Tandis que Français ou Irlandais trépignent d'impatience à l'idée de l'imminente Coupe du monde en France (8 septembre-28 octobre), d'autres nations avancent à reculons vers l'échéance mondiale. Le pays de Galles fait partie de celles-là.
Jadis fort de ses tournois des VI nations réussis en 2011 et 2015 ou victorieux en 2019 avant d'attaquer le Mondial, le XV du Poireau n'a jamais paru aussi faible qu'actuellement. Les Dragons ne parviennent plus à cracher leur feu, en témoignent leur faible bilan lors des deux derniers tournois des VI nations (à chaque fois 1 victoire pour 4 défaites) ou encore leurs 8 revers pour 2 succès lors de leurs 10 dernières sorties.
S'ajoutent à cette confiance en berne d'inquiétantes nouvelles. Après la retraite forcée de Josh Navidi (33 sélections) en avril, en raison d'une grave blessure au cou, celles, plus étranges, de Justin Tipuric (93 sélections), d'Alun Wyn Jones (158 sélections) et de Rhys Webb (40 sélections) en l'espace de deux semaines fin mai.
Étranges car même si les trois joueurs, 33, 37 et 34 ans respectivement, étaient plus proches de la fin que du début de leur carrière, leur rôle était encore crucial dans le XV du Poireau. Tipuric et Webb ont disputé quatre matches du dernier Tournoi, Alun Wyn Jones trois. Dans un effectif en totale reconstruction, les glorieux vainqueurs des Tournois 2012, 2013, 2019 et 2021 permettaient de maintenir un certain cap.
Le timing de ces annonces peut donc surprendre, alors que la Coupe du monde approche dans moins de trois mois (8 septembre - 28 octobre 2023). Johnny Sexton, lui aussi sur la fin de sa carrière, devrait ainsi prendre sa retraite après le Mondial. Aussi, pourquoi les Gallois n'ont-ils pas choisi d'imiter le modèle de l'Irlandais en disputant cette dernière grande échéance avant de tirer leur révérence ?
Dans le communiqué qui annonçait sa retraite le 31 mai dernier, Rhys Webb a apporté des éléments de réponses. « J'aurais aimé mettre fin à ma carrière en jouant pour une région galloise, mais l'incertitude et les difficultés actuelles du rugby gallois signifiaient qu'il y avait peu d'opportunités pour un contrat qui offrait une sécurité pour les années à venir. » Si l'on ne connaît en effet pas encore la destination qu'il rejoindra la saison prochaine, il devrait certainement quitter le pays de Galles.
Le demi de mêlée met là le doigt sur le problème majeur du rugby gallois, dont les clubs, comme l'équipe nationale, vivent une véritable crise sportive et financière. L'hiver dernier, pendant le tournoi des VI nations 2023, celle-ci avait atteint son acmé lorsque les joueurs du XV du Poireau avaient menacé de se mettre en grève, alors que la fédération galloise de rugby (WRU) proposait de baisser les salaires de ses joueurs, considérant que le rugby gallois vivait au-dessus de ses moyens.
La situation date en fait de plusieurs années. La WRU est en effet en grande difficulté financièrement depuis la période de l'épidémie de Covid-19. Elle avait alors contracté un lourd emprunt auprès de l'État, qu'elle peine désormais à rembourser. Ainsi, faute d'accord financier entre la Fédération galloise de rugby et les différentes provinces (Ospreys, Cardiff, Newport, Scarlets), celles-ci ne peuvent pas proposer de nouveaux contrats aux joueurs, qui voient leur avenir s'écrire en pointillé.
De nombreux joueurs sont ainsi annoncés à l'étranger ou même déjà partis, comme l'international Dillon Lewis qui ira chez les Harlequins, le géant Will Rowlands qui a été recruté par le Racing 92 ou le prometteur Max Llewellyn qui rejoindra Gloucester. Ils s'ajoutent aux exilés de plus longue date, comme Dan Biggar (Northampton puis Toulon), Nick Tompkins (Saracens) ou Cory Hill (Yokohama) qui font déjà depuis plusieurs années leurs armes à l'étranger.
Autre joueur récemment exilé et autre grand absent gallois à la Coupe du monde : Ross Moriarty (29 ans, 54 sélections), arrivé récemment au CA Brive. Si le 3e ligne n'était pas inquiété pas les règles d'éligibilité du rugby gallois - qui obligent un joueur évoluant dans un championnat étranger à totaliser au moins 25 capes pour continuer à être sélectionnable - il s'est lui-même mis en retrait de la Coupe du monde, qui approche à grands pas. « Au stade où j'en suis dans ma carrière, dans ma vie personnelle, avec ma famille et où je veux jouer mon rugby, je ne me voyais pas faire un long camp de Coupe du monde, être loin du club, où je viens tout juste de signer. Cela ne me rendrait pas service », a-t-il expliqué le mois dernier à l'AFP.
Si l'explication du colosse aux 54 apparitions avec le pays de Galles fait honneur au club corrézien à qui il dévoue toute son attention, aurait-il pris la même décision si le pays de Galles vivait, comme la France ou l'Irlande, une période faste, en ayant de bonnes chances de remporter la compétition ?
Car Moriarty a, lui aussi, connu la période de crise du rugby gallois, alors qu'il jouait pour les Dragons jusqu'en début de saison. Période qu'il avait d'ailleurs commentée pour l'AFP, au moment de l'annonce de sa mise en retrait du Mondial : « Beaucoup de joueurs se sont retrouvés dans une très mauvaise situation avec les négociations de contrat. C'était vraiment moyen et amateur. Cela va être une période très difficile pour les joueurs du Pays de Galles, les équipes et peut-être même l'équipe internationale pour les deux prochaines saisons », prévoyait-il.
La période de crise pourrait en effet durer, dans la mesure où la réserve du rugby gallois est à la peine. Le pays aux 3,1 millions d'habitants a vécu une période faste dans les années 2010 (deux demi-finales de Coupe du monde, 3 tournois des VI nations), porté par une génération dorée (Alun Wyn Jones, Ken Owens, Sam Warburton, Gareth Davies, Justin Tipuric, Dan Biggar, Jamie Roberts, Jonathan Davies, George North, Leigh Halfpenny etc.). Problème, celle-ci est aujourd'hui vieillissante, tous les joueurs cités plus haut ayant la trentaine passée ou étant déjà retraités.
Le pays de Galles n'a, depuis, produit que peu de gros talents. Il y a eu la révélation du tournoi des VI nations 2021, Louis Rees-Zammitt et ses jambes de feu qui mettaient encore à mal La Rochelle en avril dernier. Le joueur aux 22 printemps est celui qui incarne mieux le renouveau gallois. Il y eut aussi la révélation de la tournée d'automne 2022 Rio Dyer (23 ans) ainsi que les jeunes Jac Morgan (23 ans), Christ Tshiunza (21 ans), Daffyd Jenkins (21 ans) et Mason Grady (21 ans), lancés durant le dernier tournoi.
Voir le nombre de joueurs au pays de Galles actuellement sans emploi a renforcé ma décision
Le jeune (20 ans) Joe Hawkins qui a quitté le pays de Galles pour Exeter la saison prochaine
Seulement, parmi ces jeunes promesses, plusieurs ont déjà annoncé leur départ. C'est le cas du jeune (20 ans) Joe Hawkins, lui aussi lancé lors du dernier Tournoi. L'ex-joueur des Ospreys a choisi de rejoindre les rangs d'Exeter la saison prochaine et n'est donc plus éligible pour la Coupe du monde. Un énorme coup dur pour la sélection galloise au sein de laquelle il s'était fait une place de titulaire lors du dernier tournoi.
Le joueur s'est exprimé le 3 mai dernier sur son choix et assure qu'il est nourri par des raisons financières et contextuelles. « La période turbulente du rugby gallois, durant laquelle il n'y avait pas de contrats proposés au pays de Galles, a mis tous les joueurs sans contrat sous pression. Voir le nombre de joueurs au pays de Galles actuellement sans emploi a renforcé ma décision. De plus, alors que j'ai passé ces dernières années à jouer au rugby professionnel, puis au rugby international, j'ai été tenu à un "contrat d'académie - étant nettement sous-payé » a-t-il expliqué sur son compte Twitter.
À noter que d'autres jeunes gallois, comme Louis Rees-Zammitt (22 ans, Gloucester), Christ Tshiunza (21 ans, Exeter), Dafydd Jenkins (20 ans, Exeter) ou Tommy Reffell (24 ans, Leicester) grandissent déjà dans les championnats étrangers. Ceux-là, jouissant du niveau du championnat anglais, permettront-ils au pays de Galles de sortir de la crise en septembre prochain lors de la Coupe du monde ? Le tirage au sort du Mondial a, lui, en tout cas, été clément avec la bande à Gatland, qui affrontera en poule l'Australie, les Fidji, la Géorgie et le Portugal.
