En cherchant des articles sur le fameux "monstre à 16 pattes" que souhaite faire revivre Urios (je n'étais pas née dans les années 70), je suis tombée sur celui-ci "La saga de l'AS Montferrand", qui évoque brièvement ce monstre, mais je me suis dit qu'il pourrait intéresser d'autres cybers :
La saga de l'AS Montferrand
Avec près de quatre-vingts ans en 1re division, l'ASM demeure l'un des clubs emblématiques du petit monde de l'Ovalie et l'une des fiertés de la ville
Par Haget Henri
Publié le 16/01/2003
Au pays des volcans, l'éruption n'est pas passée inaperçue. Le 7 décembre 2002, au terme d'une défaite (20 à 23) face à la province irlandaise du Leinster, le public du stade Marcel-Michelin prend feu. Dans le collimateur, Christophe Mombet, manager général de l'Association sportive montferrandaise (ASM), mais aussi le président du club, Jean-Louis Jourdan. Frustrés par cette élimination prématurée en Coupe d'Europe, qui s'ajoute à un début de championnat de France plutôt poussif, les supporters réclament des comptes, voire des têtes. Une première, ici, où les 12 000 spectateurs en moyenne du stade Michelin composent le public le plus fidèle du rugby français, le plus patient aussi, en dépit d'une histoire lourde de sept finales du championnat toutes perdues.
Durant deux semaines, donc, l'ASM va vivre l'une des périodes les plus agitées de son existence. Christophe Mombet a mis sa démission dans la balance, en cas de nouvelle défaite, en championnat, contre Castres, le 21 décembre. Le président Jourdan enfonce le clou dans une interview à L'Equipe en forme d'ultimatum à ses joueurs. Titre de l'article: «Le confort a ses limites». On connaît la suite. Les pauvres Castrais seront finalement transformés en steak haché (22 à 0). Debout, le public salue ses héros retrouvés. Le psychodrame ne passera pas les fêtes. Vive la crise? «Le coup de pied aux fesses a parfois ses vertus, souligne Christophe Mombet. En cinq ans de professionnalisme, le club a beaucoup changé. Nous avons été les premiers à enrôler des entraîneurs australiens. Nous possédons la quasi-totalité de la ligne d'attaque du XV de France. Et chaque saison, nous jouons le titre. En contrepartie, les supporters, eux aussi, ont changé. Ils sont devenus plus exigeants. Ils veulent des résultats. Ils veulent surtout du rêve.»
Le public. Ici, il est sacré. Avec ses 6 500 abonnés, l'ASM fait des envieux jusque dans les forteresses ovales du Sud-Ouest. «Même en football, certains clubs de Ligue 1, comme Bastia ou Sochaux, ne possèdent pas un tel noyau de fidèles», rappelle Jean-Louis Jourdan. A charge pour les joueurs de respecter les vertus cardinales de la maison jaune et bleu. Courage. Abnégation. Solidarité. «Ils ne doivent jamais perdre de vue que, parmi les 12 000 supporters qui les soutiennent, la plupart sont des employés de Michelin qui se lèvent à 3 heures du matin pour embaucher à 5 et qui ne gagnent pas des mille et des cents», insiste le président Jourdan. Il sait de quoi il parle. Lui-même cumule ses fonctions à l'ASM et des responsabilités de directeur général chez le géant mondial du pneu. Dans quelques semaines, pourtant, il se consacrera à 100% au rugby. Il jure que l'automne pourri de son équipe n'y est pour rien. «C'est devenu un boulot à temps plein. Michelin, qui a accepté de me détacher auprès du club, l'a bien compris.»
Ainsi va la vie au pied du puy de Dôme. Le professionnalisme a fait son nid dans le rugby, la révolution culturelle est en marche, l'anglais a supplanté le patois auvergnat, les «Jaunards», comme on les appelle sur tous les terrains de France, se sont même rebaptisés les «Vulcans» pour épouser leur siècle, mais l'ombre tutélaire de la maison mère n'a pas fini de planer sur le bon vieux stade Marcel-Michelin.
A l'ASM, rien ne se fait, rien ne s'est jamais fait, à l'écart de la célèbre marque au Bibendum. C'est inscrit dans l'acte de naissance. Les premières années, le club, qui fêtera son centenaire en 2011, se nomme AS Michelin. On le transformera, plus tard, en AS Montferrand - du nom du quartier où sont implantées les usines - mais l'affaire n'en demeure pas moins dans le giron de la famille. Des trois sections - cross-country, football, rugby - créées par le fondateur Marcel Michelin, cette dernière devient très vite l'orgueil de l'entreprise, de la ville et même de toute une région. Dans les années 1930, déjà, l'ASM parvient à deux reprises en finale du championnat de France. Comment la greffe a-t-elle pris dans une région que les aficionados de Biarritz ou de Toulouse assimileraient presque au pôle Nord? Robert Boisson, ancien rédacteur en chef de La Montagne - qui vient de publier, avec Christophe Buron, un remarquable opus ASM. Le coeur rugby - a sa petite idée. «C'est un sport qui correspond bien au tempérament auvergnat, analyse-t-il. Humble et dur au mal. Pragmatique, mais fraternel.» Pour preuve: le club, qui a accédé à la 1re division en 1925, ne l'a plus jamais quittée. Un record qu'aucun autre club n'est près d'égaler.
Bien plus tard, alors que le rugby vit les riches heures de l'amateurisme marron, l'ASM va ajouter à ses ressources identitaires quelques arguments sonnants et trébuchants. Il y a toujours un boulot chez Michelin pour les bons joueurs de rugby prêts à quitter leur Sud-Ouest natal afin de s'installer dans la région. Et, à l'issue des matchs, les enveloppes y sont souvent plus épaisses qu'ailleurs. Dans les années 1970, l'équipe échoue encore à deux reprises en finale du championnat de France. Ce n'est pas faute d'inspirer la crainte partout où elle passe. Le pack de l'ASM - qui n'a pas son pareil pour confisquer le ballon et laminer ses adversaires - est surnommé par l'admirable Roger Couderc: «Le Monstre à 16 pattes». Et quand celui-ci consent à accoucher d'un ballon, l'ouvreur Jean-Pierre Romeu, dit le «Vieux Gaulois», l'expédie illico entre les perches. Plus efficace que spectaculaire, donc. Mais le public du stade Michelin en frissonne encore d'émotion. «C'était un rugby d'ouvriers», commente joliment le troisième ligne Jean-Marc Lhermet, qui sera, dans les années 1990, le capitaine et l'incarnation des valeurs ancestrales de l'ASM.
De tous les rugbymen venus chercher fortune - modeste, comme le voulait l'époque - beaucoup ont fini par faire souche ici, à l'image de Jean-Pierre Romeu, dont on ne sait plus, ici, s'il est originaire de Carmaux ou de la place de Jaude. Beaucoup, mais pas tous. Laurent Rodriguez, poutre maîtresse du XV de France, n'a jamais pu s'acclimater loin de ses Landes chéries. Considéré, en 1986, comme le transfert de l'année, il n'est resté que quelques mois à Clermont-Ferrand. «L'hiver le plus terrible depuis la Libération», sourit Robert Boisson. Pendant trois semaines, le thermomètre affiche - 10 °C, les routes sont bloquées par la neige. Il n'y a pas grand-chose qui ait fait reculer Laurent Rodriguez durant sa carrière. Le froid, si. «Tu décides ce que tu veux, mais moi, je rentre à Mont-de-Marsan», lui a finalement lâché sa femme entre les deux réveillons. Le redoutable Lolo ne s'est pas fait prier: «Je te suis. On y va en skis?» Exit Lolo. Adieu le folklore.
Aujourd'hui, l'ASM recrute jusqu'aux antipodes, affiche un budget de 8 millions d'euros et possède un centre de formation digne des meilleurs clubs de football. Michelin n'est plus le seul bailleur de fonds - l'ASM compte près de 200 partenaires économiques - mais reste, de loin, le principal mécène. A quelle hauteur? Secret défense. Il n'empêche qu'à l'heure de la pêche aux sponsors l'omnipotence du fabricant de pneus - propriétaire, en outre, de toutes les installations sportives - peut effaroucher certains candidats. «C'est le revers de la médaille, souligne Jean-Michel Berjaud, responsable du marketing à l'ASM. Ce soutien historique a créé une image de marque très forte pour le club. D'un autre côté, il y a des entreprises qui hésitent à nous rejoindre par crainte d'être rejetées dans l'ombre par notre célèbre parrain.» Or rien ne dit, en ces temps de marasme économique - mais d'inflation dans le petit monde de l'Ovalie - que Michelin ait l'éternelle vocation d'entretenir une équipe professionnelle de rugby. Le sujet est tabou. Mais Jean-Louis Jourdan a laissé planer quelques nuages en citant, au plus fort de la minicrise automnale, l'adage favori de François Michelin, qui a récemment pris sa retraite: «Les arbres ne poussent pas jusqu'au ciel...» Faites passer.
S'il existe un endroit, à Clermont-Ferrand, où l'on a appris à décoder ce genre de messages, c'est bien à l'hôtel de ville. Depuis la nuit des temps, la municipalité socialiste et l'ASM se toisent superbement. L'ancien maire, Roger Quilliot, ne se rendait au stade qu'en de très rares occasions et en traînant les pieds. Son successeur, Serge Godard, lui, fait des efforts - il était à la tête de son équipe municipale, écharpe jaune et bleu autour du cou, au Stade de France, lors de la finale 2001 - et a même fait voter, cette année, une subvention symbolique, la première de l'histoire - au profit de l'ASM.
Pour autant, le match entre la gauche et le «grand capital» n'est pas tout à fait passé de mode. Même si, par un ricochet du destin, l'adjointe aux sports de Serge Godard, Christine Dulac-Rougerie, n'est autre que la maman de l'ailier du XV de France et du club auvergnat, un certain Aurélien Rougerie. «L'ASM prône-t-elle désormais l'ouverture? interroge Christine, faussement candide. Excellente nouvelle. Cela me fait penser à un vieux célibataire qui, au bout de cinquante ans, décide de se marier. Le club s'est toujours plu à vivre seul. Aujourd'hui, les rapports avec la ville se réchauffent doucement. Il serait peut-être temps que le nom de Clermont-Ferrand apparaisse en toutes lettres dans l'intitulé du club.»
Changer l'ASM en ASCF? Ce n'est pas gagné. Au sein du club, pourtant, beaucoup veulent croire à l'union sacrée. Car il faut, encore et toujours, fédérer. Au risque, sinon, de se marginaliser. Pour la première fois de son existence, en effet, l'ASM n'est plus seule sur le devant de la scène. Le Clermont-Foot, qui a accédé la saison dernière à la Ligue 2, ne manque pas d'ambition (voir ci-contre). Certes, le rugby continue de tenir la corde dans le coeur des Clermontois. «Mais il faut faire attention», reconnaît Christophe Mombet. La grande, la belle idée, celle qui mettrait tout le monde d'accord, on la connaît. Ce serait de décrocher ce satané bouclier. A la huitième tentative. Pas plus tard que le 7 juin prochain. Après tout, c'est un joli nom, l'ASM. L'essentiel, c'est qu'on en finisse avec le mythe de l'AS Malédiction.
Source : https://www.lexpress...and_650507.html