R.C NARBONNE bat A.S MONTFERRAND : 6 à 3 .

Le 10 mai 1936 au Stade des Ponts-Jumeaux à Toulouse.
Arbitre : M.Faur. Temps frais et couvert. Bon terrain. 25000 spectateurs. 277000 francs de recette.
R.C NARBONNE : 2 essais : Poinsaillé, Vals
A.S MONTFERRAND : 1 pénalité : Thiers.
R.C NARBONNE : Bouichou ; Chavanon, Ponsaillé, Clottes, Vals ; (o) Raynaud ; (m) Lombard ; Boyer, Sanguerra, Iché ; Aimiel, Arbora ; Toujas, Brecchi, Escaffre (capitaine).
A.S MONTFERRAND : Vesvre ; Bellot, Savy (capitaine), Courtadon, Plumasson ; (o) Chassagne ; (m) Thiers ; Cognet, Punsola, Rochon ; Dupouy, Julien ; Corporon, Paul, Fradet.

La formule était identique à celle de la saison précédente, Biarritz était tombé en huitièmes devant Narbonne qui par la suite avait éliminé l’U.S.A.P. en demi-finale
(3-0), tandis que Montferrandavait écarté Bayonne au Parcs (10-03). Chaque équipe déplorait l’absence d’un titulaire : à Narbonne, le capitaine Pignol était claqué. Iché glissait à l’aile de la troisième ligne et Sangayrac prenait place au centre de celle-ci. A l’A.S.M., Lombarteix, suspendu après la demi-finale, était remplacé par Fradet.
Deux belles lignes d’avants en tout cas avec un léger avantage de gabarit pour les Auvergnats. Mais leur entraîneur avait commis une erreur. L’ancien international Francquelelle avait choisi Savy, arrière de métier, en centre pour contrer la cavalerie audoise et renforcer la défense au pied. L’équilibre de la formation en pâtit fort.
Dès la 5é minute, Thiers donna l’avantage à l’A.S.M par un but de pénalité de 50 mètres, ce qui constituait alors un rareté. Grâce à la belle prestation de Cognet à la touche, les Auvergnats dominaient un débat d’avants et de botteurs plutôt terne. 3-0 pour l’A.S.M. à la mi-temps.
En seconde période, les Montferrandais donnèrent l’impression d’avoir la partie bien en mains. Bellot était écroulé à deux mètres de la ligne adverse, Savy ratit de
peu le drop et l’équipe audoise était réduite à quatorze après l’expulsion, à la 50é minute, du ailier Escaffre.
Mais les Narbonnais refirent leur retard. Raynaud, qui avait connu l’échec sur un drop, perçait à la 60é minute et, devant Vesvre, servait Ponsaillé qui marquait sous
les poteaux. L’ouvreur Narbonnais ratait la facile transformation. Les Narbonnais, désormais, prirent confiance en eux. Ponsaillé échoua à cinq mètres de l’en-but
mais à la 69é minute, une offensive audoise se développait après une touche et mettait Vals en mesure de plonger en coin pour l’essai de la victoire car les efforts ce Chassagne et de Savy demeurèrent inopérants en fin de partie.
On était au printemps 1936. Beaucoup de Narbonnais qui venaient d’élire Léon Blum député considérènt que la victoire du R.C.N. était celle du Front Populaire
sur le Capitalisme représenté par l’A.S.M. « Toute une époque », écrit Georges Pastre. En effet !


Debout: Paul, Corporon, Lombarteix, Monnet, Fradet, Cognet, Julien, Dupouy, Rochon;
assis: Bellot, Vesvre, Punsola, Savy, Francquenelle (dir. sportif), Courtadon, Plumasson, Marmayou;
assis devant: Chassagne, Thiers.

 


N° 513 du "Match l'intran"

Narbonne, champion de France de Rugby-XV

(De nos envoyés spéciaux à Toulouse)
Encore une fois, la partie suprême de la compétition nationale s'est déroulée à l'encontre des prévisions généralement établies à ce sujet. Faut-il donc, encore une fois, parler de 1a glorieuse incertitude du sport ? Nous laissons de côté ce trop vieux cliché, dont on ,peut d'ailleurs se demander l'exacte signification.
Convenons plutôt tout de suite que l'équipe nairbonnaise, désavantagée par la voix de la majorité de ceux qui, par métier ou par goût naturel, risquent en des occasions semblables leur réputation de prophète, a gagné ce match de telle façon qu'il serait bien injuste de dire quoi que ce soit qui puisse atténuer ses mérites.

Trente mille spectateurs


En effet, le fameux terrain des Ponts-Jumeaux, autour duquel se pressait - s'entassait serait plus juste - une foule d'environ trente mille spectateurs, fut dimanche le théâtre d'une lutte acharnée, brutale même, violente à l'excès parfois.
Tout d'abord, l'équipe de l'A.S. Montferrandaise paraît bien devoir justifier le crédit qu'on lui avait accordé. C'est elle, en effet, qui, quelques minutes à peine après l'ouverture des hostilités, étrenne le tableau d'affichage, en conséquence d'un but sur coup franc que le demi de mêlée Thiers ajuste de façon splendide, à quarante-cinq mètres des poteaux narbonnais. Les Auvergnats donnent l'impression très nette qu'ils ne s'en tiendront pas là. Profitant d'un talonnage supérieur et d'un jeu de touches longues plus adroites, leurs demis et leurs trois-quarts attaquent, comme on dit couramment, à jet continu. Les mouvements offensifs ainsi conçus se développent pour la plus grande joie des spectateurs et aussi pour le plus grand tracas de la défense adverse.

Mais alors celle-ci :prouve, clair comme le jour, que c'était à juste titre qu'on lui avait attribué une solidité à toute épreuve. Dix fois, vingt fois, les lignes arrière montferrandaises cherchent à franchir le barrage c'est en vain ; la muraille narbonnaise paraît parfois s'ébrécher quelque peu, mais toujours un joueur apparaît pour fermer la brèche par où semblaient pouvoir s'infiltrer les attaques auvergnates.
La première partie du match se passe ainsi à voir, en somme, les Languedociens s'évertuer à repousser, à grand-peine, mais avec succès, les offensives de leurs adversaires. Du reste, il faut bien dire que lorsque les lignes arrière de Narbonne eurent l'occasion de passer de la défense à l'attaque, elles se montrèrent moins dignes d'éloges.
En tout cas, les mouvements offensifs qu'elles dessinent paraissent bien lourds et bien lents, comparés à ce qu'on voit exécuter du côté adverse. Bien rarement une série de passes est poussée jusqu'à l'aile. Presque toujours, elle est interrompue par un coup de pied auquel un centre est obligé -par un adversaire plus rapide que lui.
Bref, l'équipe du R.C. de Narbonne n'a jamais valu au cours de la première mi-temps que par une défense quasi invulnérable. Pour ce qui est de l'attaque, elle a été à peu près nulle.
Quant au quinze montferrandais, c est autre chose. Il s'est montré, comme on le supposait, plus riche de ressources offensives que son rival, auquel il n'a du reste rien cédé sur un point quelconque du jeu. Et c'est précisément ce qui fait supposer aux spectateurs qu'il pourra pour le moins vivre jusqu'au coup de sifflet final sur l'avance de trois points que lui a donnée le merveilleux coup de pied de Thiers.

Narbonne se décourage


la seconde mi-temps s'engage, et son début confirme l'impression qu'on avait au repos, c'est-à-dire que les Montferrandais, toujours supérieurs en mêlée, continuent à attaquer par passes. Narbonne connaît alors des minutes pénibles. Mais encore la défense des Languedociens se montre-t-elle à la mesure de tous les périls. Les avants Cognet et Julien, le premier surtout, ont beau renforcer puissamment l'action de leurs partenaires demis et trois-quarts, rien ne peut faire écrouler la résistance narbonnaise.
N'importe, on en voit pas comment une équipe si souvent attaquée et d'ailleurs relativement inférieure sous le rapport de l'offensive, pourra gagner la partie. Aussi le découragement gagne-t-il le coeur des partisans du R.C. de Narbonne et fait qu'ils ne peuvent ;aère espérer même un match nul, puisque Montferrand a la direction des opérations et conserve toujours ses trois points.
Mais le miracle vint

Et... c'est le grand coup de théâtre. Au milieu du terrain, le ballon sort d'une mêlée du côté languedocien. La suite n'est pas à craindre pour Montferrand, on a vu si souvent les Lignes arrière de Narbonne laisser passer pareille occasion sans en tirer profit.
Mais, cette fois, c'est autre chose. L'attaque par passes s'amorce, se déroule avec une précision et une vivacité extraordinaires. On n'en croit pas ses yeux ; le centre Ponsaillié exécute, avec un brio étourdissant, une feinte le passe qui lui ouvre la route vers l'essai. Il y parvient sous des acclamations d'autant plus fortes qu'elles n'avaient pas eu juslu'alors l'occasion de se manifester. But raté, encore qu'il semblât d'une réussite facile.
N'importe, les Narbonnais sentent qu'ils peurent se tirer d'affaire. Ils multiplient en conséquence leurs efforts. Au contraire, l'équipe montferrandaise parait avoir été sérieusement ébranlée par ce coup que, d'ailleurs, personne n'attendait. Et cette apparence n'est pas trompeuse : elle s'accuse au contraire de plus enplus.
Encore un quart d'heure de jeu. Les réactions montferrandaises sont individuelles, par conséquent stériles. Du côté narbonnais, en revanche, l'équipe donne un plus haut rendenent. Les mêlées, jusqu'alors stériles, deviennent prolifiques à souhait.
Montferrand subit maintenant ce qu'il avait fait précédemment endurer à Narbonne. Mais ce n'est pas avec le même bonheur. Car, sur me nouvelle attaque de trois-quarts, l'ailier Vals marque triomphalement l'essai qui assure à son équipe la victoire qui lui apparut longtemps inaccessible.
Un très grand match ? Non. Il fut trop souvent entaché d'une violence excessive. Tout de même, une partie passionnante et dont le résultat fait grand honneur à la vaillance narbonnaise.

Ch. gondouin.

La bataille des Ponts-Jumeaux

Communiqué de l'Etat-Major


EH bien ! Il faut remettre à jour tous les manuels de stratégie. L'infanterie, en effet, n'est plus la reine des batailles. Les légionnaires du. Racing Club de Narbonne l'ont démontré devant trente mille spectateurs, sur le terrain des Ponts-Jumeaux, hier, à Toulouse.
La victoire, après avoir longuement hésité, est finalement restée à l'armée qui avait la meilleure cavalerie. Deux exploits de ses chevau-légers valent à Narbonne un trophée qu'il attendait depuis trente ans.
La bataille s'engagea après un long duel d'artillerie entre les deux arrières des armées ennemies. La balle volait d'un camp à l'autre, bien ait-dessus des têtes, à la manière des balles de tennis qu'échangeaient, à l'ombre du stade, les tennismen du Stade Français et ceux du Stade Toulousain.
Voyant qu'il n'arrivait rien, le capitaine Savy, chef des légions arvernes, fit appel à un canonnier d'élite.
" Tu vois ces deux poteaux, là-bas ? dit-il à Thiers.
- Oui, capitaine.
- Tu vois ce boulet ? dit-il encore en désignant la balle.
- Oui, capitaine.
- Tu vas l'expédier entre ces deux poteaux.
- Bien, capitaine.
"Le coup était difficile, le front à ce moment s'était fixé à quarante-cinq mètres du but qu'on proposait à l'adresse du canonnier Thiers. N'importe !
Thiers prit la balle et celle-ci, impulsée par un coup de soulier qui fit passer un frisson le long de l'échine de ceux qui eurent, au moins une fois dans leur vie, l'occasion de recevoir un coup de pied au derrière, vola entre les deux poteaux.
Le coup jeta le désarroi dans les rangs ennemis. Les cohortes narbonnaises parurent frappées de stupeur.
Pendant les deux tiers de la bataille on en resta là. Les naturels du Massif Central sempblaient désireux de vivre sur le bénéfice moral de l'exploit d'un des leurs. Peu à peu, ce, pendant, les Narbonnais réussirent à vaincre l'influence maléfique. Les fantassins, pendant ce temps, jouaient honnêtement le rôle de fantassins, qui est de massacrer et de se faire massacrer sans bénéfice appréciable pour le parti dont ils sont les champions. De temps en temps on emmenait simplement un mort ou un. grand blessé, à l'arrière du front.
Soudain, le commandant Lombard, général en chef de Narbonne, à qui Pignol, blessé, avait délégué ses pouvoirs, fut touché par la grâce. La muse qui fait les grands capitaines apparut et le baisa au front.
« Faites donner la cavalerie s, cria-t-il.
Alors, les chevau-légers narbonnais s'ébranlèrent. Le Catalan Ponsaillé réussit le premier dans sa mission. Pendant la fouie inextricablement mêlée des fantassins, il s'en fut porter au coeur même du camp adverse une machine infernale.
A ce coup imprévu, les Montferrandais ne répondirent que mollement. La cavalerie adverse accentua encore sa pression. Une deuxième machine, portée par Vais, franchit la ligne fatale montferrandaise.
Alors, l'arbitre siffla la retraite.
« Assez joué pour aujourd'hui s, dit-il aux adversaires exténués et soufflants.
Maintenant, si vous voulez l'avis d'un gars qui passe sa vie au pied des rings, on vous dira qu'un boxeur poids lourd doit être supérieurement entraîné pour jouer à un " jeu" pareil.


Robert Bré.