa), Australie (Isi Naisarani, Samu Kerevi, Marika Koroibete, Tevita Kuridrani), NouvelleZélande (Sevuloni Reece), ou Angleterre (Joe Cokanasiga). Bai, lui, a fait le choix de rentrer chez lui après huit saisons en France, entre 2006 et 2014, ponctuées de deux boucliers de Brennus avec Clermont (2010), puis Castres (2013), et une ultime pige en Angleterre. « Je suis revenu pour mes enfants, pour mon pays. Je voulais agir sur place pour contribuer au développement des Fidji. » Son ambition débouche sur des journées chargées. Il est agriculteur. « Je viens de planter des pieds de bananiers », raconte-t-il. Et puis, surtout, il est à la tête de sa propre académie de rugby. « Un projet admirable », raconte le Français Franck Boivert, 66 ans, ancien directeur technique de l’équipe fidjienne de rugby et désormais responsable de la détection de talents de la province de Nadroga pour le club de Clermont.
C’est l’histoire d’un rêve : « Voir les Fidji champions du monde de rugby à XV d’ici à vingt ans. » Dans cet archipel du Pacifique, Bai sait que la question n’est pas de révéler les talents, mais de les conserver. Ce projet, il a commencé à y songer en 2007, alors qu’il jouait en France. Il l’a lancé en février 2017. « J’étais prêt à accueillir 80 joueurs. Le jour des détections, ils sont arrivés à 300 », rigole Seremaia Bai. Aujourd’hui, ils sont une centaine. Les filles ont aussi leur place : Bai propose depuis peu une séance à leur destination le samedi. Tout est gratuit. L’ex-joueur porte ce projet à bout de bras. « Au lancement de mon projet, je suis allé voir la fédération et des grandes entreprises. Rien ne s’est passé, tout le monde m’a ignoré. Tout ce qu’on a su me dire c’est : “Continue, nous sommes fiers de toi”. »
Reconversion
Depuis le lancement de l’académie, il estime avoir dépensé 20 000 euros. Un investissement, à ses yeux. « J’ai vu beaucoup de changements dans la vie des enfants. Les parents sont contents.
Certains me disent : “Mon enfant a changé depuis qu’il a rejoint votre programme, il se couche à 21 heures, alors qu’avant il sortait jusqu’à 2 heures.” Pour moi, c’est un succès.
Sans ce projet, qui sait, certains iraient peut-être en prison. Ce qui me fait avancer, c’est éduquer les prochaines générations. »
Avec son pedigree, il aurait pu chercher à s’associer avec un club professionnel. Mais le pourcentage de pensionnaires signant un contrat professionnel n’est pas son critère de réussite. «Avant de penser à former de meilleurs joueurs, je veux aider les hommes à grandir. Après le rugby, ils sont trop nombreux à lutter avec la reconversion. »
Cette académie, il l’a d’ailleurs aussi imaginée comme une béquille pour les légendes de retour au pays : « Je ne veux pas seulement être un exemple, je veux aider les anciens joueurs », explique-t-il, soulignant la face sombre du destin des expatriés : impréparation à la fin de carrière, projets de reconversion inexistants, dépression… « Maintenant, la plupart n’ont pas de travail, ils se sentent perdus. Ils vivent dans le stress. » Cinq entraîneurs s’investissent déjà à ses côtés.
Les premiers dividendes tombent : six joueurs de son académie ont intégré des écoles au Japon et en NouvelleZélande, deux ont reçu une bourse pour aller étudier en Angleterre, un autre a été sélectionné avec les Fidji des moins de 20 ans et, en décembre, il enverra deux équipes en Nouvelle-Zélande pour la Coupe du monde scolaire à VII.
Une première victoire pour Bai :
« Je suis triste de ne pas obtenir de la fédération ou du gouvernement le soutien que je pourrais espérer. Mais je dois être courageux pour les Fidji, pour l’avenir de ce pays. Quand tu veux faire quelque chose de bien pour changer des vies, tu dois traverser des épreuves. »
Grégory Letort
Modifié par JB 03, 02 octobre 2019 - 05:26 .
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