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dans la gueule des Lions. série de l'Equipe


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#1 el landeno

el landeno

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Posté 21 juillet 2021 - 20:59

Le soir où les Lions ont mangé du Coq Le 4 octobre 1989, pour la seule et unique fois de l'histoire, les Lions affrontaient le quinze de France. Un match bizarrement né, pris entre plusieurs feux, et qui marqua la fin de sept ans d'invincibilité des Bleus au Parc des Princes.

Son carré au carré, Mireille Mathieu s'attaquait peut-être au record du monde de roulage de « r » en déclamant une Marseillaise allongée de tous ces couplets que nous n'entendons jamais, faute de temps. Plus haut, fidèles au poste de commentateurs, Salviac et « Bala » n'avaient pas à se forcer pour faire reluire une affiche de gala comme on n'en avait jamais vue et comme on n'en a plus jamais revue depuis. Pensez donc, en une seule soirée, ce 4 octobre 1989, voilà qu'on nous servait tout le Tournoi en un seul plat, la France contre le Royaume réunifié. « Historique ! », qu'ils ont dit à la télé. Manquerait plus qu'on prétende le contraire : d'autant plus historique, que ce match fut l'obole de la Fédération française de rugby aux cérémonies du bicentenaire de la Révolution française.

 
 

D'où Mireille Mathieu, la Marseillaise version longue et un match de rugby en nocturne, ce qui ne se faisait guère à l'époque. Pour accueillir l'événement commémorant le zigouillage des têtes couronnées et de leur descendance, le Parc des Princes s'imposait. Et qui d'autre que Jacques Fouroux, le Napoléon du rugby français perçant sous Bonaparte, pour mener les révolutionnaires français ce soir-là ? Les autres grands noms du rugby gaulois des années 80 répondirent à l'appel : Serge Blanco ? Présent. Philippe Sella ? Présent. Pierre Berbizier ? Présent. Laurent Rodriguez ? Présent. À la veille du possible coup d'État du 4 brumaire, le quinze de France résidait à Versailles, ce qui tombait sous le sens.

« Il y avait tout pour faire un événement exceptionnel mais c'est dommage, ça n'a pas pris »

Serge Blanco

 
 
 

Pour l'occasion, l'association des « Barbares riants » avait offert aux joueurs français des protège-dents bleu-blanc-rouge. « Il y avait tout pour faire un événement exceptionnel mais c'est dommage, ça n'a pas pris », regrette Serge Blanco. Même pour les bonnes places dans la corbeille, le tout-Paris se désista. On attendait le président de la République. Pas venu. Le Premier Ministre, le Ministre des sports ? Ils se sont décommandés. Même le maire de Paris Jacques Chirac s'évita ce crochet intérieur à la dernière minute.

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Pour l'occasion, Mireille Mathieu avait été invitée pour chanter la Marseillaise. (D.Clement/L'Equipe)

Pour comprendre ce qui n'était pas du snobisme mal placé, il faut chercher la punition politique subliminale. « Le président de la FFR Albert Ferrasse n'a pas fait la différence entre le bicentenaire de la Révolution et le centenaire de la fédération sud-africaine, écrivait Le Monde au lendemain de la rencontre. Il n'a pas choisi entre les droits de l'homme et l'apartheid. Bref, il n'a pas fait objection à la participation de sept joueurs français à une ''tournée mondiale'' entre le Cap et Johannesburg (en août et septembre 1989). » En France, tout est toujours politique, a fortiori le rugby. Le président Ferrasse n'eut donc pas besoin de se faire expliquer longtemps pourquoi le label « match du bicentenaire » fut refusé à la fédération qui dut remballer sa campagne de communication. Voilà pourquoi, le soir venu, les hauts personnages de l'État se trouvèrent tous de subits empêchements.

Un Parc des Princes loin d'être plein

Tant pis pour l'appellation clinquante, tant pis aussi pour le haut patronage, nous direz-vous. Restait l'affiche. Jamais l'illustre équipe des Lions britanniques et irlandais ne s'était produite dans l'hémisphère nord en cent un ans d'existence. Et donc, le 4 octobre, « bonsoir Paris ! » Sauf que Paris n'a pas que ça à faire. « Le Parc n'était pas plein (à peine 30 000 spectateurs), se lamente Blanco. Quand on est entré sur la pelouse, ça nous a fait quelque chose. C'est dommage, un peu triste, mais pas si étonnant si on se souvient qu'en ce temps-là, tout tournait autour du Tournoi. On avait fait des matches de tournée à Paris, contre l'Australie ou l'Argentine, et il n'y avait pas un pelé. Alors qu'en province, quand on y allait, c'était plein à craquer. On avait pourtant mis les petits plats dans les grands : coup d'envoi en nocturne, Mireille Mathieu pour l'hymne, ça te marque. Mais finalement cet événement n'a pas résonné à sa juste valeur. Je suis sûr que si ce match avait lieu aujourd'hui, l'engouement serait exceptionnel. »

Pour la première fois, les fameux Lions voyageaient léger. De tout temps, cette aristocratie a toujours été plus adepte du long courrier que du saut de puce. En 1888, bien avant l'organisation de l'aviation civile, le premier corps expéditionnaire s'embarquait à bord du SS Kaikoura pour sa première odyssée par-delà les mers. Financée à titre privé par trois professionnels de cricket, cette tournée en Australie et Nouvelle-Zélande s'étira du 9 mars, départ du port de Gravesend, au 11 novembre, retour au port. Ce fut un long, très long voyage. Ils partirent vingt-deux et revinrent un de moins. Le 15 août, le capitaine Robert Seddon se noya en faisant de l'aviron sur la rivière Hunter. Ces pionniers disputèrent trente-cinq matches de rugby, en gagnèrent vingt-sept, mais aussi six matches de foot australien dont ils ignoraient tout des règles en arrivant.

À l'automne 1989, les Lions sortent d'une tournée victorieuse en Australie qui les a possiblement sauvés de la fosse. L'expédition précédente, en 1983 chez les All Blacks, s'était si mal passée (4 tests, 4 défaites dont un ronflant 38-6 en clôture) que la question de l'utilité de cette sélection devint aiguë. Quelques années plus tard, une fois le rugby devenu professionnel, la même problématique reviendra sur la table. Le « match du bicentenaire » serait mieux né si d'autres rancoeurs diplomatico-financières n'étaient pas venues trancher cette sauce.

« Cette équipe n'est pas et ne peut pas être celle des Lions »

Roger Uttley, co-entraîneur des Lions, à propos des absents

 
 
 

Désagréablement intrigués par la fuite dans la presse anglaise d'une circulaire laissant entendre que la FFR payait ses joueurs, en contravention avec les règles de l'amateurisme, les dirigeants britanniques voulurent, sans attendre le résultat de l'enquête lancée aussitôt par l'International Board, marquer le coup en n'envoyant pas la vraie équipe des Lions à Paris. Une autre version coexiste : plusieurs membres éminents de cette équipe des Lions auraient choisi de boycotter le match en France en réponse au refus qui leur avait été fait par leurs quatre fédérations de convier les épouses et les fiancées. « Demande excessive », auraient signifié les ronds de cuir. Une lettre du capitaine de cette équipe, l'Ecossais Finlay Calder, à tous ses compagnons, évoquerait en ces mots la raison sa défection. D'autres signèrent la motion Calder. Si bien qu'à Paris, du pack titulaire des deux derniers tests gagnés en Australie, il ne resta que le deuxième-ligne anglais Paul Ackford. Messieurs Teague, Lenihan, Richards, Moore, Jeffrey, Dooley, Sole and Co avaient piscine.

Derrière, en revanche, il y avait du beau linge avec Rob Jones, Rob Andrew, Jeremy Guscott, Brendan Mullin et les frangins Hastings. « Il nous manque des joueurs importants, notamment devant, annonça Roger Uttley, sélectionneur de l'Angleterre et co-entraîneur des Lions. Cette équipe n'est pas et ne peut pas être celle des Lions. » C'est d'ailleurs pour cela que les Britanniques demandèrent qu'on évite d'utiliser l'appellation « Lions » et qu'on lui préfère, please, l'intitulé « sélection des îles britanniques ». « Cette équipe est une sélection d'un jour, avec les défauts qui vont avec, notait pour sa part Ackford. Les Lions sont une équipe de tournée, point. Ce soir, on ne pourra pas montrer le travail de huit ou dix semaines. »

« Une équipe des Lions, même quand elle joue un match de semaine au milieu d'une tournée, elle a un rang à tenir »

Serge Blanco

 
 
 

Malgré tous les efforts entrepris pour dégonfler ce ballon-sonde d'un soir, il subsista, fort heureusement, un fond d'enthousiasme côté français. « On avait bien compris qu'ils ne voulaient pas que ce soit les Lions contre la France, raconte Pierre Berbizier. Nous, ça nous avait fait chier cette histoire d'appellation. Ce match n'a pas donné lieu à une vraie cape pour eux, ni pour nous. Notre génération compterait dix ou vingt sélections de plus si on les comptabilisait comme aujourd'hui. Pour moi, affronter les Lions, c'était prestigieux. Cette équipe et son histoire, ça nous parlait. J'étais ado pour leur tournée mythique en 1974 (en Afrique du Sud) et je regardais les Willie John McBride, JPR Williams, JJ Williams, Phil Bennett, Gareth Edwards, Fergus Slattery avec de grands yeux. Plus tard, j'ai compris à quel point être un Lion était énorme. Aucun mec n'est fatigué pour partir en tournée avec les Lions. »

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Malgré de nombreux absents, les Lions ont dominé l'équipe de France. (DESCHAMPS/L'Equipe)

C'est pourquoi, malgré tous les aléas, la rencontre entre les derniers tombeurs des All Blacks (à Nantes en 1986) et les bourreaux des Australiens méritait mieux qu'une moue dubitative. De tous les Français convoqués sur cette scène ce soir-là, seul Serge Blanco avait déjà eu l'honneur de défier cette équipe qui ne se réveille qu'une fois tous les quatre ans. C'était en avril 1986, au sein d'une sélection du reste du monde, à Cardiff. Les Lions avaient gagné 15-7. « Les jouer avec l'équipe de France, à Paris, c'était grand, se rappelle l'ancien arrière biarrot. On a eu beau dire qu'il manquait Bidule ou Machin, que ce n'était pas tout à fait les vrais Lions, moi j'ai bien vu qu'ils avaient le maillot rouge. Une équipe des Lions, même quand elle joue un match de semaine au milieu d'une tournée, elle a un rang à tenir. Cette équipe ne brade rien. Et puis je connaissais certains types. En 1982, avec Dominique Erbani, nous étions partis en tournée en Afrique du Sud avec une sélection mondiale, remplie d'Irlandais, d'Anglais, d'Ecossais et de Gallois. D'ailleurs, ce voyage m'a déterminé à ne plus jouer en Afrique du Sud tant que ce régime perdurerait. Ces gars-là, pendant cette tournée, c'était la gabegie ! Il fallait voir comment ils vivaient en dehors du terrain. Ils étaient à moitié givrés (rire). Sauf qu'une fois sur le terrain, ils se transformaient. Ce n'était plus les mêmes. Je me doutais bien qu'à Paris, ils ne venaient pas en goguette. »

« Les Britanniques ne gagnaient pas au Parc dans les années 80 mais ça a commencé à changer à partir de ce match »

Pierre Berbizier

 
 
 

Sa prévision était juste. Le quinze de France imaginait ce match comme le lancement de la Coupe du monde 1991 et se coucha avec la première défaite française au Parc depuis 1982 (27-29). Pour ce match-éprouvette, Fouroux avait voulu donner leurs premières sélections à Philippe Benetton, Laurent Seigne ou Marc Pujolle, tous trois titulaires dans un pack où figuraient d'autres jeunots comme Olivier Roumat, Dominique Bouet (qui décédera en 1990 pendant une tournée), Thierry Devergie et Gilles Bourguignon. Pour chaperonner tout ça, Laurent Rodriguez était bien seul. Dominée par le dynamisme des avants des Lions, celui d'Andy Robinson en particulier, dominée aussi en touche malgré tous ses sauteurs et l'inauguration en équipe de France des annonces à trois chiffres, pompées sur les Britanniques, la bleusaille fut menée 23-9 avant de se lancer dans un finish échevelé.

« Les Britanniques ne gagnaient pas au Parc dans les années 80 mais ça a commencé à changer à partir de ce match, constate Berbizier. J'ai le souvenir d'une première mi-temps très dure. Un enfer. Avec nos grands, on avait été mangés dans le combat au sol. Notre cinq de devant était un peu tendre mais on avait su réagir, et de belle manière. C'était une période spéciale parce que Jacques (Fouroux) était déjà plus dirigeant qu'entraîneur. Ferrasse le voyait comme son successeur et tous les deux voulaient que j'arrête pour devenir sélectionneur. Ce match a permis à des anciens, comme Jean Condom, Pascal Ondarts Philippe Dintrans ou Eric Champ, de revenir. Moi, j'ai gardé le maillot rouge de Rob Jones. Il trône chez moi à Pinas, dans le petit musée que mes parents avaient agencé dans l'ancienne ferme familiale. »

 


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#2 el landeno

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Posté 22 juillet 2021 - 06:03

2e episode

 

Lions : en 1974, ils ont joué avec l'Apartheid En s'envolant pour l'Afrique du Sud en 1974, les Lions avaient privilégié leur soif de reconnaissance sportive à leur conscience politique. Leurs victoires ne les y auront pas protégés de la controverse. Laissant un héritage nuancé de la lutte anti-Apartheid, sur lequel s'est penché Dugald MacDonald, ancien Springbok de l'époque, en exhumant un incident : une interruption de match au Cap par des étudiants activistes.

 

Les Lions, mythique sélection regroupant les meilleurs joueurs britanniques et irlandais, disputent à partir de samedi une série de trois tests face à l'Afrique du Sud, championne du monde en 2019. Un rendez-vous très attendu même si la pandémie atténue la portée de l'évènement, avec notamment des matches à huis clos, tous joués dans le même stade au Cap. Avant le premier test, samedi (18h00), nous vous proposons de revivre des moments qui ont marqué ces tournées qui se tiennent tous les quatre ans, en Australie, en Nouvelle-Zélande ou en Afrique du Sud. Voici le programme :
Mardi : Le soir où les Lions ont mangé du Coq
Mercredi : 1974, la tournée controversée en plein apartheid (à lire ci-dessous)
Jeudi : Living with the Lions, le documentaire mythique de 1997
Vendredi : Entretien avec Alistair Campbell, ex-conseiller de Tony Blair embauché comme responsable de la communication pour la tournée en Nouvelle-Zélande en 2005
Samedi : 2009, le sommet de brutalité
 
 

Il existe un trait commun entre la tournée des Lions britanniques et irlandais qui sillonnent l'Afrique du Sud en pleine période covid depuis le début du mois de juillet et ceux de leurs prestigieux aînés partis défier les Springboks en 1974, et c'est Eddie Butler, espiègle, qui nous l'a fait remarquer. « À l'époque déjà, les Lions avaient dû vivre dans une sorte de bulle et ne pouvaient pas sortir de leur hôtel à Londres, avant leur départ », sourit l'ancien international gallois des années 80 devenu journaliste curieux, auteur d'un documentaire sur cette épopée. Mais si en 2021, les joueurs tentent de se préserver d'une pandémie, c'est l'opprobre publique qu'ils voulaient alors éviter : devant leurs quartiers, les manifestations anti-apartheid s'étaient multipliées, les enjoignant de renoncer à leur voyage austral.

« Depuis le milieu des années 1960, poursuit Butler, il y avait eu en Europe une forte sensibilisation à la réalité du régime de ségrégation et les joueurs ne pouvaient pas dire qu'ils ignoraient la situation. » Certains en avaient ainsi clamé leur dégoût, comme le Gallois John Taylor, écoeuré par ce qu'il avait vu de l'Afrique du Sud en 1968, lors de la précédente tournée des Lions. Le troisième-ligne avait ensuite refusé d'affronter les Springboks avec Galles en 1969 et finalement boycotté le périple de 1974, imité ensuite par son compatriote Gerald Davies.

Surfer sur la gloire de 1971 et la tournée victorieuse en Nouvelle-Zélande

Le gouvernement britannique lui-même avait publiquement désavoué ce projet sportif. Il avait demandé à son corps diplomatique en Afrique du Sud de garder ses distances avec les rugbymen quand ils y seraient arrivés. Mais la plupart des Lions s'étaient obstinés, obnubilés par un seul et unique alibi : la quête de la gloire sportive. Ils sortaient auréolés d'une tournée victorieuse en Nouvelle-Zélande en 1971, et avec une génération dorée, emmenée par le capitaine irlandais, Willie John McBride, un colosse rocailleux, et une cohorte de Gallois surdoués, les JPR Williams ou autres Gareth Edwards - Phil Bennett à la charnière. Ils voulaient parachever leur légende contre leur autre adversaire mythique, les Boks.

Les Lions y seront parvenus, d'ailleurs, ravageant le rugby sud-africain, avec 21 victoires en 22 matches, dont trois succès pour un nul en quatre tests. Ils y auront forgé leur histoire, aussi, entre un surnom, les Invincibles, et une réputation de solidarité absolue, incarnée par leur fameux appel « 99 », ce chiffre qu'ils devaient hurler comme un signe de ralliement pour répondre aux brutalités physiques que les joueurs sud-africains se permettaient parfois. Mais près d'un demi-siècle plus tard, une question obsédante résonne encore plus fort. Auraient-ils dû, eux aussi, boycotter cette tournée pour blesser encore plus fortement le régime d'Apartheid ?

« Je voulais qu'on les expulse du terrain, ils interrompaient notre match ! »

Dugald MacDonald

 
 
 

Paradoxalement, c'est un joueur sud-africain de l'époque qui s'est plongé récemment dans ce puits de tourmente morale. Avant de former, à la fin des années 1970, la troisième-ligne du Stade Toulousain, encadré par Jean-Claude Skrela et Jean-Pierre Rives, Dugald MacDonald s'y était frotté, à ces Lions. Et c'est une banale valise de cuir qui l'a replongé dans l'époque, celle où son père avait religieusement collecté les coupures de presse retraçant sa carrière de numéro 8. MacDonald l'a rouverte enfin au milieu des années 2010 et ce n'est pas le rugby qui a le plus frappé son imaginaire.

Il y découvre la photo d'une jeune femme, les deux yeux protégés par des compresses médicales, un étrange sourire douloureux sur les lèvres. Jenefer Shute venait d'être victime de brutalités, parce qu'avec d'autres activistes sud-africains, elle avait interrompu un match de semaine entre les Lions et une sélection des universités du Cap et de Stellenbosch, en pénétrant sur la pelouse du Newlands, bannière anti-apartheid à la main.

« Je me souvenais vaguement de cet incident », nous confesse-t-il. Il était de ce match, pourtant, ce jour-là, et on peut l'observer photographié, à l'autre bout du terrain, comme ses coéquipiers ou adversaires, une main impatiente posée sur une hanche trépignante. « Je voulais qu'on les expulse du terrain, ils interrompaient notre match ! », se souvient-il. Un demi-siècle plus tard, sa réaction a été moins épidermique : Dugald MacDonald s'est replongé dans l'épisode pour retrouver certains de ces manifestants, les comprendre, il a aussi fouillé les archives et tenté d'en comprendre la portée.

« Le rugby faisait partie de ma culture, mais je le détestais pour toute l'idéologie du mâle blanc qu'il drainait »

Jenefer Shute

 
 
 

C'est ainsi qu'il a remonté la trace de Jenefer Shute. Et du destin de celle qui était alors une jeune étudiante de 17 ans, il a tiré un documentaire, Blindside« Quand Dugald m'a contactée pour reparler de cet épisode, j'ai failli m'évanouir !, nous a avoué l'élégante sexagénaire, depuis sa ville de New York. Parce que j'avais mis un voile sur cette partie de ma vie et la dernière personne à laquelle je m'attendais pour la réveiller, c'était bien un joueur ! »

Shute, devenue écrivaine, s'est réconciliée avec cette mémoire, qu'elle nous a dessinée tout en sensibilité. « J'étais en première année à l'université du Cap (UCT). Je venais d'un milieu qui pour les standards sud-africains n'était pas si conservateur, mais ma mère était ouvertement raciste, parce que c'était comme ça qu'elle avait été élevée, à profiter de son existence de blanche dont le confort reposait sur le travail des noirs. Moi, je me sentais coupable, je ne voulais pas vivre comme ça », se révolte-t-elle.

UCT est un bon refuge, progressiste, où elle affine peu à peu sa conscience politique. En cet hiver austral 1974, les étudiants essayent donc de suggérer à leur équipe de rugby de ne pas affronter les Lions, mais un vote balaie ce moyen d'action. Les plus décidés fomentent alors autre chose. D'autant plus facilement que le rugby est un symbole de l'oppression qu'ils veulent combattre. « Le rugby faisait partie de ma culture, mais je le détestais pour toute l'idéologie du mâle blanc qu'il drainait », réfléchit-elle. Avant de revenir à l'action : « avec ce petit groupe, on était entre 15 et 20, on a pensé à perturber ce match. J'avais 17 ans, j'étais passionnée, dans l'émotion, on ne réfléchissait pas toujours aux conséquences... ce que j'aurais peut-être dû faire ! Mais quand l'idée a surgi, j'ai accepté ! »

Une bonne partie des spectateurs s'est précipitée sur la pelouse... Pour en chasser les manifestants

 

Et lors de cet après-midi où l'hiver du Cap cinglait les visages de pluie et de vent, où la pelouse du Newlands n'était que boue humide, tout s'est accéléré. « Il y avait tellement d'adrénaline que tout m'a paru se dérouler dans le silence, au ralenti, comme dans un tunnel. J'étais si concentrée sur ma mission, courir et déployer la bannière... » Celle-ci crie : « We're playing with apartheid » (voir photo ci-dessous). Nous jouons avec l'apartheid.

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La banderole « ous jouons avec l'apartheid » déployée sur le terrain. (capture d'écran du documentaire .)

47 ans plus tard, Shute s'interroge encore, comme une auteure qui a appris le poids des mots : « je me demande pourquoi on n'a pas écrit « vous jouez avec l'apartheid ! » Mais le message était passé : pour la première fois, sur une pelouse sud-africaine, une rencontre sportive, de la discipline reine, était interrompue par un acte politique. Les Sud-Africains avaient reçu l'écho du harcèlement activiste qui avait accompagné les Springboks lors de leur tournée au Royaume-Uni en 1969-1970. Mais pour la première fois, ils l'avaient sur leur propre terre, sous leurs propres yeux. D'abord sidérés. Puis coléreux.

Parce qu'après un moment de stupeur, une bonne partie des spectateurs s'est précipitée sur la pelouse... Pour en chasser les manifestants (voir photo ci-desssous) !

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Les manifestants visés par des membres du public et la police. (capture d'écran du documentaire Blindside.)

« Ils nous ont aussi agressés physiquement puis la police les a suivis et une partie de la foule les encourageait de la voix, poursuit Shute. À ce jour, je ne sais pas qui m'a frappée. Un spectateur avec un parapluie, ou un policier ? J'aimerais savoir. Mais en tout cas, on allait quitter la pelouse quand, BAM, dans mon visage... Je n'ai rien vu venir. » Le nez fracturé et un oeil sévèrement touché, qu'elle a failli perdre, la jeune femme doit passer dix jours à l'hôpital. Dix jours où se met en branle l'impitoyable machinerie policière du régime d'apartheid, celle qu'avaient choisi d'ignorer les Lions.

« Ma mère était venue à mon chevet et se sentait déjà honteuse de mon geste »

Jenefer Shute

 
 
 

« On n'a pas été arrêtés à ce moment-là, ce qui est assez surprenant ! Mais un policier est allé rendre visite à ma mère, qui était venue à mon chevet et se sentait déjà honteuse de mon geste, comme si j'avais jeté la disgrâce sur notre famille. Le policier lui a offert un verre d'alcool, elle qui ne buvait jamais, pour la faire parler. Puis un policier est venu m'interroger. » La pression de la Special Branch, cette section de l'arsenal répressif, se met en place, insidieuse et obscène : « les gens ne s'en rappellent plus, mais tous les mouvements anti-apartheid étaient interdits et il était illégal de participer à une manifestation de plus de quatre personnes. La presse était censurée. Et la police n'était pas subtile du tout, elle pouvait ouvrir votre courrier ou s'installer sur une simple boîte en face de chez vous pour vous observer. » Ostensiblement. « Depuis cette période, j'ai peur de la police sud-africaine. » Qui a fini par prendre contre elle une autre de ses classiques mesures de pression : lui confisquer son passeport. Et la résoudre, en 1978, à s'exiler aux États-Unis.

Shute y vit toujours, plus apaisée. À faire preuve d'empathie envers ces jeunes hommes qui ne pensaient qu'ovale : « Parce qu'où allez-vous tracer la ligne ? Chaque pays est coupable d'une forme d'injustice voire d'une atteinte aux droits de l'homme. Qui décide lequel est si mauvais qu'on ne doit plus y mettre le pied ? Qui décide lequel est si pur que vous pouvez y aller ? » Le questionnement a fini par tourmenter les Lions de l'époque, aussi.

Deux rencontres contre des sélections de « Coloured »

Et toujours Dugald MacDonald, qui n'en a tiré qu'une certitude : « si les Lions avaient boycotté, le régime aurait été sous pression, oui. Mais en venant, ils ont aussi produit cet effet ! » Peut-être pas en jouant deux rencontres contre des sélections de « Coloured », les métis, ou de Noirs. Dans un documentaire irlandais de 2009 sur les Invincibles, le capitaine des Proteas, l'équipe des Coloured, assurait : « le match nous a fait prendre conscience qu'on était de bons joueurs, et pas une sorte de sous-espèce de qui que ce soit ! » Mais dans un autre documentaire, de la BBC, Gareth Edwards, rugby, apartheid and me, un joueur qui avait refusé sa sélection dans une de ces deux équipes qu'il considérait, comme de nombreux coéquipiers, comme un alibi offert au régime, a expliqué au demi de mêlée gallois : « si vous n'étiez pas venus en tournée, notre réunification et notre transformation seraient arrivées plus vite ! »

Ce dilemme-là, MacDonald l'écarte donc. Pour mieux se replonger dans des faits qu'il a pu vivre lui-même. Il y a d'abord le soutien des populations non-blanches qui, en 1974, dans le ciel ouvert des stades comme dans l'horizon obscur des geôles, avaient fait des Lions leurs favoris. Les Lions eux-mêmes avaient d'abord été surpris de voir les spectateurs Coloured et noirs, parqués dans leurs propres gradins, nouvelle dégradation de la ségrégation, les supporter ouvertement.

Les spectateurs Coloured et noirs parqués dans leurs gradins et salués par les Lions après les matches

Ils avaient fini par en jouer, en allant les saluer, sachant aussi qu'ils blessaient ainsi les Springboks. Qui avaient aussi un autre ennemi heureux de savoir les Lions triomphants : Madiba. L'anecdote a plusieurs versions qui lui donnent un accent apocryphe mais Ian McGeechan a livré la sienne au Guardian. Lui, le centre de 1974, raconte qu'à son arrivée en Afrique du Sud en 1997, alors qu'il était devenu entraîneur, il a reçu la visite du ministre des Sports, Steve Tshwete. Il lui a confié qu'il n'avait pas raté une minute des retransmissions radiophoniques des matches des Lions, avec son compagnon de cellule à Robben Island, Nelson Mandela. « Et Tshwete a dit à McGeechan, nous ajoute Dugald MacDonald : ''ne sous-estimez jamais ce que les victoires des Lions ont fait pour ce pays'' ».

Voilà ce à quoi croit MacDonald, pour l'avoir vécu dans sa chair de joueur, pour sa seule et unique sélection de Springbok. Il était titulaire lors du deuxième test, au Loftus, à Pretoria. Une déroute, la plus sévère défaite des Boks à l'époque, 28-9 : « Le commentateur l'avait alors décrit comme le match le plus important de l'histoire du rugby sud-africain. Les Lions avaient instillé cette peur dans nos coeurs : ils pouvaient détruire notre crédibilité rugbystique !

Le rugby sud-africain victime de son isolement

J'ai joué ce match et je peux témoigner de l'effet traumatisant qu'il a eu sur chacun de nous. Une foule de 65 000 spectateurs réduite au silence... Un choc psychologique. Le rugby, c'était là où on pouvait encore triompher. Le monde pouvait bien nous critiquer pour le reste mais le rugby, c'était encore là où on pouvait prétendre battre n'importe qui. Mais là, voir cette équipe venir ici, nous égorger dans notre cathédrale... »

Une cathédrale ébranlée et une prise de conscience pour le rugby sud-africain. Son isolement érode peu à peu sa compétitivité. Alors, une première pierre bouge dans cet édifice ultra-conservateur, fierté afrikaner où même les Sud-Africains d'origine anglaise sont suspects.

« En 1974, il y avait eu le projet d'une première équipe multiraciale pour affronter les Lions, à travers les Quaggas, des Barbarians sud-africains, explique MacDonald. Mais après avoir accepté un temps l'idée, le ministre des Sports l'avait enterrée. L'année suivante, pour combattre l'isolement, Danie Craven, le président de la Fédération, avait demandé à la France de venir en Afrique du Sud. Albert Ferrasse avait accepté, à une condition : que les Bleus puissent affronter une équipe multiraciale. Craven est alors revenu à la charge auprès du premier ministre et a obtenu satisfaction. Le match a bien eu lieu, en 1975, et j'en étais. La première équipe multiraciale depuis l'instauration de l'apartheid. C'était extraordinaire ! » Et peut-être, un an après leur passage, la vraie victoire inattendue des Lions.

 


#3 Gourine63

Gourine63

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Posté 22 juillet 2021 - 08:07

Quand j'ai lu le titre du topic, j'ai cru qu'on allait se foutre de la gueule des britons dans leur globalité... déçu...

#4 el landeno

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Posté 22 juillet 2021 - 20:10

3e episode

 

Living with the Lions, petites et grandes histoires d'un documentaire mythique Film culte pour des générations de passionnés, le documentaire tourné en immersion pendant la tournée des Lions en Afrique du Sud en 1997 vaut presque autant par ses coulisses que par son contenu.
 
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Jason Leonard et Jeremy Guscott célèbrent la victoire des Lions britanniques contre l'Afrique du Sud, en 1997. (Mike Egerton/PA/Icon Sport/Presse Sports)

En Angleterre, on prétend que les meilleures idées naissent dans les pubs, quand le brouillard et le houblon l'emportent sur la raison, juste après avoir salué pour la huitième fois de la soirée la même personne. On prétend que les très mauvaises idées naissent souvent au même moment, dans la même maternité. Parfois, phénomène prouvé par les plus grands chercheurs, il s'agit de la même illumination. Elle se transforme, tout simplement. Dans un sens ou dans l'autre. C'est ce qui est arrivé à Fred Rees et Duncan Humphreys, joyeuse doublette de quinquas anglais.

Retrouvons-les en 1997, tard dans la nuit. « Duncan et moi sommes des fans de rugby, raconte Fred Rees. Nous y avons joué nous-mêmes (son acolyte a porté le maillot des Harlequins). Ce soir-là, au pub, on avait bu trop de bière. Ça devait être la dix-huitième ou la vingt-huitième tournée, je ne sais plus. On n'était plus tout à fait étanches et on parlait de rugby, de nos vies... En ce temps-là, nous tournions des spots de pub pour des serpillières et des seaux essoreuses. On avait envie de faire un truc plus fun. Et soudain, l'un de nous a lancé cette idée de tourner un film sur les Lions, de l'intérieur. En général, et c'est heureux, le lendemain, tu renonces aux résolutions prises dans un pub à une heure trop avancée. Pas cette fois. J'avais le numéro de Fran Cotton, le manager des Lions. Je l'ai appelé. Il se trouve qu'on tombait bien. »

30 000 livres pour avoir les droits

C'est important d'avoir la bonne idée mais c'est encore mieux de l'avoir au bon moment. Duncan et Fred proposent de tourner un documentaire qui embrasserait toute la tournée 1997, du premier rassemblement, en passant par les jeux de rôles et autres missions dignes d'Intervilles pendant le team building, jusqu'au périple complet en Afrique du Sud, ponctué par les trois tests. Leur projet tombe à point car l'institution Lions se sent menacée.

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Jeremy Guscott laisse éclater sa joie. (Mike Egerton/PA/Icon Sport/Presse Sports)

« En 1997, il s'agit de la première tournée depuis que le rugby est devenu professionnel (deux ans plus tôt), indique Fred Rees. La survivance de ces tournées à rallonge à l'intersaison commençait à être remise en question. Les clubs payaient des joueurs et ils avaient plutôt envie qu'ils se reposent en juillet. Bref, on parlait de tuer les Lions. D'autant que les résultats n'étaient pas brillants (en 1993, ils avaient perdu 2-1 la série en Nouvelle-Zélande, en concédant quatre défaites supplémentaires contre des provinces). C'est pour cela que notre idée de film, cette exposition sous un nouvel angle, a tout de suite intéressé leur manager. Fran Cotton nous a dit immédiatement oui et donné le tarif : 30 000 livres pour avoir les droits. C'était une putain de somme pour nous. Exorbitant. Mais Fran nous a rassurés en nous certifiant qu'on revendrait facilement notre film à Sky ou à la BBC qui coproduiraient volontiers. »

« J'ai eu l'idée d'hypothéquer ma maison... »

Fred Rees, co-auteur du documentaire

 
 
 

Nos deux acolytes avaient tellement envie d'y croire qu'ils y ont cru. Mais le doigt va bientôt atterrir dans l'oeil, en plein milieu. « Les chaînes nous ont envoyés promener, se rappelle Duncan. Ils nous ont tous dit : ''Vous êtes des tarés les mecs ! Les Lions, c'est fini. En plus, en Afrique du Sud, ils vont se faire massacrer. Ça ne nous intéresse pas.'' C'est là qu'on a commencé à flipper. On s'était engagés et on se demandait où on trouverait l'argent. » « Voilà comment, annonce Fred, dans un élan de grande stupidité, ou de grande sagesse, j'ai eu l'idée d'hypothéquer ma maison. On avait l'impression d'être deux gars avec un gros boulet aux pieds. » La bonne idée née dans le pub venait de se changer en idée de malheur. Plus tard, elle se transformerait de nouveau, en idée de génie, une fois pour toutes.

En 1997, un an avant Les Yeux dans les Bleus de Stéphane Meunier, la forme du documentaire inside, au coeur d'une équipe pendant une grande compétition, est encore avant-gardiste. « Living with the Lions n'est pas le premier doc ''derrière la scène'', précise Duncan Humphreys. Il y en avait eu un par exemple dans les années 1970 sur le club de foot de Derby County, un autre sur une équipe de cricket. En creusant notre idée, on s'était même demandé si le genre n'avait pas été mortellement blessé, du moins en Angleterre, par le retentissement négatif qui avait suivi le film en immersion sur l'équipe nationale de foot. »

En 1993, le manager de la sélection anglaise Graham Taylor avait accepté la présence d'une équipe de tournage tout au long des qualifications à la Coupe du monde aux États-Unis. C'est même lui qui avait blousé la sécurité néerlandaise pour infiltrer le matériel son et vidéo dans les bagages de l'équipe le soir de Pays-Bas - Angleterre. La diffusion du film, alors que les Trois Lions échouèrent à se qualifier, eut des répercussions affreuses pour Taylor, jusqu'à la fin de sa vie, en 2017. De ce documentaire, intitulé « Impossible job », le sélectionneur sortit abîmé, discrédité, ridiculisé.

Dans une séquence, on le voit apostropher le quatrième arbitre à la fin du match crucial perdu à Rotterdam : « L'arbitre m'a fait perdre mon boulot, tu le remercieras ! » Il perdra son boulot, effectivement. Tout s'écroule sous les yeux des téléspectateurs. À l'heure de jeu, Ronald Koeman sèche David Platt qui file au but. La couleur du carton (jaune) rend fou Taylor qui touche et enguirlande le quatrième arbitre. Deux minutes plus tard, Koeman ouvre le score sur coup franc, après que l'arbitre lui a donné l'occasion de le retirer. Taylor n'a jamais eu la force de regarder le film. Le réalisateur Ken McGill a, lui, beaucoup culpabilisé des conséquences post-diffusion.

« Si on avait dû utiliser une voix off, alors on aurait échoué »

Trois ans plus tard, Rees et Humphreys veulent aller encore plus loin dans l'introspection d'une équipe. « Ce qui changeait, c'était notre façon d'observer le sujet, explique Humphreys. Tout devait être en prise directe, sans barrière. D'habitude, dans les docs de sport, il s'agissait principalement d'images de la compétition agrémentées d'interviews. Nous, on a voulu une immersion complète. Pas d'interview posée. Si on avait dû utiliser une voix off, alors on aurait échoué. On aurait dicté une histoire et ce n'était pas du tout le projet. » Les compères s'intéressent avant tout à ce qu'on ne voit jamais ni n'entend.

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Le documentaire Living with the Lions raconte les coulisses de la tournée des Lions en Afrique du Sud en 1997. (Presse Sports)

Pour réussir leur affaire, ils ont besoin d'un accès quasiment total à tous les recoins. Ils l'obtiennent. Les filous obtiennent aussi une faveur de Jim Telfer et Ian McGeechan, légendes du rugby écossais et co-entraîneurs des Lions en 1997. « Quel était le deal avec Jim et Ian ? Le deal, c'est qu'il n'y avait pas de deal, rigole Fred Rees. Dès le premier jour, on leur a dit que nous les appareillerions chacun d'un micro-cravate. Ils ne voulaient vraiment pas, ils voyaient ça comme une distraction, un parasite. On leur a dit que c'était dans le contrat et ils ont accepté. Bien sûr que non, ce n'était pas dans le contrat. »

« Jason Leonard a donné son aval en précisant : ''Si je vous fais un regard, et vous le connaissez ce regard, vous coupez'' »

 

 
 
 

La force de Living with the Lions commence là, en permettant au téléspectateur de devenir le témoin des conciliabules tactiques entre les coaches, pendant les entraînements, comme pendant les matches. On devient la petite souris qui entend leurs apartés. Qui entend Telfer et McGeechan expliquer pourquoi tel joueur vaudra mieux que tel autre pour le prochain test. « Pour s'approcher au plus près des joueurs dans le vestiaire, il nous fallait un allié de poids, raconte Rees. On est allé voir Jason Leonard (l'ancien pilier anglais est aujourd'hui le président des Lions), cadre parmi les cadres. Il a donné son aval en précisant ceci : ''Si je vous fais un regard, et vous le connaissez ce regard, vous coupez''. C'est comme ça qu'on a pu tourner ces scènes très fortes, juste avant l'entrée dans l'arène, ces scènes de groupe où les mecs ont besoin de se serrer et où les mots claquent. Ce qui est marrant, c'est que Martin Johnson (capitaine pendant cette tournée) n'a aucun souvenir de notre présence dans le vestiaire alors qu'on n'est pas des gars physiquement discrets. On mesure 1,90 m. Notre avantage, c'est qu'on nous avait donné les mêmes tenues officielles que les joueurs. Ça a sûrement aidé au camouflage. »

Si ce film a marqué plusieurs générations, et en marquera d'autres, c'est qu'il plonge dans la vie sociale d'une équipe en route vers un exploit (les Lions remporteront la série 2-1), du moment le plus potache au plus poignant. On rigole en regardant le talonneur irlandais Keith Wood déguisé en juge de la Cour suprême, « perruqué » comme dans Barry Lindon, animant les débats d'un tribunal délirant. On rit aussi au sens de la répartie du deuxième-ligne écossais Doddie Weir quand, pour un exercice, un faux journaliste lui assène, pendant une fausse conférence de presse, qu'il a été pris en photo au Cap en sortant de boîte à trois heures du matin : « Erreur d'identité », balance l'accusé.

Les ''fuck'' de Keith Woods, la blessure de Doddie Weir, la frayeur Will Greenwood...

On compatit avec le géant écossais lorsqu'il est filmé, seul dans le vestiaire, et qu'il sait que cette blessure vient de ruiner sa tournée beaucoup trop tôt. « Pendant le montage, on avait demandé à Keith Wood s'il ne valait mieux pas qu'on retire quelques ''fuck'' de sa bouche, se rappelle Duncan Humphreys. On lui a montré les coupes. ''Non les gars, remettez-les tous, sinon ça ne sonne pas juste, ce n'est pas moi '', nous a-t-il demandé. Quant à Doddie, c'était super émouvant. Il s'en foutait qu'on le filme. Ce qui lui importait, c'était que sa tournée était foutue, qu'il allait laisser ses potes. » Une autre scène a marqué les esprits : celle où le centre anglais Will Greenwood, au plus mal après une collision, est en train d'avaler sa langue. Inconscient pendant dix-sept minutes, Greenwood frôla le pire ce jour-là.

« Le sens de notre présence, c'était aussi de montrer ces images, dit Rees. Elles sont dures mais elles font partie de l'histoire de cette tournée. » Leur caméra sut saisir le côté râpeux des entraînements, en montrant par exemple la bagarre qui éclata entre deux talonneurs des Lions (Mark Regan et Barry Williams) au beau milieu d'une séance de mêlée. « Aujourd'hui, avec l'hyper contrôle des gens de communication et les réseaux sociaux, je ne pense pas qu'on pourrait refaire ce film, suppose Fred Rees. De nous-mêmes, on retirerait peut-être une ou deux séquences parce que la société a changé et que certaines choses ne passeraient plus. Mais pas davantage. »

« J'ai vu ce film et à la fin, je n'avais qu'une envie : faire partie de ça »

Brian O'Driscoll

 
 
 

La première mouture de Living with the Lions durait neuf heures. La version définitive s'arrêta à 2h47. Avec, bien sûr, deux morceaux de bravoure. Le discours de Ian McGeechan devant tout le groupe juste avant le deuxième test. Et celui, churchillien, de Jim Telfer avant le premier match de la série, quand il s'adresse aux avants assis en rond à côté de lui. « C'est votre Everest les garçons. Très peu de joueurs de rugby ont eu la chance de le gravir. Les Boks ne vous respectent pas, vous ne valez rien pour eux. La seule façon de changer ça, c'est de leur en coller une, de leur rentrer dedans, de les faire reculer sur chaque plaquage, chaque mêlée, chaque maul... »

Demi de mêlée de cette équipe, Matt Dawson ne remerciera jamais assez les deux réalisateurs de lui avoir permis de voir cette scène qui lui aurait été interdite sans le film. Tant et tant de futurs Lions, de Johnny Sexton à Sam Warburton, ont visionné le doc de nombreuses fois. « Moi aussi, dit Paul O'Connell. Ce film a eu un grand impact sur moi. C'est lui qui m'a fait tomber amoureux du rugby. »

Quand on lui présenta Fred Rees, Brian O'Driscoll lui tint le même discours : « J'ai vu ce film et à la fin, je n'avais qu'une envie : faire partie de ça. Merci de m'avoir donné une carrière. » Après 1997, chaque tournée des Lions a eu droit à son film. « Mais sans nous, ils ne nous ont jamais appelés, confie Rees. C'est assez stupide non ? » Inutile de vous faire un croquis : vu le succès considérable du film, l'idée née dans le pub était excellente et a été reprise à bon compte. Le coup de génie de Fred Rees et Duncan Humphreys bénéficia en plus d'une dernière caresse du destin. « En 1997, raconte Fred Rees, Living with the Lions est sorti en VHS avant d'être recommercialisé, dès l'année suivante, sur un nouveau support qui se démocratisait : le DVD. Timing parfait, n'est-ce pas ? »



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Posté 23 juillet 2021 - 19:59

4e episode

 

Alastair Campbell : « Et Corry a eu envie de me mettre son poing dans la gueule » Alastair Campbell, directeur de la communication de Tony Blair jusqu'en 2003, a basculé de la politique au sport quand, en 2005, Clive Woodward l'a recruté pour la tournée des Lions en Nouvelle-Zélande. Un transfert qui n'a pas été sans heurts.

C'était la tournée de tous les superlatifs. Clive Woodward, auréolé de son titre de champion du monde avec l'Angleterre en 2003, voulait tout faire pour permettre aux Lions britanniques et Irlandais de s'imposer en Nouvelle-Zélande, portée par une génération de All Blacks brillante, articulée autour de Dan Carter et Richie McCaw. Squad de joueurs fourni, staff pléthorique, méthodes innovantes, Woodward avait tout essayé, même une recrue incongrue : Alastair Campbell.

Ce proche de Tony Blair sortait d'une longue mission auprès du Premier ministre du Royaume-Uni, dont il gérait la communication. Il en était le « spin doctor », conseiller de l'ombre controversé pour avoir soutenu l'argumentaire autour de la menace des armes de destruction massive de l'Irak, socle mensonger de l'attaque contre le régime de Saddam Hussein. À l'écart du gouvernement en 2003, Campbell accepta donc en 2005 de s'embarquer dans une tournée qui vira au fiasco, marquée par trois larges défaites lors des test-matches (3-21, 18-48, 19-38) et des polémiques qui se cristallisèrent souvent autour de son rôle auprès des Lions. Un épisode où se mêlent sport et politique, sur lequel il a accepté de revenir pour nous.

« Pourquoi Clive Woodward a-t-il pensé à vous pour gérer la communication des Lions Britanniques et Irlandais en 2005 ?
Il m'avait expliqué que les journalistes lui avaient raconté que sur les tournées précédentes, la communication des Lions était affreuse. C'était le bordel ! Ils lui avaient alors suggéré de trouver un poids lourd de la communication et il avait pensé à moi. À cette époque-là, Tony Blair voulait que je revienne auprès de lui après les élections législatives de 2005, mais je ne voulais pas. J'étais arrivé au bout de cette route, sur le boulot que je faisais avec lui. Et je suis quelqu'un de totalement obsédé par le sport. Un des livres que j'ai écrits s'appelle Winners, « les gagnants ». Et c'est un hommage aux sportifs, qui ont cette mentalité de gagnants, en comparaison avec les politiciens. Les meilleurs, Tony Blair, Bill Clinton, ou Barack Obama savent ce qu'il faut faire. Mais la plupart, en politique, n'ont pas cette mentalité et ça me fascine. Donc la proposition de Clive Woordward m'a paru intéressante, différente, et j'ai dit oui.

« Presque tous les jours je prenais un hélicoptère pour aller voir Tony Blair en pleines élections »

 

 
 
 

Comment s'est passée votre première rencontre ?
C'était dans une station de service ! C'était bizarre, on était là, tous les deux... Et, comme les gens nous reconnaissent dans la rue, en Angleterre, lui, comme moi, un homme s'est approché de nous pour nous demander s'il pouvait nous prendre en photo. Clive a dit oui, mais j'ai dit non. Je lui ai proposé de prendre plutôt deux photos séparées, une avec Clive, une avec moi. Je me disais que ça aurait pu fuiter dans les tabloïds et surtout je ne savais toujours pas si j'allais accepter la proposition. Les histoires auraient commencé... Et là, Clive m'a dit : « c'est pour ça que je veux que tu travailles avec moi ! » Je l'avais prévenu que la presse sportive n'apprécierait peut-être pas que je sois dans ce rôle, parce que je suis un personnage controversé, mais il m'avait répondu : « je m'en fous » !

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Alastair Campbell, ici en 2017. (Simon Stacpoole/Presse Sports)

La préparation, avant de s'envoler en Nouvelle-Zélande, s'était bien passée ?
Elle avait lieu au Vale of Glamorgan, un hôtel à côté de Cardiff où le pays de Galles se prépare aussi. J'étais au milieu d'eux, mais presque tous les jours je prenais un hélicoptère pour aller voir Tony Blair en pleines élections. On est partis le 25 mai, jour de mon anniversaire et de celui de Jonny Wilkinson. Et c'était aussi le jour de la finale de Ligue des champions entre Liverpool et le Milan AC, à Istanbul. C'était fascinant : on regardait le match, passionnés, en salle d'attente de Heathrow, et on est monté dans l'avion quand Milan menait 3-0. Et en l'air, le capitaine nous a annoncé que Liverpool avait finalement gagné ! ça nous avait donné du sens : Liverpool jouait en rouge, comme les Lions, et avait gagné alors que tout le monde pensait que c'était impossible, ce que les observateurs pensaient pour nous... Clive a pris ça comme un signe : « on peut tout faire ». Mais le premier test... ppfff.

« Un Martin Corry ou un Matt Dawson m'ont dit sur le moment qu'ils n'aimaient pas cette manière de faire »

 

 
 
 

Le premier match contre les All Blacks a en effet débouché sur une lourde défaite (3-21) et la blessure de Brian O'Driscoll, victime d'un double plaquage cathédrale de Tana Umaga et Keven Mealamu. Un épisode à l'origine d'un premier malentendu avec la presse, qui vous a reproché la communication autour de ce fait de jeu ?
J'ai orchestré la réponse, oui, parce que j'étais là pour ça ! Mais ce n'était pas pour masquer le résultat. Alfie (Gareth Thomas) m'a dit à la fin du match : « j'étais à côté de l'action, j'ai tout vu, et j'ai crié à l'arbitre de touche : « mais qu'est ce qui se passe ? » » Il était tellement passionné. Clive m'a tout de suite dit aussi qu'à son avis, c'était fait exprès d'attaquer le capitaine et le meilleur joueur des Lions. Et quand on regardait la vidéo sous tous les angles... Clive m'a alors dit : « je veux parler cette nuit ». Alors on a appelé la presse et on a fait une conférence de presse vers minuit ! Et j'ai tout de suite senti ce qui se passait : pendant que Clive leur parlait, les journalistes me regardaient l'air de se demander : « mais qu'est-ce qu'il est en train de faire ».

A posteriori, beaucoup de joueurs vous ont reproché de trop cadrer leur parole envers les journalistes, à base d'éléments de langage. Leur avez-vous ôté toute spontanéité, notamment lors de cet épisode ?
Ce n'est pas que je voulais contrôler, j'essayais d'assister ceux qui n'aimaient pas l'exercice de s'adresser aux journalistes. C'était surprenant mais je n'aurais pas dû être surpris : c'était de jeunes hommes. Pourquoi auraient-ils dû être habiles dans leur manière de communiquer ? Je pouvais juste leur expliquer ce que les journalistes allaient leur demander et l'idée principale que Clive Woodward voulait faire passer à travers ses interviews. Ce n'était pas comme en politique où il faut être plus directif et affirmer : « il FAUT faire ça, dire ça ». Un Martin Corry ou un Matt Dawson m'ont dit sur le moment qu'ils n'aimaient pas cette manière de faire. Et j'ai été fâché contre Ben Kay parce qu'à l'époque, il ne m'en avait pas parlé, pour ensuite l'écrire dans son livre.

« Et là, Steve Thompson et Paul O'Connell ont baissé mon pantalon devant tout le monde... »

 

 
 
 

Comment se passaient vos relations avec les joueurs, justement ?
J'étais là aussi pour discuter avec eux. Dans notre salle de vie, on avait créé un cabinet politique ! Le premier ministre, c'était moi, Martin Corry était le chancelier, Stephen Jones le secrétaire d'État pour les affaires étrangères. Lui me posait sans cesse des questions sur ce qui se passe au gouvernement, comment on prend les décisions, etc. On était là ensemble la nuit où Jacques Rogge a annoncé la victoire de Londres contre Paris pour les JO 2012. Les joueurs savaient que j'échangeais avec Tony Blair, qui était à Singapour, et le prince William, et ça les intéressait beaucoup. Je me suis fait des amis parmi eux, surtout chez les Gallois ou les Irlandais. Si j'ai tant discuté avec les Irlandais, c'est sans doute parce qu'une des choses importantes qu'on avait réussies avec le gouvernement de Tony Blair, c'était l'accord du Vendredi saint (l'accord de paix pour l'Irlande du Nord en 1998).

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Brian O'Driscoll, blessé lors du premier test. (JOHNSTON HANNAH/Presse Sports)

Les joueurs vous ont-ils bizuté ?
On sortait d'une conférence de presse. Je portais le survêtement des Lions, comme tout le monde dans l'équipe. Les journalistes me regardaient bizarrement, l'air de se dire que je ne connaissais rien au rugby. Et là, Steve Thompson et Paul O'Connell ont baissé mon pantalon devant tout le monde... Mon Blackberry est tombé de ma poche et les joueurs l'ont piqué. J'en ai eu une peur épouvantable parce que je travaillais toujours avec le gouvernement à partir de ce Blackberry ! La veille au soir j'y avais fait une note sur toute la stratégie pour le jour où Tony Blair transmettrait le pouvoir à Gordon Brown. Je pensais : « un joueur de rugby qui a mon portable avec tout ça dedans... » Et eux, ça les faisait rigoler ! Je suis allé voir l'équipe de la sécurité en me plaignant : « ils ne m'écoutent pas, tu peux lui dire que ça pourrait vraiment créer des problèmes ? »

« J'avais perdu les joueurs dès le début, quand j'ai commencé en leur disant ''je ne suis pas expert en rugby''»

 

 
 
 

 

Matt Dawson a raconté qu'avec le portable ils avaient réussi à envoyer des messages à Tony Blair...
Ce n'est pas vrai (rires). Ce qui est vrai, c'est qu'ils ont envoyé des messages au nom « Tony ». Ils pensaient que c'était Blair, mais ce n'était pas lui !

Il paraît que les joueurs ont moins apprécié le jour où vous leur avez prononcé un discours ?
C'était après le premier test. En retournant à l'hôtel le soir, j'avais croisé des joueurs qui buvaient un pot avec leurs amis ou leur famille. Le lendemain, j'avais fait remarquer à Clive que je n'avais pas eu l'impression qu'ils se sentaient mal après la défaite. Moi, dans une bataille politique, une élection partielle ou une querelle avec un autre pays, si je perds, je le sens, ça fait du mal ! Clive m'a alors suggéré de leur raconter ça... J'ai réfléchi, et je l'ai fait. Matt Dawson m'a raconté ensuite que j'avais perdu les joueurs dès le début, quand j'ai commencé en leur disant : « je ne suis pas expert en rugby ». Il ne fallait pas dire ça ! Je leur ai aussi parlé des situations militaires où des soldats avaient peur de perdre une bataille. Et des fois, il faut avoir ce sentiment pour monter au combat. Et, il me l'a avoué plus tard, Martin Corry a eu envie de me mettre son poing dans la gueule quand je leur ai parlé comme ça ! Je peux comprendre. Ce que Clive voulait là, c'était créer une explosion.

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Clive Woodward cerné par les médias. (Stickland/Presse Sports)

Ces ficelles, pour remotiver les troupes, vous les utilisiez aussi en politique ?
Oui, souvent. Qu'est-ce qu'on va apprendre d'une défaite, trouver du bon dans le mauvais et questionner l'action de chacun, ça se fait en politique aussi. Ma citation préférée, c'est celle d'un coach irlandais d'athlétisme : « the winner is the loser who evaluates defeat properly ». Un gagnant, c'est le perdant qui parvient à évaluer correctement la défaite.

« Steve Thompson grognait : « qu'est-ce que c'est que ces conneries ? »

 

 
 
 

Certaines choses que vous avez observées lors de cette tournée vous ont-elles servi en politique ?
Oui, j'ai transféré des exercices pratiqués par les Lions dans leur préparation, quand ils essayaient de mettre de l'harmonie entre ces joueurs qui venaient de s'affronter pendant toute la saison. Par exemple, les Lions ont fait un tableau commun sans savoir ce qu'ils peignaient. Steve Thompson grognait : « qu'est-ce que c'est que ces conneries ? » Mais on a découvert qu'au final on avait peint l'écusson des Lions. J'ai aussi observé comme c'était difficile pour un entraîneur d'annoncer à un joueur qu'il ne jouerait pas. J'étudiais la manière dont Clive le faisait, avec dureté, mais, pour certains joueurs, de manière plus douce.

Toutes les méthodes de Clive Woodward n'ont pas fonctionné dans cette tournée...
Clive a un esprit très énergétique, avec plein d'idées... Avant le premier test, un historien est venu expliquer le Haka et qu'il y aurait une manière de répondre si on voulait agiter les All Blacks, qui serait polie mais qui les troublerait. Alors il a accepté... Mais ça n'a pas marché ! »

 


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Posté 25 juillet 2021 - 19:11

5e et dernier avec retard

 

La tournée des Lions en Afrique du Sud en 2009, un chef-d'oeuvre d'art brut En 2009, la tournée des Lions en Afrique du Sud a débouché sur des matches d'un engagement physique total, qui a frôlé la violence pure lors du deuxième test. Au point d'en étonner, voire écoeurer, les acteurs-mêmes.
 

Ah ça, elle a été moderne et dans l'air du temps, la présentation du squad de Lions britanniques et Irlandais sélectionnés pour voyager en Afrique du Sud cet été. Conférences vidéos et hologrammes de superproduction hollywoodienne, pour distraire des contraintes Covid. Mais quand il a dû égrener l'identité des heureux élus, Warren Gatland en est revenu à une vérité éternelle : pour affronter les Springboks chez eux, et surtout quand on revêt la tunique rouge des Lions aux quatre écussons, il faut embarquer un groupe solide, prêt à répondre à tous les défis, surtout physiques.

Le Néo-Zélandais aurait pu se replonger en 1962, quand le cubique Mannetjies Roux, trois quarts centre trapu d'1,70 m à la défense féroce, avait désossé Richard Sharp, dans un match de semaine, avec le Northern Transvall. Un plaquage qui avait fracassé la mâchoire de l'ouvreur des Lions dans un Loftus ravi. Le manager aurait aussi pu remettre au goût du jour le fameux appel de 1974, quand les Lions, prévoyants, avaient décidé d'hurler « 99 » comme cri de ralliement dès qu'une bagarre ou une brutalité les menaçait, et qui parvenait même à rameuter les trois-quarts, comme un JPR Williams qu'on peut voir galoper vers les attroupements à en faire frisotter ses rouflaquettes à force de moulinets virils.

Violent dès la première action

Mais non, Gatland a tout simplement fait référence à sa propre expérience, celle de 2009. Tout frais sélectionneur du pays de Galles, qu'il avait mené au Grand Chelem en 2008, il vivait sa première tournée des Lions, en tant qu'adjoint de Ian McGeechan, en charge des avants. En juin, il a mentionné cette initiation, et avoué qu'elle l'avait influencé pour ses choix de cette année, l'incitant à composer un pack plus solide qu'à l'époque.

C'est que, douze ans après, le pelage des Lions en était encore rougi de douleurs. Le premier test, disputé à Durban, l'avait déjà froissé à rebrousse-poil. La première action ? Un avertissement clair, un coup d'envoi inversé directement sur le capitaine, Brian O'Driscoll, secoué par un petit coup de hanche désinvolte alors qu'il était encore en l'air après avoir dégagé au pied le ballon le plus vite possible. Toujours moins scandaleux et définitif que la double agression subie par le même BOD quatre ans plus tôt en Nouvelle-Zélande, quand les Blacks s'y étaient pris à deux, Keven Mealamu et Tana Umaga, pour soulever l'Irlandais, le planter directement tête dans le sol et le mettre hors-jeu définitivement, épaule en vrac.

Mais un clair message de bienvenu, transformé dans le jeu par une nette domination du pack des champions du monde 2007. La mêlée des Lions avait ainsi souffert, enfoncée notamment par un Tendai Mtawarira qui avait réveillé la Beast qui sommeillait en lui. Quant à l'un de leurs mauls, il fut acculé sur près de 30 mètres, une reculade en règles qui offrit un essai aux Boks. « Brutalized », avait alors lâché, incrédule, le commentateur de Sky Sports, avant d'esquisser l'épitaphe des Lions ce jour-là : « Les Springboks rossent les Lions, maintenant à genoux ».

les Boks voulaient achever la bête blessée

Mais tout ceci n'était qu'une aimable accolade, comparé au deuxième test, organisé au Loftus, cathédrale du rugby sud-af'. Victorieux la semaine précédente, les Boks voulaient achever la bête blessée. Les Lions, eux, n'aspiraient qu'à sauver regonfler leur crinière. « Je me souviens du discours des entraîneurs avant le match, confie Joe Worsley, l'actuel entraîneur adjoint de Castres, dans le groupe des Lions à l'époque. Ils avaient regretté leur choix pour le premier match, où ils avaient tenté quelque chose qui n'avait pas marché, et avaient donc décidé de changer leur composition d'équipe, avec un cinq de devant plus puissant pour gagner les collisions. » L'épais Simon Shaw y avait ainsi gagné sa place en deuxième-ligne, à la place d'Alun-Wyn Jones. Les Lions étaient parés au combat.

« Je me disais "mais qu'est-ce qu'ils sont en train de faire, là ? J'ai dû mal voir... Ils vont couper des têtes ou quoi !" »

Christophe Berdos, qui était l'arbitre de champ

 
 
 

Et il valait mieux. « Il y a eu des choses que même moi je ne voyais jamais en France, s'en étonne encore, plus d'une décennie plus tard, Christophe Berdos, qui était l'arbitre de champ cette après-midi-là. Je me disais "mais qu'est-ce qu'ils sont en train de faire, là ? J'ai dû mal voir... Ils vont couper des têtes ou quoi !" » Le sifflet français ne pouvait effectivement pas tout discerner dans ces deux heures de furie et certainement pas le premier d'une longue série de gestes rares : une fourchette.

Et une fourchette au bout de 20 secondes de jeu, s'il vous plaît, plantée par Schalk Burger, qui venait d'avoir l'honneur d'entrer seul sur la pelouse pour célébrer sa cinquantième cap. Après l'écroulement du premier maul, le flanker blondinet a enfoncé ses phalanges dans les orbites innocentes de Luke Fitzgerald. Berdos était de l'autre côté de l'édifice, il n'avait rien pu distinguer de cette agression, signalée par son juge de touche.

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La fourchette de Schalk Burger. (DR)

Le recours à la vidéo n'était alors pas autorisé hors des zones d'en-but et sans ralentis ou angles de caméras, Berdos s'était contenté d'un carton jaune. « Je ne perçois pas le geste, se remémore-t-il. Le collègue juge de touche m'interpelle et dans sa narration je ne perçois pas la gravité du geste. Ces mots, c'est ce qui permettait la graduation de la sanction. J'ai jugé plus bas que ce qui était mérité. »

En arrivant en Afrique du Sud, Berdos avait lui aussi été happé par la dimension d'une tournée des Lions. « En intensité, dans ma carrière, je n'ai pas connu plus haut que ce match, estime-t-il aujourd'hui. Que ça soit l'avant, le pendant ou l'après : même deux semaines avant, on sent que c'est tout un contexte, incomparable, une consécration pour les joueurs, une effervescence pour les spectateurs. Et pour un arbitre aussi. »

Un festival de coups bas

 

Berdos avait donc décidé d'en adapter son arbitrage. « C'est sûr qu'avec une fourchette dès le début, la barre était placée haut... Et ensuite, c'était 80 minutes d'un combat acharné qui a toujours frôlé la limite de l'engagement physique. Mais c'est la complexité de ce genre de matches pour un arbitre, il faut être très exigeant sur les comportements tout en évaluant la volonté de combattre des deux équipes. Si on met un carton trop tôt dans ce genre de matches, il faudra ensuite tenir cette ligne pendant 80 minutes ! Je ne voulais pas qu'on dise "il a dégainé, et il n'a fait que ça". Alors, j'ai serré les fesses tout le match ! »

C'est qu'il n'aura sans doute pas eu la moindre seconde pour relâcher cette tension postérieure. On a revu de tout dans le film de ce match, le bras qu'on laisse traîner quand on monte au contre d'un botteur (JP Pietersen sur Kearney), le coup qu'on rajoute au marqueur d'un essai qui est encore en train d'aplatir (Heaslip sur Habana), la petite gifle l'air de rien (Burger, encore, sur Phillips), l'exploration des parties intimes de l'adversaire, par un Andrew Sheridan aussi solide qu'agacé ce jour-là. Un récital total !

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Le coup d'Heaslip sur Habana alors que ce dernier est encore en train d'aplatir. (DR)
Du sang, une épaule déboîtée, une commotion

Dont quelques notes restées célèbres méritent qu'on s'y attarde. En début de deuxième période, les Lions ont perdu leurs deux piliers sur la même action. Gethin Jenkins s'y est donné une fracture au visage dans un choc de têtes avec Bryan Habana, qu'il tentait de plaquer, et a quitté l'arène l'arcade en sang, hagard. Pendant qu'on l'évacuait de la pelouse, une autre partie du staff médical était penchée sur Adam Jones. Le droitier chevelu souffrait de l'épaule, que venait de lui démettre Bakkies Botha sur un déblayage appuyé. Le geste vaudra d'ailleurs deux semaines de suspension au deuxième-ligne, longtemps marqué par une décision qu'il ne comprenait pas. Ses coéquipiers, la semaine suivante, en arboreront autour du bras un élastoplast bricolé et gribouillé d'un « Justice 4 » (son numéro) peut-être un peu disproportionné.

Cinq minutes après cette double sortie, l'autre fait de jeu impressionnant : Brian O'Driscoll qui se précipite sur Danie Rossouw pour le plaquer mais provoquer surtout un immense choc de têtes entre eux deux. Il y a quelque chose d'effrayant et pathétique à revoir, douze ans après, le futur Toulonnais essayer de se relever, tituber vers l'arrière, incapable de se tenir en équilibre, avec un Victor Matfield qui le ramène à la raison et l'empêche de retenter la station debout. Il y a quelque chose de tout aussi inquiétant, a posteriori, à voir BOD rester sur la pelouse, malgré tous les symptômes d'une commotion. Ça, même les Boks l'avaient perçu, puisque cette année, Bryan Habana a révélé que sur l'action suivante, ils avaient décidé de viser sa zone, « parce qu'il avait l'air pas clair ». Résultat, essai pour les locaux.

O'Gara, la faute bête

Ces coups ont ainsi fini par acculer les Lions, comme sur la dernière action du match, alors que le score était de parité. Remplaçant, Ronan O'Gara venait de réceptionner un coup de pied dans son camp. Sur le bord de la pelouse, Shaun Edwards lui hurlait de dégager en touche pour finir sur un nul qui aurait laissé les Lions dans la série. Mais ROG n'avait sans doute plus toute sa tête. Cinq minutes plus tôt, il s'était littéralement fait marcher dessus par Pierre Spies, un numéro 8 impressionnant ce jour-là, qui avait donc renversé l'ouvreur d'une charge sauvage.

Pour stopper une hémorragie, l'actuel entraîneur du Stade Rochelais en avait hérité d'un bandeau sur le front. Et sans doute d'une lucidité amoindrie. Car, au lieu de mettre fin aux débats, il tenta alors une chandelle. Au point de chute du ballon, en retard, il ne sauta pas. Et ne put que bousculer le Springbok déjà en l'air pour la conquête de l'ovale. « Quand je siffle cette pénalité, se rappelle Berdos, elle m'agace. Le goût du sifflet dans la bouche n'était pas bon. Sur la gestion de fins de matches comme ça, on essaie de ne pas faire basculer un résultat sur ce genre de choses. On sent qu'O'Gara n'a pas toute sa lucidité. Alors quand je siffle, je me dis, "quel dommage". Mais je n'ai pas le choix. » Sanctionné, ROG, le visage en sang, a l'air de se maudire lui-même. Et Morné Steyn, impitoyable, passe le but de la gagne de 53 m.

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Ronan O'Gara concède la pénalité de la défaite. (DR)

Les Lions sont K.-O., la série est perdue. Mais ce n'est pas ce qui fait le plus souffrir son corps médical. Dans le documentaire tiré de cette tournée des Lions, « Living with Pride », on entend James Robson, le docteur, commenter, au lendemain de la rencontre : « ce second test a été l'un des plus brutaux dans lequel aucun de nous n'ait jamais été impliqué. Gethin Jenkins va devoir être opéré, Adam Jones a une épaule déboîtée, O'Driscoll a subi une commotion et O'Gara a le pire oeil au beurre noir que j'aie vu hors d'un ring de boxe ! » On sent de l'amertume dans ces diagnostics. Une pointe de frayeur rétrospective, aussi. Qui selon un article du site The XV, La bataille de Pretoria, a incité l'un des docs, Gary O'Driscoll, à ne plus revenir dans l'encadrement des Lions pour la tournée suivante.

Son collègue Robson précisera, dans le même article : « Ça me donne des angoisses sur le nombre de matches que doivent disputer les joueurs maintenant. J'espère qu'à un moment, la santé des joueurs sera mieux prise en compte par les encadrements. Pour leur bien, j'espère que plus de mesures seront prises. On arrive à un point où les joueurs sont trop costauds, on doit provoquer des changements dans leur physionomie pour que le jeu soit plus basé sur la vitesse et l'adresse. » Un débat qui a irrigué le rugby à partir du milieu des années 2010, avec une lente éducation de tous les acteurs aux risques des commotions cérébrales, à leur prise en charge, etc. La mutation est encore en cours. Mais tous les protagonistes de cette rencontre en particulier penseront comme Berdos, sans jugement : « on n'aurait plus le même match aujourd'hui ».



#7 avensis

avensis

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Posté 24 août 2021 - 12:22

Merci pour le partage ça m'a fait une bonne lecture 






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