Thibaud Flament, le Français qui joue en Angleterre : but alors you are French ? Ex-étudiant en Angleterre, formé en Belgique à l'ouverture et passé par l'Argentine, ce Français est devenu cinq ans et vingt kilos plus tard deuxième-ligne aux Wasps, club anglais de Première division.
Il y a cinq ans, Thibaud Flament mesurait déjà deux mètres mais pesait vingt kilos de moins (90 kg), n'avait jamais mis les pieds dans une salle de musculation et jouait ouvreur dans l'équipe des moins de 18 ans de l'ASUB, le club de ses débuts, à Bruxelles. « J'aimais ça, c'était facile, j'étais le plus grand et le plus costaud. » Aujourd'hui, après avoir disputé la finale du Championnat argentin 2018 avec le club de Newman, il est le seul Français à évoluer en Premiership, le Championnat anglais, au poste de... deuxième-ligne et, deux mois après avoir rejoint le centre de formation des Wasps, l'équipe basée à Coventry, il a intégré cet automne, à 22 ans, le groupe professionnel.
En dix rencontres, il est devenu la doublure quasi officielle de l'international anglais Joe Launchbury et étonne tant par son abattage au plaquage que par son amour du jeu lui qui, l'autre jour, a réussi une passe en arrière entre les jambes, directement pour son ouvreur. « Certains de mes entraîneurs m'ont dit de ne jamais recommencer ; d'autres que c'était très bien joué ! » Il rigole. « Quand je suis arrivé en Angleterre, en 2015, j'étais ouvreur de l'équipe 5 (la moins bonne) de l'université de Loughborough. Quelques mois plus tard, on m'a réorienté au poste de deuxième-ligne. J'ai dû réapprendre le rugby. Au début, quand on faisait des cellules de trois avants et que je recevais la balle, je jouais ça comme un deux contre un. Je voulais passer la balle au lieu de rentrer dans le tas ! »
Né à Paris, Flament n'a jamais vécu en France mais à Singapour, où son père travaillait dans l'informatique avant de devenir directeur d'un club de tennis, son rêve, en Belgique. « Mais j'ai étudié au lycée français de Bruxelles, précise Thibaud, ma famille a toujours voté en France et je vais souvent voir mes grands-parents et mes cousins à Paris. » L'Angleterre, c'était surtout l'unique moyen de tenter l'aventure du rugby, sa passion, lui qui à l'adolescence passait des heures dans sa chambre à envoyer un ballon sur un coussin cible, de plus en plus loin, et notait soigneusement ses points sur un carnet. « Pas un club ne m'aurait pris en France sans être passé par un centre de formation, alors j'ai cherché la meilleure université de rugby en Angleterre. » Il s'inscrit en business international, à Loughborough, et découvre des infrastructures délirantes : terrains, salles de fitness, bains de récupération, nutritionniste, psychologue... « Même aux Wasps, c'est moins bien. »
Après quelques matches, les entraîneurs le changent de poste et lui fixent comme objectif de terminer en équipe 1, qui participe à la Troisième Division du Championnat anglais, à la fin de ses quatre années d'études. L'année suivante, il est intégré au groupe « performance » (équipes 1 et 2) et progresse au rythme de trois entraînements par semaine auxquels s'ajoutent trois séances de musculation, les premières de sa vie. Mais c'est lors de la troisième année, qu'il va passer à l'étranger pour un stage, qu'il franchit un cap et se révèle, surtout à lui-même. « J'ai choisi l'Argentine, parce que je parlais déjà un peu espagnol, et aussi pour le rugby. »
« J'entrais seul dans une zone d'énervement et j'ai senti que ce n'était pas sain. J'ai décidé de changer en voyant comment les Argentins se transmettaient de la chaleur humaine »
Il débarque avec un seul contact en poche, celui du manager du club de Newman, dans la banlieue de Buenos Aires, qui vient le chercher à l'aéroport à 6 heures du matin. Il passe sa première journée au club, rythmée par les matches qui s'enchaînent, de celui des enfants à celui des seniors, et au cours du traditionnel asado (le barbecue autour duquel tout le monde se retrouve), il reçoit plusieurs propositions d'hébergement. Quelques jours plus tard, il dégote un stage au service commercial de l'ambassade de France. La façon de vivre le rugby en Argentine le saisit de plein fouet et il raconte, les larmes aux yeux, la force qui se dégage des discours d'avant-match, la chaleur des vestiaires où on entend les réservistes chanter et taper sur la porte pour encourager ceux qui vont entrer sur le terrain, le regard des enfants au bord du terrain... « Je voulais performer et je me mettais énormément de pression. Au début, je m'enfermais dans ma bulle, un casque sur les oreilles, parce que j'avais vu ça à la télé, en France et en Angleterre. J'entrais seul dans une zone d'énervement et j'ai senti que ce n'était pas sain. J'ai décidé de changer en voyant comment les Argentins se transmettaient de la chaleur humaine. »
Pour s'aider, il « bidouille des techniques de préparation mentale », trouvées sur Internet. « J'ai toujours aimé travailler sur moi. Je notais sur un cahier le constat - ce défaut d'être réservé, fermé aux émotions - et sur une autre page, les solutions. Pour mettre à distance le "moi "que je voulais changer, je lui avais donné un nom : Bob ! » Cette nouvelle approche, où il cherche à profiter de tout, du match gagné ou perdu, des copains, de l'asado, change son jeu. « Je me suis épanoui sur le terrain, les gens me le disaient, ça me donnait confiance. » Un an plus tard, après avoir disputé la finale du Nacional de clubs devant 20 000 spectateurs au stade de Velez Sarsfield, juste après un match des Jaguares (la franchise argentine de Super Rugby), il rentre en Angleterre en juillet 2018, la tête pleine des mots de l'entraîneur de Newman, prononcés avant le match : « Quand tu seras dans l'avion du retour, tu penseras à nous comme à ta famille, tu appartiens au club de Newman maintenant et tu seras toujours le bienvenu. »
« Franchement, et même si on m'a conseillé de ne pas le dire et que je dois beaucoup à ce pays, je me vois mal avec la Rose sur le maillot, chanter « God Save the Queen »
De retour au Royaume-Uni où, « pour une raison que je ne m'explique pas, les Anglais peuvent être hyper sympas un jour et ne pas te calculer le lendemain », il n'est plus tout à fait le même, surtout qu'il a passé l'intersaison de l'hémisphère sud à courir et à se muscler. Intégré à l'équipe première pour sa dernière année de bachelor, il est repéré par les Wasps qui lui proposent un contrat espoir en janvier. « Il fallait signer dans les 24 heures, je n'avais pas d'agent et j'étais complètement à la bourre pour mes révisions des partiels. J'ai demandé du temps mais on m'a répondu que c'était ça ou rien alors j'ai dit "non, tant pis ". » Pourtant, deux mois plus tard, le club de Coventry réitère sa proposition et sa licence de business international en poche, Flament s'engage pour deux ans.