« Depuis combien de temps êtes-vous installé en Australie ?
On est partis de Lyon le 8 décembre. On va scolariser les enfants, ici à Sydney, les sept prochains mois. J'avais prévu de multiplier les allers-retours avec la France mais avec l'aggravation de la pandémie ça va être compliqué. Impossible de sortir du territoire australien sans courir le risque de ne pas pouvoir revenir.
Comment est la situation sanitaire à Sydney ?
Depuis dix jours, il n'y a pas de nouveau cas de Covid à Sydney. Ils sont hyper stricts et ne laissent rentrer que 3 000 personnes par semaine sur le territoire. Quand tu arrives, c'est 14 jours de quarantaine obligatoire. Dès qu'il y a des cas de Covid, ils ferment par quartiers. À Noël, les plages du nord de Sydney, Bondi et autres, étaient toutes fermées pendant quinze jours. Les gens étaient confinés chez eux, la ville était déserte.
Vous avez fait quatorze jours de quarantaine ?
Oui, pas le choix. C'était difficile de tenir nos trois fistons à l'hôtel. Mais on était content d'être arrivés en Australie. Pouvoir prendre l'avion, c'était déjà un exploit. Durant le premier confinement de mars, Cindy (son épouse, Sud-Africaine naturalisée Australienne) avait été privée de sa famille. Cette fois, on a inversé. Pour nos deux grands, Hugo (8 ans) et Jasen (6 ans), c'est un nouveau chalenge : ils sont rentrés à l'école vendredi. Marlon (1 an) est encore trop jeune.
Vous avez rejoint le staff des Roosters, champions d'Australie de rugby à XIII en 2018 et 2019...
Yes ! Je suis content de me rapprocher du terrain. J'interviens sur les skills (technique individuelle). Par exemple les attitudes techniques à la passe. À XIII, le numéro 9 (talonneur) est amené à effectuer beaucoup de passes depuis le sol. L'idée est d'affiner et d'optimiser leur gestuelle. Je travaille aussi sur les placements ou certaines facettes du jeu au pied, tels que les drops, car ils ont un spécialiste des pénalités. Et puis également sur la lucidité technique en phases de "surfatigue".
Les règles viennent d'évoluer en NRL (National Rugby League, le Championnat d'Australie en rugby à XIII). On va passer de 58 minutes à près de 65-70 minutes de temps effectif de jeu, contre 35 min en Top 14 ! Au bout de six "tenus", si l'arbitre met une pénalité, il ne va pas arrêter le jeu qui demeurera continu, quasi en permanence (*). Le but est que les gars puissent continuer à effectuer des passes propres en dépit de leur fatigue. Et, aussi, de les aider à demeurer créatifs après quinze temps de jeu. À certains postes, certains effectuent plus de 40 plaquages par match ! Imaginez la perte de lucidité que ça peut engendrer.
« Même si le XIII est ultra-physique, il y a de la place pour l'intox, la vélocité et la prise d'initiative »
Comment enseigne-t-on à un mec crevé à rester créatif ?
J'élabore des scénarios de match avec des répétitions de courses ou des phases de lutte que les gars doivent enchaîner par un travail de passes. Il y a le geste des mains mais pas seulement : ils apprennent à jouer sur leurs regards ou la position de leurs appuis pour donner de fausses informations aux défenseurs adverses. Même si le XIII est ultra-physique, il y a de la place pour la dimension "acting" et l'intox, la vélocité et la prise d'initiative. Avec la fatigue, des brèches se créent dans les systèmes défensifs. Leurs numéros 7 (demi de mêlée, l'équivalent du demi d'ouverture au 15) ont aussi des options de jeu au pied pour apporter de l'incertitude dans les lignes de défense. On travaille à rendre les joueurs plus polyvalents à chaque poste. Le Championnat reprend le 11 mars, on a six semaines de préparation intense. C'est agréable d'avoir le temps de bosser : courses, rugby et énormes sessions de lutte. Le "wrestling" (lutte) est capital pour les plaquages à deux. On part bientôt en "bootcamp" (camp de cohésion), à Brunswick Heads, dans le nord de la New South Wales.
La modification des règles vise à rendre le XIII plus télévisuel ?
Oui, mais ça le rend aussi plus attractif côté jeu. Ces nouvelles règles encouragent le jeu et les initiatives. Pas comme au quinze, où la vidéo est surutilisée : au moindre plaquage ou geste litigieux on fait appel à la vidéo, ça brise le "momentum", rend les matches de plus en plus ennuyeux à jouer et à regarder. Les arbitres prennent donc plus de responsabilités à XIII, sans avoir recours à la vidéo à tout moment. Les équipes vont jouer plus de six "tenus", même vingt d'affilée s'il le faut. Faudra qu'elles soient capables de sortir du cadre stéréotypé des séquences de jeu, être aptes à s'adapter à des situations différentes. C'est super intéressant de les aider à rechercher les espaces.
Le XIII tend à se rapprocher du rugby à 7 ou du XV ?
Difficile à dire, c'est si spécifique : il y a beaucoup de phases de lutte, les courses en navette sont ultra-intenses. On recule de dix mètres en défense, puis bim ! Un impact ! Il y a des phases de transition en permanence. Le XIII m'impressionne athlétiquement et techniquement, il y a très peu de ballons qui tombent. Le XV s'inspire déjà beaucoup du XIII sur les blocs, sur les mouvements entre avants et trois-quarts.
« Ma relation avec le manager général Trent Robinson est géniale. Quand il a su que j'étais à Sydney, il m'a dit : "Fred, tu es le bienvenu chez nous" »
Vous continuez d'apprendre ?
C'est ça, l'essentiel est là : continuer d'apprendre. Toujours. Je suis heureux de me rapprocher du terrain. Et puis ma relation avec le manager général Trent Robinson est géniale : à ses côtés, j'apprends et je me régale. C'est un technicien mais aussi un mec avec une quête spirituelle, il fait faire du yoga ou de la relaxation aux gars. Chaque présaison, il développe un thème lors de ses causeries. Cette année, sa réflexion porte sur l'esprit des "combattants". Il a parlé aux gars des légionnaires romains, des Troyens, puis des moines Shaolin et du kung-fu en développant des aspects passionnants. On se connaît depuis un moment et on échangeait beaucoup. Quand il a su que j'étais à Sydney, Trent m'a dit : "Fred, tu es le bienvenu chez nous".
Vous avez mis fin à votre contrat avec le LOU avec une certaine élégance...
Je n'ai aucune gloire à en tirer. Sachant combien la situation allait être difficile pour le club, s'il y avait des postes à sauver en urgence, ce n'était pas le mien mais des postes administratifs essentiels. Ma fonction, qui ressemblait plus à du consulting, n'était pas indispensable. J'ai fait part de cette réflexion au président du club Yann Roubert, avec qui j'entretiens de bonnes relations. On s'est dit que si la situation s'améliore, on en reparlera.
D'autres que vous se seraient accrochés à leur salaire...
Je peux les comprendre. On se doit de penser à sa famille et à ses enfants, à leur sécurité. J'ai la chance d'être consultant pour Canal +, de développer d'autres activités, par exemple avec Sport Unlimitech, le salon sur l'innovation par le sport. Hélas, là encore, avec la pandémie, le secteur de l'événementiel est très affecté. Alors je suis retourné sur les bancs de l'école. Je suis des cours à distance pour décrocher un EMBA (Executive Master of Business Administration). Avec tout ce qui se passe, je me dis que le mieux est de continuer à apprendre. Dans cette même dynamique je suis parrain de Campus 2023, une opération qui vise à recruter 2023 apprentis dans les métiers du sport pour organiser la Coupe du monde 2023. On aura bien besoin de toutes ces énergies pour appuyer les clubs amateurs, qui sont l'essence de notre rugby en France. »