Mis à part aux premières heures, quand les étudiants, les grands bourgeois et les aristocrates pratiquaient ce sport, l'hypocrisie a souvent régné. L'Angleterre enfanta le rugby à XIII en justifiant les émoluments des ouvriers qui, libérés le samedi après-midi par le Factory Act depuis 1880, louaient leurs services au club le plus offrant. Seuls les Écossais, les Irlandais et aussi plus tard les Argentins, mirent un point d'honneur à rester fidèles à l'idéal d'amateurisme jusqu'en 1991 et l'avènement de la deuxième Coupe du monde au Royaume-Uni et en France.
Parlons-en, de la France : après avoir quitté Le Havre pour Paris, le rugby dévia dès le début du siècle dernier vers un professionnalisme déguisé, des salaires qui ne disent pas leur nom distribués en toute impunité à des entraîneurs et des joueurs attirés par cette manne. Le premier Tournoi des Cinq Nations, auquel l'équipe de France a été conviée, venait juste de prendre fin quand un scandale faillit mettre un terme à cette promotion. Dès 1910, personne n'imaginait ce qu'une petite annonce publiée en Écosse allait déclencher. Rédigée par l'entraîneur gallois du Stade bordelais université club (SBUC), William Priest, dans The Scottish Referee de Glasgow, il y était question d'un emploi bien rémunéré pour un demi d'ouverture de bon niveau.
Un dénommé Bowman répondit à l'annonce. Priest, prenant naïvement contact avec des clubs écossais afin de savoir ce que valait cette possible recrue, mit la fédération écossaise en alerte. Ulcérés par ce qu'ils considéraient comme un manquement aux bonnes manières, les dirigeants calédoniens n'eurent de cesse de demander une sanction pour l'exemple. Ils parvinrent à leurs fins en 1912 : trois dirigeants du SBUC furent radiés. Mais le doute, comme un poison, continua d'habiter la Scottish Union au point qu'elle demanda, après un test-match houleux à Colombes un an plus tard, que la France soit exclue du Tournoi pour mauvaise conduite.
En réponse, l'Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA), qui régissait le sport en France, créa une licence spéciale pour les étrangers, et ceux qui monnayaient leurs talents - Harry Owen Roe (Bayonne), Tom Potter (Pau), Percy Bush (Nantes), Leslie Hayward (Tarbes), ainsi que Priest - furent radiés. Après la guerre de 1914-1918, le nettoyage des écuries d'Augias se poursuivit : l'arrière Jean Caujolle, international avant-guerre passé de Tarbes à Saint-Girons avec la promesse d'une opportunité professionnelle, se vit à son tour privé de licence. La Fédération française de rugby créée, le Tournoi des Cinq Nations pouvait alors reprendre.
Mais en 1924, l'ancien ailier international Pierre Failliot, héros de la première victoire française dans le Tournoi - en 1911 face à l'Écosse - dénonça dans la presse les petits arrangements en ces termes : « Pour avoir une forte équipe, il faut posséder de bons joueurs. Ceux-ci sont sollicités, des avantages sur lesquels je ne veux pas m'étendre leur sont offerts. Aussi changent-ils de club avec une facilité déconcertante. » Embarrassée devant le fait accompli, la FFR adopta illico un règlement draconien pour endiguer les mutations d'un club à l'autre. Cent cinquante licences furent bloquées, dont celles de plusieurs internationaux. Des sanctions de courte durée.
À cette époque, le chapelier Jean Bourrel, richissime industriel qui possédait une écurie de chevaux de course, construisit son usine à Quillan (Aude) et décida de créer de toutes pièces une grande équipe de rugby. De modeste champion de France de série régionale en 1922, Quillan devint en quatre saisons - malgré avoir été rétrogradé d'une division pour « racolage » - le club le plus craint. Pour cela, le président Bourrel recruta les meilleurs joueurs de Perpignan (dont l'entraîneur Gilbert Brutus, Marcel Baillette et Eugène Ribère) et les futurs internationaux Amédée Cutzach et Marcel Soler (Thuir), ainsi que Jean Galia (Villeneuve-sur-Lot), qui fondera peu de temps après la Fédération de rugby à XIII, ouvertement professionnelle. « Tous les dimanches, nous offrions un chapeau de la marque Thibet à un membre du public, racontait en 1996 Jean Bonnet, seul Quillanais pure souche de l'équipe, ancien boulanger et dernier survivant de cette période. Monsieur Bourrel avait payé un ouvrier à mon père en dédommagement de mes absences. Les autres joueurs avaient une place assurée à l'usine. » Et d'importantes primes de match.
Finaliste en 1928, Quillan fut sacré champion de France l'année suivante et les joueurs reçurent « un chronomètre à gousset en or qui correspondait au moins à quatre mois de salaire », précise Jean Bonnet. La saison suivante, Quillan disputa sa troisième finale d'affilée. Personne ne sait pourquoi le président Bourrel se lassa ensuite de sa « danseuse ». Quillan retourna dans le relatif anonymat du rugby régional, d'où il n'est pas sorti.
Dans ces « Années Folles », informés par les dirigeants de six clubs français (Stade Français, SBUC, Toulouse, Bayonne, Perpignan, Pau) de l'existence de salaires déguisés - 50 000 francs annuels de l'époque pour un international étranger - les Home Unions, comité chargé de diriger le Tournoi, adressèrent un sévère avertissement à la FFR. Entre temps, les six, rejoints par Lyon, Grenoble, Limoges, Biarritz, Carcassonne, Nantes, Tarbes et Narbonne, s'étaient comptés quatorze pour fonder l'UFRA (Union française de rugby amateur) après avoir quitté la FFR. Cette sécession précipita la rupture, le 2 mars 1931, entre les Home Unions et la France.
Privée de Tournoi, menacée par l'expansion du XIII et la création de Championnats dissidents dans le Midi et au Pays basque, la FFR signa un protocole d'accord avec l'UFRA pour réhabiliter l'amateurisme dans les textes. Pieuse illusion. « Pour conserver nos joueurs amateurs, nous sommes obligés de les payer double », nota, désabusé, Marcel Laborde, président de Perpignan. Les clubs sécessionnistes revinrent dans le giron fédéral tandis que le rugby à XIII, professionnel, prenait son essor avec l'agrément, signé en 1938, du gouvernement du Premier ministre Camille Chautemps, ancien pilier du Stade Français.
Une deuxième fois mise au ban, 1931 après 1913, pour faits de professionnalisme, la France ne fut réintégrée dans le Tournoi qu'en 1947. À cette époque, le FC Lourdes, finaliste malheureux, se construisait, comme Quillan avant lui, une grande équipe en recrutant de l'Aude au Pays basque : Roger Martine, les frères Labazuy, les frères Lacaze, les frères Manterola, Henri Rancoule, Eugène Buzy, Jean Estrade, Guy Calvo, Robert Soro... Le président-mécène et sénateur-maire de la cité mariale, Antoine Béguère, assurait aux nouveaux venus la gestion voire l'achat d'hôtels, de restaurants et de commerces.
« L'avantage avec l'argent du rugby, c'est qu'il n'était pas déclaré »
Roger Martine, ancien centre du FC Lourdes
Entre 1946 et 1960, Lourdes, magnifique machine à gagner, disputa neuf finales du Championnat de France et décrocha sept titres... « Lors des matches amicaux, que ce soit au début, en fin de saison ou pendant les fêtes, nous nous déplacions au complet moyennant des primes. Un jour, nous avons reçu l'équivalent de 8 000 nouveaux francs chacun, ce qui était considérable, expliquait le centre international Roger Martine. Nous obtenions un complément mensuel conséquent, auquel s'ajoutait le salaire versé par notre employeur, car nous avions tous un travail régulier. » La plupart du temps dans une entreprise qui appartenait à l'un des bienfaiteurs du club. « L'avantage avec l'argent du rugby, c'est qu'il n'était pas déclaré », sourit Roger Martine.
De nouveau champion de France en 1968, Lourdes déclina saison après saison quand, dans le même temps, Béziers amorçait son ascension. Là aussi, un président-mécène, Georges Mas. Ses sociétés employaient 2 500 salariés. Il construisit le Cap d'Agde mais fut écroué en 1974 pour infractions aux lois sur les sociétés commerciales, escroquerie et banqueroute... En attendant, Béziers récolta son premier titre en 1961. Dix autres suivirent jusqu'en 1984. Le « salaire mensuel » fixe, pour les internationaux, s'élevait à plus de 3 000 francs. La prime de match débutait à 1 250 francs durant la saison pour monter à 2 500 francs en phase finale. « Nous recevions l'enveloppe le mercredi, à l'entraînement suivant », n'a pas oublié l'ancien troisième-ligne aile international Olivier Saïsset, qui deviendra ensuite entraîneur du club. Lors de la finale 1978 contre Montferrand, cet extra sera même doublé. Les Biterrois l'emporteront, 31-9. Mais ils apprendront, plus tard, que la prime prévue pour leur adversaire en cas de victoire était de 10 000 francs, soit le double de la leur, comble d'ironie.
Quand on évoque l'ère amateur, l'hypocrisie des Anglo-Saxons est un exemple de maîtrise. Le premier fait connu d'entorse remonte à 1889 et la tournée des Maoris en Grande-Bretagne. Les « Natifs » néo-zélandais, ainsi qu'ils se nomment, disputent quatre rencontres par semaine pour un total de soixante-quatorze matches, un record, et perçoivent un pourcentage sur la recette, pratique aussi novatrice que secrète qui s'étendra vite... Ce fut ensuite les enveloppes de livres sterling distribuées à la fin des matches dans le Yorkshire et le Lancashire, dès 1880, au point qu'en 1893, deux internationaux gallois, David et Euan James, sont classés «professionnels» et donc radiés du quinze après avoir été payés par le club des Broughton Rangers. Trois ans plus tard, les admirateurs du centre international Arthur Gould, parmi lesquels se trouve la fédération galloise (sic), ouvrent une souscription, laquelle, sous la pression du Board, est annulée mais se transforme en achat d'une habitation : la « star » du Poireau y élira domicile en 1897... En 1905, les All Blacks du capitaine Dave Gallaher, sponsorisés par une marque de cigarettes (BDV) pour leur tournée dans l'hémisphère nord, touchent aussi un manque à gagner quotidien - c'est interdit par l'International Board - et demandent à être grassement payés par l'USFSA (ancêtre de la FFR) pour affronter le quinze de France le 1er janvier 1906 : rien d'anodin puisqu'il s'agit du premier test-match de l'histoire du rugby français ! La suite est à l'avenant... R. E.
En vingt ans, les salaires des joueurs de l'élite ont presque quadruplé. Une augmentation liée à l'arrivée de plusieurs mécènes qui, chacun à leur façon, ont dérégulé le marché.
« La progression des salaires va s'atténuer, à court terme, certains clubs arrivent à leur maximum. » La phrase, signée Pierre-Yves Revol, alors président de la Ligue nationale de rugby (LNR), remonte au... 3 novembre 2009. À l'époque, le salaire moyen en Top 14 est de 11 500 euros brut. Il a déjà doublé en cinq ans. Dix ans plus tard, il tourne autour de 20 000 euros brut avec une inflation constante (voir notre infographie).
Une flambée qui a comme point de départ la professionnalisation du rugby, en 1995. Vrai sur le papier puisqu'il y a désormais un document écrit qui formalise l'engagement entre le joueur et le club. Mais les enveloppes de cash continuent de circuler. « À l'étranger, l'approche a été plus efficace, éclaire un avocat spécialisé dans le droit du sport. L'argent a été investi dans le système pour produire de très bons joueurs. En France, les clubs ont toujours été habitués à avoir de l'argent pour surpayer les joueurs et donc entretenir ce système inflationniste. » Didier Codorniou, star des années 1980, avait quitté Narbonne pour Toulouse, en 1986, pour 20 000 francs mensuels (environ 3 000 euros). Une somme démesurée à l'époque. Mais à partir des années 2000, l'explosion des salaires répond très souvent au même mécanisme, à savoir l'arrivée de mécènes.
Deux hommes caractérisent ce basculement à l'orée des années 2000. Max Guazzini d'abord. L'ancien directeur de NRJ reprend le Stade Français en 1992, mais accélère sa montée en puissance à partir de 1996. Puis Louis Nicollin, qui sauve Béziers en installant son fils Olivier à la présidence du club (1999). C'est la première vague. Plusieurs sources confirment : « Guazzini payait beaucoup, le cash circulait. »« Il (Guazzini) achetait aussi des voitures aux joueurs pour les inciter à rester, sourit un ancien dirigeant parisien. Il filait son chéquier et le mec pouvait passer chez Renault choisir le modèle de son choix. »
Louis Nicollin, qui détient également le club de foot de Montpellier (MHSC), franchit un nouveau cap en arrachant Richard Dourthe à Dax (2000). Premier transfert du rugby et salaire confortable à la clé. L'international français (31 sélections) ne s'en est jamais caché. « On m'a traité de mercenaire toute ma carrière et je ne m'en porte pas plus mal. Forcément quand on aime ce sport, on veut aller le faire dans le club qui nous paie le mieux », racontait le consultant de Canal + sur le plateau du Late Rugby Club, le 30 novembre dernier.
« C'est un peu comme un business de proxénétisme. Il y a un mac qui occupe l'adresse du 138 et il faut attirer les clients au 142. La seule arme pour les nouveaux entrants, c'est de mettre de l'argent pour recruter de meilleurs talents. »
Un juriste
La seconde vague déferle à partir de 2006 avec les arrivées de Mourad Boudjellal à Toulon et Jacky Lorenzetti au Racing 92, tous deux en Pro D2. Les deux chefs d'entreprise vont entretenir une guéguerre sur le marché des mutations. « C'est un peu comme un business de proxénétisme, image un juriste. Il y a un mac qui occupe l'adresse du 138 et il faut attirer les clients au 142. La seule arme pour les nouveaux entrants, c'est de mettre de l'argent pour recruter de meilleurs talents. Boudjellal et Lorenzetti n'ont fait qu'appliquer ce que Nicollin et Guazzini ont fait. » À savoir casser le marché en surpayant les joueurs. « Un joueur qui valait dix pouvait espérer toucher quinze en rejoignant ces clubs », glisse l'agent sportif Miguel Fernandez.
Boudjellal se paie à prix d'or Tana Umaga (2007) ou Jonny Wilkinson (2009), notamment. Lorenzetti réplique avec le duo Chabal-Nallet (2009). Sébastien Chabal, salaires et contrats pubs compris, flirterait avec les deux millions d'euros la saison. Du jamais vu. Et personne n'a fait mieux jusqu'ici. Pas même Daniel Carter, dont le package est estimé à 1,6 million d'euros à l'année lors de son passage au Racing (2015-2018). Mais les « stars » ne sont pas les seules à « profiter ». L'ouvreur Jeff Dubois double ainsi son salaire en passant de Toulouse au Racing (2007).
L'arrivée de Mohed Altrad à Montpellier en 2011 achève de compléter le tableau. Les « bonus » en tout genre deviennent monnaie courante pour remporter la bataille. Primes diverses et variées plus week-end tout inclus dans un palace parisien pour Boudjellal, achat immobilier pour Lorenzetti (il avait notamment tenté de convaincre Mathieu Bastareaud en proposant une maison à la mère de ce dernier) ou encore la construction d'un hôpital en Afrique du Sud promis par Altrad à Jannie Du Plessis. « Parfois, l'un fait monter les enchères juste pour emmerder l'autre », sourit l'agent sportif Laurent Quaglia. En 2014, Lorenzetti fera les yeux doux à Matt Giteau (Toulon). Boudjellal répliquera l'année suivante en offrant 1,2 million d'euros à Carter pour contraindre le président des Racingmen à casquer encore plus. « Si Carter avait accepté, je n'aurais pas pu le payer », rigole encore l'ancien président du RCT.
Pour beaucoup, Carter a été un déclencheur lors de son premier passage en France, à Perpignan (2008-2009). Un intérim à 700 000 euros les sept mois, qui a permis de poser un tarif. Boudjellal pensait avoir remporté le pot. Mais Paul Goze, alors président de l'USAP, rafle la mise avec une surenchère de dernière minute. Preuve que d'autres clubs peuvent aussi allonger la « caillasse ». Le Biarritz Olympique de Serge Blanco, financé par Serge Kampf, s'est aussi monté une « dream team » entre 2004 et 2012.
Castres, soutenu par les laboratoires Fabre, n'est pas en reste. « Si beaucoup de joueurs ont quitté Toulouse pour Castres, ce n'est pas pour le jeu prôné par le CO », tacle un ancien toulousain. Le club tarnais a également réussi quelques gros coups comme l'exfiltration de Sitiveni Sivivatu de Clermont en 2014 en jet privé avec un salaire de plus de 40 000 euros mensuels. La même année, Castres retient aussi Rory Kockott, qui a pourtant signé un pré-contrat au RCT. Coût de l'opération : 300 000 euros de clause de dédit et un salaire également supérieur à 40 000 euros mensuels pour le demi de mêlée. De facto, cela engendre une poussée inflationniste des salaires de l'ensemble de l'effectif.
« Avant, il y avait Toulouse, Biarritz et le Stade Français à la bagarre. Aujourd'hui, dix clubs sont capables de mettre 500 000 euros la saison sur un joueur. »
Laurent Quaglia, agent sportif
Un autre club joue un rôle plus discret, mais tout aussi important : Clermont. Les salaires atteignent des niveaux quasi identiques qu'au Racing et consorts (Morgan Parra et Aurélien Rougerie flirtent avec les 50 000 euros mensuels). Même le Stade Toulousain, avec sa fameuse grille de salaires, est obligé de dévier sa politique pour attirer des stars et conserver ses meilleurs éléments. « Avant, il y avait Toulouse, Biarritz et le Stade Français à la bagarre, pose Quaglia. Aujourd'hui, dix clubs sont capables de mettre 500 000 euros la saison sur un joueur. »
Conséquence : les joueurs deviennent plus volages et profitent du système. « L'inflation des salaires s'explique aussi parce que les joueurs sont moins fidèles qu'avant », pense Fernandez. Une forme de chantage fait son apparition. Du genre : « Si je ne suis pas augmenté, je me barre. » Le temps où Émile Ntamack prolongeait six ans à Toulouse est révolu. Beaucoup de joueurs se retrouvent « en contact » avec Toulon, le Racing ou Montpellier afin de mieux renégocier leur contrat.
Mais les joueurs ne sont pas des profiteurs pour autant. Ce sont les présidents qui, in fine, leur proposent des salaires si élevés. Sur les dix dernières années, plusieurs barrières psychologiques ont été franchies. Celle des 10 000 euros mensuels, puis 20 000, 30 000, etc. Dernier exemple en date avec le rachat du Stade Français par Hans-Peter Wild. Dès son arrivée, il a prolongé « hors marché » les enfants du club comme Jules Plisson et Jonathan Danty (entre 30 et 40 000 euros mensuels) puis s'est offert Gaël Fickou (salaire estimé à 60 000 euros).
La montée en flèche des salaires est mécaniquement liée à l'augmentation des budgets des clubs de l'élite (de 9,7 M€ en moyenne en 2005 à 27,6 M€ aujourd'hui) et des droits TV (de 19,5 M€ la saison en 2003 à 97 M€ actuellement). En offrant plus de spectacle, les clubs ont répondu aux attentes du diffuseur, de leurs supporters et donc augmenté leurs recettes pour... dépenser plus. Mais c'est finalement l'instauration d'un règlement par la LNR, la limitation du nombre de JIFF (joueurs issus des filières de formation) par feuille de match (à partir de la saison 2010/2011), qui engendra incidemment une nouvelle flambée des salaires. « En imposant règlementairement une condition à un acteur économique d'un marché, qui n'est pas lié à sa performance, une bulle spéculative s'est créée, détaille Fernandez. L'impact a été fort. »
Les salaires des JIFF ont grimpé de 20 à 30%. Jusqu'à atteindre le paradoxe suivant : un joueur « moyen » mais JIFF est devenu plus cher qu'un très bon joueur non JIFF. Les exemples sont nombreux et certains ont presque fait jurisprudence. Sans oublier que dans le vestiaire, chacun sait ce que l'autre gagne. Avec Antoine Guillamon (plus de 30 000 euros mensuels), Yacouba Camara, Fulgence Ouedraogo et Alexandre Dumoulin (tous au-dessus des 40 000 euros), le MHR d'Altrad détient la palme du club qui « surpaye ».
Même chez les plus jeunes, la surenchère existe. « Avant ses débuts en Top 14, mon fils a reçu des propositions colossales, dévoile le père d'un international français. Certains clubs ont cassé le marché et rendu les choses complètement folles. » Vu de l'étranger, le Top 14 est considéré comme un eldorado. En 2014, lors d'une conférence de presse des Wallabies, Israel Folau et Matt Toomua se frottent les mains et répètent « money, money » quand ils apprennent que nous venons de France.
Mais la donne est en train de changer. Avant même la crise du Covid-19, qui va obliger les clubs à baisser les salaires, certains avaient déjà réduit la voilure. « Ça se calme », prévient Fernandez. Une régulation naturelle des salaires s'est mise en place, notamment grâce au salary cap (lire épisode de mercredi). Il y a moins d'écart entre les clubs, même si certains sont toujours capables de faire l'effort sur un ou deux gros dossiers. Les grilles de salaires commencent à se niveler. Toulouse en est revenu et a gagné un titre... Certes, le Top 14 paie encore correctement, mais l'Angleterre et surtout le Japon sont devenus encore plus attractifs. Si les stars toucheront toujours de gros chèques en France, c'est la rémunération moyenne du commun des joueurs qui devrait subir un coup de scalpel.