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13 Novembre 2015, putain 10 ans...


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#1 el landeno

el landeno

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Posté 10 novembre 2025 - 21:42

Aristide Barraud, ancien joueur de rugby professionnel blessé par trois balles de kalachnikov le 13 novembre 2015, raconte les dix années écoulées, qui l’ont vu vaincre le malheur et se réinventer dans un monde dont il ignorait tout : l’art.

écrit par Alex Bardot avec la participation de Aristide Barraud

photos à New York de JR

 

« Si je pouvais remonter le temps jusque dix minutes avant les attentats, le 13 novembre, je courrais loin de la rue Bichat. Malgré ça, j’aime ma vie d’aujourd’hui et ce que j’en ai fait ces dix dernières années : j’ai transformé ce drame en quelque chose de positif. »

A. Bardot Longtemps, Aristide Barraud n’a pas su grand-chose des attentats du 13 novembre. Dans les heures et les jours suivant les fusillades, pendant que le monde découvrait les détails du carnage, lui luttait contre la mort à l’hôpital Bichat. Ensuite, pressentant que ça allait être « trop pour (s)on cœur éprouvé », il n’a pas voulu en savoir plus que ce qu’il avait survécu. Et ceux qui commençaient à lui raconter le Bataclan étaient interrompus dans leur récit.

Six années ont passé, est arrivé le procès. Aristide Barraud n’en attendait rien pour lui-même, mais il voulait témoigner, par respect pour les personnes touchées et pour la justice. Alors, les jours précédant son passage, fidèle au joueur de rugby qui ne voulait rien laisser au hasard, il a lu des comptes-rendus d’audience et s’est rendu au tribunal. Là, tout en prenant ses repères, il a découvert l’ampleur du bilan, le nombre des terroristes, l’abomination du Bataclan…

Le 30 septembre 2021, son tour de raconter son vendredi 13 novembre est venu. Cette joyeuse soirée off à Paris, au milieu d’une saison qui devait conduire en équipe d’Italie cet ancien ouvreur des U20 français. La terrasse du Petit Cambodge bigarrée et joyeuse. Une voiture qui s’arrête, des bruits de pétard. Son réflexe de sportif de haut niveau pour plaquer au sol sa sœur Alice. La balle de kalachnikov qui l’a quand même atteinte au bras. Et les trois qui l’ont touché lui, au poumon, à la cuisse et au pied. Son expérience de mort imminente sur le trottoir de la rue Bichat. Les médecins épatés par son cœur énorme, le miracle de sa survie. Puis l’après, le « corps cabossé », sa tentative immensément douloureuse de reprendre le rugby, la « sensation d’être en décalage » dans sa nouvelle peau. Et enfin, la découverte de l’écriture et d’un talent pour l’art enfoui en lui, au point d’y entamer sa deuxième vie.

À la fin de son témoignage, Aristide Barraud a dit qu’il voulait, dans Paris et en France, « revoir cette joie » qui irriguait la rue Bichat à 21 h 24, avant les tirs. Depuis, du centre Pompidou aux murs de Massy et Montfermeil, l’ancien numéro 10 transporte les gens dans un univers de beauté et de partage.

Il était une fois un homme qui a fait de la lumière avec du noir.

A. Barraud « Je me souviens d'une balade sur les chemins d’Auvergne avec ma sœur Alice, sous la pluie, l’été avant les attentats. On était chacun dans le dur, je m’étais fait larguer par ma copine et elle, qui est acrobate, par son porteur principal. Pour s’encourager, on se disait que ce qui nous arrivait était peut-être la meilleure des choses, et cette phase est sortie comme ça : ''il y a ce qui nous arrive et ce qu'on en fait.''

Le soir des attentats, on n’a pas été hospitalisés au même endroit. Et quand on a pu enfin se retrouver, une semaine après, c’est le premier truc qu’on s’est dit :

Mais comment faire pour démarrer un cycle vertueux, même à petite échelle, juste pour nous ? À l’époque, je ne savais pas. On était en plein dans ce cycle négatif, commencé il y a des décennies voire des siècles, qui a amené des jeunes garçons avec qui j’aurais pu grandir à tirer sur des innocents dans la rue, dans une salle de concert. Mon idée a d’abord été de comprendre comment on en était arrivés là. Ça m’a beaucoup importé : m’interroger, aller chercher l’information à la source, des faits, froidement. Puis, il y a eu un travail psychologique, un combat en fait, pour enlever en moi tout ce qui pouvait m’être délétère. La peur, les angoisses, la colère. Tout de suite aussi, j’ai refusé de me coller l’étiquette de victime. Ne voir que le mal qu’on nous avait fait, se considérer tous les jours et dans toutes les situations comme une victime, c’était un chemin possible, il était là, devant nous, mais c’était le pire chemin. Alors, avec Alice, on est entrés dans une sorte de discipline psychologique pour se concentrer sur ce qu'on pouvait transformer plutôt que sur ce qu’on avait perdu.

On a choisi notre camp : "La vie, le beau, le positif, la construction, les autres". »

A. BardotDans les jours d’abattement qui ont suivi le 13 novembre, une connaissance lointaine du rugby a posté un message poignant sur Facebook. Le souvenir est vague, mais il s’agissait d’encourager Aristide Barraud, victime de la barbarie, qui se battait pour ne pas mourir. Aristide Barraud, j’avais déjà entendu ce nom, via un ami qui l’avait entraîné au Pôle Espoirs du lycée Lakanal, en banlieue parisienne, et en gardait un merveilleux souvenir. Je me suis renseigné, j’ai appris les balles, les blessures, l’inquiétude. Aristide a survécu. J’ai attendu quelques semaines avant de le contacter pour lui proposer une rencontre. Pas de réponse. Normal.

Le 6 février suivant, quelques minutes après le coup de sifflet final d’un piètre France-Italie du Tournoi des Six Nations, je rentre dans la salle de presse du Stade de France à la recherche de Fabien Galthié, alors chroniqueur pour L’Équipe. Il discute avec un jeune homme en béquilles qu’il semble bien connaître. Je m’approche. C’est Aristide. On se présente, je lui parle de mon premier message, de cette idée d’interview, de notre ami commun. Il est souriant, ouvert, on s’échange nos numéros, je repars bosser en lui disant que je comprendrais s’il ne voulait pas parler. Un peu plus de deux semaines plus tard, il me recontacte : il est d’accord pour un entretien.

Des deux heures que vont durer ce moment, à la terrasse d’un café face au Jardin du Luxembourg, le 29 février 2016, je garde d’abord, bizarrement, le souvenir des yeux hallucinés et attendris de la photographe, Sandrine Roudeix. Elle ne devait s’assoir avec nous que quelques minutes après le shooting, elle est finalement restée beaucoup plus, scotchée par le récit bouleversant, puissant, triste, cinématographique, dramatique, intime, optimiste du jeune rugbyman. Je ne me suis pas vu, mais les yeux de la photographe étaient aussi sûrement les miens. Deux jours après, le 2 mars 2016, l’entretien est publié sur trois pages dans le journal L’Équipe.

Je n’ai jamais reçu autant de messages après un article.

A. Barraud« Le jour de la parution de l’interview dans L’Équipe, je me faisais de nouveau opérer. Quand j’ai rallumé mon téléphone, j’ai compris qu’il s’était passé un truc tellement j’avais reçu de messages. Parmi eux, il y avait plusieurs propositions pour écrire un livre, dont une de Mireille Paolini, éditrice au Seuil. Imagine : une éditrice au Seuil, alors que j’étais un joueur de rugby cassé, en perdition… C’était un autre monde. Dans son mail, sa façon d’aborder les choses, ce qu’elle disait, tout me plaisait. J’ai eu l’intuition que quelque chose s’ouvrait avec elle. On s’est rencontré dans Paris. J’étais un peu bête à cette époque. Avant de m’asseoir, je lui ai dit : ''Je ne suis pas contre écrire un livre. Par contre, c’est moi qui l’écris de la première à la dernière lettre, seul. Si vous n’êtes pas d’accord, pas grave, je m’en vais tout de suite." Elle a souri :

- Écrire un livre, c’est pas facile.
- Je crois que j’en suis capable. Dans une semaine, je vois envoie des pages, et vous me dites oui ou non. Quand j'y pense aujourd’hui, c'était un peu fou. Je n’étais pas un littéraire, je n’avais jamais imaginé écrire… Il y avait sans doute un truc de survie.

J'étais au fond d'un trou, on m'a tendu une corde et j’ai vu la lumière là-haut. J’ai demandé à Mireille qu’on fasse un pacte de vérité : ''Quand je suis un connard, vous me le dites. Quand ce que je vous envoie est nul, vous me le dites. Quand je ne suis pas content après vous, je vous le dis.''

J’ai commencé à écrire. J’envoyais mes textes à Mireille, elle répondait : "c’est pas terrible, mais continuez""on s’approche…" Un jour, je me mets à raconter que, petit, pour travailler mes crochets, je courais en esquivant les gens sur la passerelle de la gare RER de Massy-Palaiseau aux heures de pointe.

Dans mon parcours, ce moment est tellement plus fort que les attentats. Je sais qu’on peut aussi ressentir ça en voyant son bébé naître : la vie change, mais pour le bien. Aujourd’hui, un livre est en préparation, un roman. Mireille, je l’appelle mon "destin changeur". Même si on passe des journées de vacances ensemble avec nos familles, on se vouvoie encore. Et on se dit la vérité, toujours. »

 

 

Dix ans plus tard, les images remuent le bide : ce sont les dernières sur un terrain de rugby d’un gamin qui a consacré ses rêves et sa vie à ce sport.

A. Bardot7 novembre 2015. Sous un joli soleil automnal, le club de rugby de Mogliano reçoit Rovigo dans le cadre de la 5e journée d’Eccelenza, la première division italienne. Aristide Barraud est titulaire au sein de l’équipe locale. Sous le regard du sélectionneur français de l’Italie, Jacques Brunel, le petit « numero dieci » aux cuisses rebondies claque un drop, passe des coups de pied depuis les coins des 22 m, lance le deuxième essai de son équipe d’une passe longue envoyée dans le juste timing.

Aristide avait débarqué en Italie deux ans plus tôt comme d’autres font un long voyage pour repartir à zéro. En France, l’ancien international moins de 20 ans, génération Rabah Slimani, n’avait pas réussi à se faire la place espérée chez les pros. Après quelques feuilles de match mais seulement 2 minutes en Top 14 face à Castres, puis deux saisons à Massy, son club formateur, il avait fait un choix radical en rejoignant Piacenza, en deuxième division italienne. Mi-2015, par la grâce de sa volonté et de son talent, ce chemin de traverse était en train de devenir une voie dorée. Recruté par Mogliano, il avait fini meilleur réalisateur de l’Eccelenza, avec 250 points. Les suiveurs l’avaient classé troisième meilleur joueur du championnat, et la Nazionale songeait à le convoquer en stage lors du Tournoi des Six Nations 2016, en prévision du jour où il sera sélectionnable, au mois d’août suivant.

Quelle aurait été la suite pour Aristide Barraud ? Quelle carrière aurait-il connue si le calendrier d’Eccelenza n’avait pas été construit avec un week-end sans match le 14-15 novembre ? Aurait-il disputé la Coupe du monde 2019, comme il l’ambitionnait ? La victoire face à Rovigo empochée, le staff de Mogliano a profité de cette pause pour donner cinq jours de repos à ses joueurs. Aristide s’est dit que c’était une bonne opportunité pour rentrer en France, voir la famille et les amis... Six jours plus tard, sa première vie s’est arrêtée.

Pendant l’année et demie suivant les attentats, Aristide Barraud s’est acharné pour que ce ne soit qu’une interruption de carrière. Sur son lit d’hôpital, il se donnait des petits coups sur ses cinq côtes brisées pour préparer son corps aux plaquages. « Dans deux ans, je serai sur le terrain », avait-il même dit à son ancien entraîneur Fabien Galthié, le jour où je suis tombé sur eux au Stade de France. Jonglant entre les diverses opérations, il a repris un entraînement physique poussé. Mais le corps ne voulait pas suivre, et la tête a fini par lâcher, provoquant cauchemars, fièvres, problèmes digestifs, migraines, crises d’angoisse…

Le 27 avril 2017, dans un communiqué, il annonçait la fin de sa carrière, pour ne pas « mourir sur le terrain ».

A. Barraud« Essayer de rejouer au rugby, c’était une folie. Physique et psychologique. Je suis allé au bout, trop loin même. Mais en essayant, je me suis donné le droit de vivre pleinement ma vie d’aujourd’hui, sans regrets. ''Je voudrais mille vies, il faut accepter d’en perdre une'', j’ai écrit ça au sujet de l’arrêt du rugby dans Mais ne sombre pas.

Aujourd’hui, cette carrière de joueur de rugby que j’aurais pu avoir est rangée à sa bonne place, ça n’a plus de poids dans ma vie actuelle. Pendant les années après la sortie de Mais ne sombre pas, j’en rêvais encore énormément, énormément, énormément. J’appartenais à des équipes où se mélangeaient des mecs de l’école de rugby de Massy, Antoine Dupont, des gars avec qui j'ai joué en pro... Mais je ne rentrais jamais sur le terrain. Le match commençait, et j’étais en train de mettre mes chaussures, ou j’étais à poil au coup d’envoi. Parfois, j’avais raté le train le matin. Puis il s’est passé un truc très bizarre la semaine après l’exposition sur les 25 ans de La Haine au Palais de Tokyo, celle où commençait ma nouvelle vie.

Je refaisais des rêves de rugby mais cette fois, je rentrais sur le terrain et je jouais. Et après l’expo, les rêves se sont arrêtés. »

A. BardotLa tristesse ne m’écrase plus quand je rencontre Aristide, il ne reste plus que le plaisir et l’énergie. Ce n’est pas l’effet du temps passé depuis le 13 novembre, c’est lui et son pouvoir de faire jaillir le bonheur. Je l’ai ressenti personnellement, plusieurs fois. Et j'ai vu aussi ce miracle opérer sur d’autres, des collègues de L’Équipe, des gens de ma famille, un ado de mes connaissances, le patron d’un restaurant où l’on déjeunait ensemble…

Je me suis souvent demandé où il trouvait cette force de ne pas s’appesantir et d’embarquer les autres dans son enthousiasme. D’autant que je savais, via ses confidences en interviews, qu’en même temps qu’il transmettait cet élan de vie, lui traversait des périodes ténébreuses. Il parlait de choses aussi vertigineuses que le « vide », la « tête qui part en couilles », les « pas dans la folie », l’impression qu’on lui avait « imposé d’être une autre personne ». En 2020, un psychiatre a fini par dire son mal : le syndrome de Lazare, du nom d’un personnage biblique que Jésus a ressuscité mais qui souffre de ne plus se sentir à la même place qu’avant dans ce monde. Une maladie rare, dont on ne se remet généralement pas. Comme sur le trottoir de la rue Bichat, Aristide Barraud a refusé la fatalité. De séances d’EMDR (psychothérapie pour traiter le stress post-traumatique) en rendez-vous supplémentaires chez le psy, il a peu à peu effacé quasiment toutes traces du syndrome. Sa lumière finit toujours par l’emporter.

A. Barraud« J'ai refusé 100 000 euros pour adapter Mais ne sombre pas au cinéma. Je n’ai rien de plus précieux que ma vie ; que des gens l’adaptent au cinéma, c’était m’en faire déposséder. Ça aurait pu être 2 millions, 10 millions, c’était non. Je ne voulais pas que des gens fassent ce qu’ils veulent de mon histoire, qu’on mette dans ma bouche des mots que je n’avais jamais dits. À cette époque, j’avais décidé de continuer dans l’écriture. Je m’étais noté cette phrase, qui est toujours présente chez moi :

T'as voulu écrire ? Alors écris maintenant, bouffon !

Et le "bouffon" est important (il sourit). Je me retrouvais dans la peau du jeune joueur du Stade Français que j’avais été, qui lors des matches de pré-saison avait fait 10 bonnes minutes par-ci, une bonne mi-temps par-là, mais qui se disait : ''ne crois pas que tu es au niveau du Top 14, bosse.'' Là, Mais ne sombre pas avait reçu de super critiques, j’étais allé faire le malin chez Ardisson, mais je ne devais pas me croire arrivé.

Pour apprendre à écrire, j’ai passé des semaines, des mois entiers en dehors du monde, dans des forêts, dans des caravanes, sur des îles, à la montagne… J'étais un joueur extrêmement scrupuleux, j'ai mis toute cette discipline dans l'écriture.

Mes économies du rugby m’ont permis d’avoir du temps, ce que la plupart des gens dans le monde n’ont pas. Mais en 2019, un an après avoir dit non aux 100 000 euros, je me suis retrouvé dans la merde. Il ne me restait plus grand-chose de mes économies, et je n’avais quasiment pas de rentrée d’argent, à part quelques piges pour Le magazine L'Équipe ou Le Monde. On était quatre ans après le 13 novembre, mon premier livre avait marché, tout le monde pensait que j’étais riche grâce aux indemnités des attentats alors qu’aujourd’hui encore, l’affaire n’est pas réglée… La réalité était que je n’avais plus de thunes.

 

« Quand je repense à cette période de 2018 à 2019, j'ai vachement de compassion pour moi-même. Ç’a été tellement dur… »

J'étais sur un fil, avec d’un côté la certitude que la voie de l’écriture était la bonne pour m’en sortir, et de l’autre la difficulté de ma situation. Vraiment, il y a eu des jours où j'étais désespéré. J’aurais pu m’apitoyer sur mon sort, me dire que tout ça était injuste - et ça l’était -, mais je me suis dit : ''ferme ta bouche, c’est une autre épreuve du destin, tu vas la passer, sois un bonhomme. Tu n'as pas de thunes ? Va travailler.'' Il me fallait un métier flexible, afin de garder du temps pour beaucoup écrire. Alors j’ai pris un statut d’auto-entrepreneur, un vélo et un sac à dos, et je suis devenu livreur. Voilà, un an après avoir dit non à 100 000 euros, j’étais livreur à vélo, à gagner des clopinettes. C’était terrifiant de découvrir cette réalité, la précarité absolue de ce job, cette forme d’exploitation. Heureusement, ça n’a pas duré longtemps. »

 

A. Bardot25 novembre 2019. Sur le compte Instagram de Kourtajmé apparaît une vidéo de JR sous le soleil du Brésil. Son chapeau iconique sur la tête, l’artiste français annonce qu’il lance une section Art et Image au sein de l’école créée par son ami, le réalisateur Ladj Ly. « C’est pas une école d’art, mais une école où on m’apprend comment s’en sortir dans l’art, dit-il. On attend vos candidatures, il reste plus beaucoup de temps. »

 

 

C’est son premier jour à l’école Kourtrajmé. En marchant, il passe devant le Bâtiment 5, barre de 10 étages et 148 logements...

À 9 000 kilomètres, sous le ciel gris de Massy, Aristide Barraud désespère. Il rentre juste du Japon, où il a suivi la Coupe du monde de rugby pour Le Monde, avec des portraits stylisés mêlant ses textes et photos. Il a envie d’écriture et, depuis peu, d’art. Mais les graines qu’il a semées çà et là ne prennent pas. Sa maman qui le voit en peine a entendu parler d’une nouvelle formation à l’école Kourtrajmé. Le fiston se renseigne, tombe sur la vidéo de JR. Dans l’urgence, il monte un dossier de candidature. « Il n’y avait que quelques photos et une petite vidéo où il traversait un pont (le même que celui où il courait enfant, au-dessus des rails du RER de Massy-Palaiseau) en racontant qu’il avait dû changer de vie et qu’il avait envie de se mettre à 100% dans l’art, nous a raconté JR. À Kourtrajmé, on a deux manières de sélectionner les candidats : certains ont un dossier incroyable, d’autres dégagent une énergie. Aristide, c’était ça. Il n’avait pas encore développé sa pratique, son dossier était léger, mais on sentait que quelque chose d’incroyable vibrait en lui, que c’était en train d’éclore et que peut-être ça s’exprimerait quand il serait dans l’école, au contact du collectif. » Sur le millier de dossiers envoyé, douze sont retenus. Un jour de janvier 2020, Aristide Barraud traverse la Cité des Bosquets, à Montfermeil.

« Quand un grand arbre tombe, la lumière commence à passer et les graines enfouies se mettent à pousser. »

A. Barraud« Le jour de la rentrée, en passant devant, le Bâtiment 5 m’a appelé. Il était en cours de démolition, il y avait des barrières partout, mais il fallait que j’y rentre. J’ai attendu que les ouvriers partent, et j’y suis allé, de nuit. Je suis monté sur le toit, on voyait la lumière de Paris au loin, j'ai senti un truc, et je suis revenu jour après jour, pendant deux ans. Je faisais monter des gens, j’ai même dormi sur place. Tout était illégal… Je suis devenu artiste dans le B5. Le peu d’argent que j’avais, je le mettais dans de la peinture, de la colle etc. Un jour, j’ai collé sur un mur une immense photo avec un arbre, un oiseau et le bâtiment derrière. J’ai pris un pinceau et j’ai écrit instinctivement, sans faire le lien avec mon histoire : ''Quand un grand arbre tombe, la lumière commence à passer et les graines enfouies se mettent à pousser.''

Plus tard, quand j’ai emmené JR et Ladj Ly pour leur montrer ce que j’avais fait au B5, JR m’a dit : ''Tu te rends compte qu'en fait, tout ce projet-là, c'est toi ?'' Moi, je n'avais pas du tout capté, mais en fait, c’était évident : dans un bâtiment en destruction, je faisais ma propre reconstruction.

Au milieu des ruines et de la poussière de ce bâtiment, j’ai laissé derrière moi ma propre ruine et mes propres poussières pour devenir artiste.

JR, c’est une chance dans ma vie. Comme Oxmo Puccino. Oxmo, je citais un de ses morceaux dans la première interview dans L’Équipe. Un de ses musiciens la lui avait faire lire, il m’a écrit sur Twitter : ''On ne peut pas ne pas se rencontrer.'' Si Oxmo n’avait pas été là tout au long de ces 10 ans, ça aurait été compliqué. Il était ma lumière dans la période la plus dure, une petite lanterne que je maintenais dans mon chemin quand l’obscurité tentait de me manger. Je le voyais toutes les semaines, chez lui, sur une des buttes de Paris. Je partais le matin, et je montais à pied. Aujourd’hui, je vois ça exactement comme dans les films de kung-fu : le jeune apprenti qui va retrouver le sensei là-haut. J'arrivais avec en tête des questions, sur mon rapport au monde et aux autres, sur la difficulté de chercher une nouvelle vie… Je lui exposais mon problème, et avec une phrase, il éclairait tout.

 

J’ai appris récemment le terme médical de "bénéfice secondaire". C’est ce que te donne parfois le destin après t’avoir joué un mauvais tour. Oxmo et JR sont des bénéfices secondaires. Des cadeaux que l’univers m’a donnés pour avoir passé des épreuves dures sans faire de mal à personne. »

A. BardotC’est sorti d’un coup, de nulle part, puissamment. À partir de 2020, dans nos échanges, Aristide Barraud s’est mis à parler de courtes poésies qu’il taguait sur les murs de Paris, de négatifs de photos sur lesquels il écrivait avant de les développer sur des papiers précieux, de collages… Il n’avait jamais parlé d’art, voilà qu’il en faisait ses jours et ses nuits, son quotidien et ses rêves. Il n’en connaissait rien, il voulait tout apprendre, rien ne l’entravait, ni la peur de ne pas savoir faire, ni celle de mal faire. Il osait, et les autres le découvraient artiste en même temps que lui-même. C’est sorti si vite qu’en cinq ans, il a exposé au Palais de Tokyo et au Centquatre, collé dans les rues de Montfermeil et de Gourdon, investi la place Pompidou puis l’Institut Pasteur lors des éditions 2022 et 2025 de la Nuit Blanche, publié deux livres de photos, fait voyager son œuvre « Murmurations » de Paris à Tokyo en passant par Dakar… L’étiquette de rescapé du 13 novembre a disparu sous celle d’artiste.

A. Barraud« Un jour, en 2022, des responsables du musée Beaubourg et des ateliers Médicis me disent : ''Voilà, Aristide, on pense te proposer la place de Pompidou pour la Nuit Blanche. On te laisse deux mois pour réfléchir à une idée.'' C’est chaud quand même… En 2022, globalement, je n’avais rien fait en tant qu’artiste. Et on me donne la place où j’allais jouer au foot avec mes potes de Massy quand j’étais petit. Je leur dis tout de suite :

Toute mon histoire est là, à nouveau : la destruction, la transformation, l'embellissement. Et le côté collectif, aussi. J’ai fait bosser des gens de la Cité des Bosquets, des quartiers de Massy, mes parents, des élèves de Kourtrajme…. Et 25 000 personnes sont venues. Les gens se mélangeaient, certains commençaient à aller acheter des craies. Au bout de 2 heures, la place était recouverte. Depuis le toit de Beaubourg, quand tu voyais ça, ça donnait envie de pleurer.

On a tout enlevé le lendemain soir, avec le Kärcher et en grattant les pavés. Je n’ai aucun problème avec ce côté éphémère. Ce qui m’importe, c’est que l’œuvre vive à l’intérieur des gens qui sont venus, qu’elle soit une petite brique dans leurs fondations. Ce projet, c’est exactement la beauté et le positif dont j’avais envie.

On m’a donné la Place, j’ai donné de la place. Cet art généreux et participatif, accessible, avec une œuvre que le Aristide d’avant les attentats aurait pu comprendre et aimer, ça me fait kiffer. »

A. BardotCe 13 novembre 2025, il ne fera rien qui le ramène vers Le Petit Cambodge. Plutôt que de se plonger dans l’ambiance pesante de Paris, il restera en Italie, à Venise, où il s’est installé en 2022 avec son « amoureuse » Claire, téléphone coupé sauf pour un coup de fil à sa sœur. Une décennie a passé, qu’il a embellie au fil du temps, mais cette date ne peut pas être anodine. Les attentats restent ce moment qu’il n’aurait jamais voulu voir, ni vivre. Lui qui aime interpréter les événements de son existence, y voir des signes, établir des passerelles, ne trouve aucun sens à donner aux trois balles qu’il a reçues, et même son épanouissement d’aujourd’hui n’est pas une bonne raison d’avoir connu le trottoir de la rue Bichat et les souffrances qui ont suivi.

C’est un destin particulier que d’être heureux dans sa nouvelle vie tout en souhaitant ne jamais avoir connu son point de départ. Mais ça lui va.

Le passé n’est plus une douleur. Il a 36 ans, il a trouvé sa voie, et c’est lui qui a tenu la lumière.

A. Barraud« Il y a un moment fondamental de mon enfance. J’attendais ma grand-mère en bas de mon immeuble, un Renault Espace à l’ancienne est arrivé au bout de l’allée, je le regardais s’approcher puis j’ai fermé les yeux. En les rouvrant quelques secondes plus tard, il avait avancé de 20 mètres et j’ai eu un choc : j’ai réalisé que ces quelques secondes avec mes yeux fermés étaient perdues pour toujours. Elles avaient existé, elles n’existeraient plus. C’est comme ça. Depuis, je vis avec le sentiment de la préciosité de chaque instant. Le 13 novembre, tout a failli disparaître, je ne devrais plus être là… Avoir connu cette expérience de mort imminente où, concrètement, tu vas de l’autre côté et tu reviens, ça a rendu mon rapport au temps et à la vie encore plus fort. Des critiques artistiques ont parlé d’urgence au sujet de mon travail, je n’y avais jamais pensé, mais oui, je ressens une urgence de créer, d’imaginer.

Il y a un feu à l’intérieur de moi, une rogne mais pas dans le sens de la colère, une rogne positive, l’envie de transformer, de construire.

Je me concentre sur le présent et le futur. Quand je pense au passé, il n’est pas douloureux car j’ai fait de mon mieux. Mais, si c’était à refaire, si je pouvais choisir, je choisirais de ne pas revivre ces années, la scène de la rue Bichat. Ce que j’ai vu ce soir-là, ce que j’ai entendu, ce qui s’est passé à l’intérieur de moi, c’était tellement monumental… Je ne sais pas quoi en dire. J’ai vécu ça, voilà, ça fait partie de ma vie. Mais je n’y pense jamais et quand on m’en parle, je réalise et je me dis : c’est fou, ça s’est vraiment passé. Il y a encore des choses de cette scène dont je n’ai pas guéri. Mais j'ai largement assez guéri pour pouvoir vivre tel que je vis maintenant.

Dix ans plus tard, je suis heureux d’avoir fait de cet événement quelque chose de positif, toujours dans cette discipline de regarder ce que je pouvais transformer plutôt que ce qu’on m'a pris. J’ai existé à travers cette date du 13 novembre, qui est un traumatisme national voire mondial. Aujourd’hui, j’existe en dehors de ça, en étant en accord avec qui je suis. Je n’y pense jamais et la plupart des gens avec qui je vis au quotidien ne m’ont jamais entendu en parler. Ce n’est pas du déni, au contraire, si on me questionne je réponds sans détour. Mais c’est juste le passé. Ça a massivement impacté ma vie, donné un virage intégral mais je ne me définis pas à travers cela. Un grand sourire me vient en le disant parce que c’est presque une victoire.

Aujourd’hui, je ne sais pas quoi répondre quand, lors d’un événement public, on me demande comment on doit me présenter.

"Écrivain""photographe""artiste", ce sont des grands mots, je ne les dis jamais. Moi, je rêvais de rugby, je ne pensais même pas possible d’être dans l’art, c’était inimaginable. Au fond peu importe comme on me définit, je veux juste faire. En gardant ma curiosité, mon ouverture, mon éthique, en continuant de suivre mon instinct, j’ai confiance dans ce que je construis. Il va se passer de belles choses. Et si ça devait s’arrêter, si des gens se mettaient à dire : "Aristide Barraud, c’est tout pourri ce qu’il fait", eh bien pas grave, je trouverais le moyen de transformer ça en d’autres choses puissantes et magnifiques. Les dix années qui viennent de passer m’ont apporté l'assurance que, peu importe la situation, je suis capable de m’en sortir. »

 

 

 

 

 


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Posté 10 novembre 2025 - 21:51

Ne jamais oublier.

#3 Very Good Eshvili

Very Good Eshvili

    Bourbonnais by birth, deberdined by the grace of Saint Menoux

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Posté 10 novembre 2025 - 22:11

Ce soir là, le Docteur Serge Simon faisait partie des gens qui lui ont porté secours.


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#4 Boulard

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Posté 10 novembre 2025 - 22:16

Magnifique témoignage toujours aussi émouvant et éprouvant.

Et puis étant originaire de la même ville que lui, ça me décroche un sourire quand je le vois évoquer cette bonne vieille passerelle de la gare de Massy-Palaiseau.

#5 bazooka

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Posté hier, 09:55

J'ai acheté et dévoré son livre peu après sa sortie.

Auparavant j'avais vu le documentaire réalisé par Lætitia Krupa.

https://www.dailymot...m/video/x51yuo8



#6 InASMWeTrust

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Posté hier, 09:57

Ce soir là, le Docteur Serge Simon faisait partie des gens qui lui ont porté secours.

On peut parfois se tromper de route, ça n'empêche pas que quand on est un bon gars, on le reste. 



#7 gregouarrrr

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Posté hier, 18:54

J'ai acheté et dévoré son livre peu après sa sortie.

Auparavant j'avais vu le documentaire réalisé par Lætitia Krupa.

https://www.dailymot...m/video/x51yuo8

je ne connaissais pas son livre, merci pour l info 

 

de mon coté j ai commencé le lambeau de Philippe lançon qui lui était dans les locaux de charlie hebdo ...

 

A. Bardot Longtemps, Aristide Barraud n’a pas su grand-chose des attentats du 13 novembre. Dans les heures et les jours suivant les fusillades, pendant que le monde découvrait les détails du carnage, lui luttait contre la mort à l’hôpital Bichat. Ensuite, pressentant que ça allait être « trop pour (s)on cœur éprouvé », il n’a pas voulu en savoir plus que ce qu’il avait survécu. Et ceux qui commençaient à lui raconter le Bataclan étaient interrompus dans leur récit.

 

 

Lançon etait dans le meme cas ...



#8 l'exil

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Posté aujourd'hui, 09:26

Merci pour le partage.

#9 Babé03

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Posté aujourd'hui, 09:31

Un grand merci pour ce partage  :crying:



#10 Parigot_Paris

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Posté aujourd'hui, 10:00

Le pub the Pure Malt, pub écossais, où j'avais coutume de regarder les matchs abritait des réunions de Life For Paris, l'association des survivants. (maintenant ça a été racheté et ça s'appelle The Pub, choix de bière de vins et d'alcools, Guinness zéro et IPA zéro pour les ceusses qui n'aiment pas l'alcool) Bref.

 

S. le patron était un survivant

L. aussi. L. fait son service dans les paras au 1er RHP. Manque d'action. S'engage dans la Légion, réussit l'entrée au deuxième étranger parachutiste, 17 pays d'Afrique. Cherche toujours de l'action. Au terme de ses cinq ans de contrat il se trouve un job dans une "entreprise de sécurité" canadienne qui l'expédie... à Kandahar en Afghanistan. Plein d'action.

A son retour, S. lui dit : tiens, il y a un super concert, les Eagles of Death Metal, tu veux un billet ?

 

Et Fred Dewilde le dessinateur, sans doute un écorché vif avant le Bataclan, encore bien davantage après. On partageait une marotte commune : les couteaux (amis thiernois bonjour) il me montrait toujours des trucs assez classieux. Il n'a pas survécu à ses démons. RIP mon ami :crying:


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#11 bazooka

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Posté aujourd'hui, 13:55

Fred apparait dans ce reportage édifiant où les victimes se livrent (pour suivre leur évolution) en trois périodes 2016, 2018 et 2021.

Ces témoignages montrent  les répercussions pour chacun et l'inexorable descente de Fred Dewilde.

https://www.francete...en-eclats-48328


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#12 Parigot_Paris

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Posté aujourd'hui, 14:10

Fred apparait dans ce reportage édifiant où les victimes se livrent (pour suivre leur évolution) en trois périodes 2016, 2018 et 2021.

Ces témoignages montrent  les répercussions pour chacun et l'inexorable descente de Fred Dewilde.

https://www.francete...en-eclats-48328

Ses dessins étaient effrayants mais lui avait l'air de tenir le coup. :crying:






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