Posté 23 mars 2009 - 14:39
Propos recueillis par Olivier JOLY
Le Journal du Dimanche
Directeur général du Racing Metro depuis l'automne 2007, Pierre Berbizier prépare déjà la saison prochaine du club parisien à l'ambitieux projet de développement. L'ancien entraîneur des équipes de France (1991-1995) et d'Italie (2005-2007) a suivi de près le Tournoi des VI Nations, qui se termine ce samedi. Sans polémiquer, il ne cache pas sa déception devant les Bleus de Lièvremont.
Qu'avez-vous pensé du XV de France depuis le début du Tournoi?
Il n'y a plus de débat depuis le Mondial de foot 1998. Avec l'effet Jacquet, on ne touche plus à l'équipe de France, des fois qu'elle devienne un jour championne du monde. Je ne veux plus jouer les Don Quichotte. Donc je ferme ma gueule, en spectateur triste de l'évolution du rugby français, une évolution lente mais sûre vers la chute. Quand j'entends Jo Maso (manager des Bleus) nous vendre encore son discours "on va être champions du monde dans quatre ans", ça me gêne. Le XV de France n'est pas un laboratoire. Il faut définir un jeu efficace et faire la meilleure équipe du moment, pas une équipe virtuelle pour 2011. Il y a le potentiel. Il faut arrêter de pleurer et de se réfugier derrière les faux problèmes, comme le calendrier.
Comment expliquer la déroute face à l'Angleterre (34-10)?
On s'est aperçu que le haut niveau exige un autre investissement, physique et mental. Chabal en troisième-ligne aile à Twickenham... On ne peut pas s'improviser compétitif à un poste où l'on n'a plus évolué depuis belle lurette. Ou alors on décide que cette option est bonne et on lui donne sept ou huit matches pour s'installer. Le haut niveau ne tolère pas l'à-peu-près. Souvenez-vous de Traille à l'arrière en demi-finale de la Coupe du monde contre l'Angleterre. Et Bastareaud dont on fait une star après un seul match contre les Gallois! On a fantasmé sur le pays de Galles, qui a le mérite de jouer un peu au rugby. Mais regardez ce qu'il a fait en Italie (victoire de justesse 20-15)!
"Le rugby français est organisé pour que durent les gens en place"
Les entraîneurs ont défini une philosophie de jeu à leur arrivée. Avant de faire marche arrière...
Pourquoi ces changements? L'an dernier, on affronte l'Angleterre en misant tout sur le contournement, sans buteur. Cette année, c'est l'inverse, toujours sans buteur. Le haut niveau, c'est la performance en conquête, une défense organisée, la maîtrise de l'alternance profondeur-largeur et l'efficacité au pied. Les formes peuvent changer. En conquête, avec la prédominance des rucks par exemple, ou en attaque, avec les passes au contact. Mais les grandes lignes ne changent pas. Les champions du monde de 1987 à 2007 ont tous gagné sur les mêmes bases.
Au moins Marc Lièvremont est-il plus ouvert au débat que ne l'était Bernard Laporte...
Il est le produit d'un système copié sur le football, avec prédominance de la DTN. On s'est enfermé dans une tour d'ivoire, en se coupant de la réalité. Le rugby français est organisé pour que durent les gens en place, plus que pour gagner. A un moment donné, quand on échoue, il faut savoir dire: "Je m'en vais." Il faut aussi avoir une réflexion sur les stades, sur le développement de notre rugby. Où ont été réinvestis les bénéfices de la Coupe du monde?
Les mauvais résultats en Coupe d'Europe annoncent-ils un déclin général?
C'est la première fois que nos clubs se manquent ainsi, je ne porterai pas de jugement définitif. Mais au lieu de se regarder le nombril, il faut lever la tête. Si on ne veut pas voir les clignotants qui s'allument, on se met en danger.
Où en êtes-vous des arrivées de Chabal et Nallet au Racing Métro?
Le Racing est devenu un levier dans le système d'intox qui rythme le marché des transferts. L'année dernière, on n'a pas vu 80% des joueurs annoncés chez nous. Pareil cette année, avec Wilkinson, Ouedraogo... Avec Chabal et Nallet, nous avons des contacts. On les a annoncés à Montpellier, puis au Racing. Ils iront peut-être à Toulon. Ce n'est pas nous qui décidons. Et tout est lié à notre montée en Top 14.
"Le rugby n'a pas l'économie du foot"
On parle d'un salaire de 600 000 euros annuels pour Nallet, 1,2 millions d'euros pour Chabal...
C'est complètement faux! Le bruit a couru que Carter touche l'équivalent de un million d'euros à Perpignan. Donc, pour le scoop, il fallait annoncer plus pour Chabal. Ces spéculations sont malsaines. On est entré dans les dérives du football. Mais le rugby n'a pas l'économie du foot. Il souffre et va souffrir encore plus avec la crise. C'est pour cela que le projet du Racing tourne autour d'un stade couvert de 30 000 places, 40 000 en configuration spectacle, avec un business-plan sur 250 jours d'animation.
Vous véhiculez l'image du nouveau riche...
On pointe du doigt ceux qui visent le plus haut niveau et l'assument. Pas mal de clubs sont en difficulté financière, comme Albi, Montauban... Nous, on joue la transparence: notre budget, si on monte, sera d'environ 14,5 ou 15 millions d'euros, loin de ceux du Stade Français (19,2 millions d'euros cette saison) ou de Toulouse (23,8 millions d'euros). La star, c'est le Racing. Et ce n'est pas la danseuse de Jacky Lorenzetti. Quand, à Aurillac, on aligne quatre joueurs issus de notre centre de formation, personne n'en parle.
Le pouvoir d'attraction de Chabal justifie-t-il de le payer le double de Nallet?
Les prix du marché, ce n'est pas nous qui les imposons. Mais ça peut s'expliquer ainsi, évidemment. Moi, je ne gérerai que le joueur de rugby. Tant qu'il respectera le cadre collectif, tant qu'il travaillera, il pourra assumer son exposition médiatique.
Au fait, à quel poste vous intéresse-t-il? Pas troisième-ligne aile, n'est-ce pas...
S'il vient, la première question que je lui poserai, c'est: "A quel poste as-tu envie de jouer?" Lui aura besoin de savoir dans quel cadre il évoluera. A partir de ces deux réponses, on fera notre choix.