De la part d'un personnage si volubile et remuant, on aurait pu s'attendre à une sortie fracassante. Mais Bernard Laporte, acteur central du rugby français, a bien quitté vendredi la scène fédérale sans qu'on entende le son de sa voix. Pour seuls commentaires après sa démission du poste de président de la Fédération, le dirigeant a publié un post Facebook en fin d'après-midi. « Cette décision est mienne car je continue de penser que la famille du rugby français a besoin d'unité et de rassemblement », écrit-il. Des mots sobres et une fin brutale pour celui qui s'imaginait encore, il y a peu, un destin international à la tête de World Rugby à l'issue de son second mandat fédéral.
Ça a été court, sa décision est venue en cours de nuit, ou au petit matin
Laurent Gabbanini, directeur général de la Fédération
Vendredi matin, c'est l'un de ses fidèles, Laurent Gabbanini, le directeur général de la FFR, qui a annoncé la nouvelle de sa démission à Amélie Oudéa-Castéra. Au coeur de la nuit, Bernard Laporte, cerné, s'était en effet résolu à prendre le chemin de la sortie. Un bureau fédéral extraordinaire de la FFR lui avait montré la direction à prendre.
« Les discussions ont été longues au sein de la majorité (jeudi soir), a reconnu Gabbanini. Je me suis fait fort de lui rendre compte de l'état des discussions des élus. Je lui ai dit quel était l'état de réflexion de son équipe, et c'est ainsi qu'il a pris le temps de la réflexion. Ça a été court, sa décision est venue en cours de nuit, ou au petit matin. »
Si la silhouette longiligne de Laporte n'est pas apparue vendredi dans les grises allées du CNR de Marcoussis, c'est qu'elle n'y avait plus non plus tout à fait sa place. Depuis sa condamnation en première instance à deux ans de prison avec sursis, 75 000 euros d'amende et deux ans d'interdiction d'exercer toute fonction en lien avec le rugby, pour corruption passive, trafic d'influence, prise illégale d'intérêts, recel d'abus de biens sociaux et abus de biens sociaux (il a fait appel), ses jours à la tête de l'instance semblaient comptés, même s'il avait jusque-là toujours refusé l'idée d'une démission, s'affirmant « certain d'être innocent ».
Sa mise en retrait sous la pression conjointe de la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, de la Ligue nationale de rugby (LNR) et du comité d'éthique de la FFR, fin décembre, l'avait destitué de tous ses pouvoirs et avait tari sa parole, jusqu'à extinction ces derniers jours. Le rejet, jeudi, par les clubs amateurs de Patrick Buisson, le candidat qu'il avait désigné pour devenir président délégué, a sonné comme un échec pour lui et sa gouvernance. Désavoué par sa base, Laporte a donc fini par remiser au placard son costume de président.
« J'ai évidemment une pensée pour lui, il a pris la bonne décision »
Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports
Il l'avait endossé fin 2016, à l'issue d'une première campagne électorale remportée alors qu'il s'y était lancé comme un outsider. S'il peut se targuer d'avoir eu longtemps une cote de popularité élevée auprès des amateurs, d'avoir pris part à l'obtention de la Coupe du monde 2023 et d'avoir donné les moyens à l'équipe de France de se relancer vers les sommets, Laporte a aussi entraîné la Fédération dans les turpitudes des affaires. Jusqu'à la plonger dans une situation de crise inédite. Même s'il en est sorti libre, la journée qu'il a passée en garde à vue mardi, au deuxième jour du référendum, pour des faits de blanchiment de fraude fiscale aggravé, a encore ravivé le spectre judiciaire qui l'accompagne.
Le dirigeant était parvenu à se faire réélire en 2020 quelques jours après avoir été placé en garde à vue par les policiers de la Brigade de répression de la délinquance économique, son poste n'a cette fois pas survécu à une condamnation en première instance. « J'ai évidemment une pensée pour lui, il a pris la bonne décision, a remarqué Amélie Oudéa-Castéra. C'est quelqu'un qui a apporté au rugby français, il y a des éléments positifs dans son bilan. »
Dans le mot de départ qu'il a laissé sur les réseaux sociaux, Laporte, 58 ans, n'évoque pas son propre avenir. Il est escorté de points d'interrogation, et on ne pense pas là à ceux qui entourent les frais d'avocats avancés par la Fédération qu'il devra rembourser ni à ceux qu'il devra débourser pour son procès en appel, à l'horizon 2024. Non, plus globalement, comment Laporte, ancien joueur, ancien entraîneur à succès, ancien sélectionneur, ancien secrétaire d'État pourra-t-il rebondir ? Et le fera-t-il dans le monde du rugby ? Une journée comme celle de vendredi peut nous apprendre qu'il ne faut jurer de rien. Encore moins avec Bernard Laporte.
Après la démission de Bernard Laporte, la LNR réclame de nouvelles élections fédérales René Bouscatel, président de la LNR, et Didier Lacroix, président du Stade Toulousain, les deux représentants de la Ligue, ont démissionné du comité directeur de la FFR. Le monde professionnel réclame plus que jamais de nouvelles élections fédérales.
Cette fois, la Ligue nationale a parlé d'une seule voix. Alors que les présidents de Top 14 et Pro D2 n'étaient pas tous d'accord, ces dernières semaines, sur la ligne officielle à (ré)adopter par rapport à la Fédération française de rugby, la LNR a haussé le ton vendredi après cette folle matinée à Marcoussis.
Le communiqué publié en début d'après-midi se veut offensif. « Le bureau (de la LNR) n'est pas en accord avec ce processus qui ne tire pas les conséquences du vote des clubs qui ont refusé d'approuver le président délégué proposé (Patrick Buisson), et qui peut aboutir à une situation de blocage de l'institution si le président élu en juin n'est pas issu du groupe actuellement majoritaire au sein du comité directeur. »
« La position adoptée par les soutiens de (Bernard) Laporte n'est pas tenable
Un homme fort du Top 14
Comme il l'avait déjà fait mi-décembre après la condamnation de Bernard Laporte, le monde professionnel réclame aujourd'hui de nouvelles élections fédérales. « Ainsi que l'a préconisé la ministre des Sports lors de la réunion, la LNR considère que la voie de la sagesse est d'organiser dans les meilleurs délais des élections générales, qui permettront aux clubs de faire leur choix et à la gouvernance ainsi désignée d'avancer sereinement vers les grandes échéances qui se présentent au rugby français », poursuit le communiqué.
Dans ces conditions les deux représentants de la LNR, à savoir le président René Bouscatel, et Didier Lacroix, président de Toulouse et vice-président en charge des relations avec la FFR, ont ainsi démissionné du comité directeur.
« Celui-ci n'a pas été à la hauteur de l'événement, regrette amèrement Paul Goze, l'ancien patron de la LNR (entre 2012 et 2021). Il aurait dû démissionner dans son ensemble au lieu de se contenter d'une demi-mesure qui est faite pour conserver sa place. C'est un peu "sauvons sa place coûte que coûte" ». L'avis est visiblement unanimement partagé par les présidents de Top 14 et Pro D2. « Parfois nous sommes un peu frileux, là le communiqué a le mérite d'être clair et sans équivoque », nous a confié un homme fort du Championnat.
« La position adoptée par les soutiens de Laporte n'est pas tenable, selon un de ses confrères. Alexandre Martinez (le trésorier de la FFR) avait, lui-même, dit voilà quelques semaines qu'ils (les dirigeants de la Fédération) ne seraient pas absurdes... »
Le récit de la démission de Bernard Laporte et de la résistance de ses fidèles à la FFR Tous les élus de l'opposition ont quitté vendredi le comité directeur de la FFR, les représentants de la Ligue aussi, mais les colistiers de Bernard Laporte ne se sentent ni concernés par le « non » au référendum ni par la démission de leur chef. Ils ne veulent pas non plus entendre parler des élections générales que préconise le ministère des Sports.
C'est calme Marcoussis un matin de janvier à 8 heures et quelques. Très calme. Derrière la grande grille, côté parking, une quinzaine de journalistes guette une fumée, blanche, noire, on n'en sait rien. À 9 heures du matin doit s'ouvrir un comité directeur de la FFR, en présence de la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, au lendemain du vote de défiance des clubs amateurs (51,06 %) ayant rejeté le candidat Patrick Buisson, proposé par Bernard Laporte au référendum pour le poste de président délégué.
La veille au soir, le « clan » Laporte a retourné le problème dans tous les sens. Le vote « non » leur a porté un coup terrible, un coup qu'il n'avait pas vu venir, ni voulu voir venir. Le vote « non » décrédibilise encore un peu plus cette gouvernance. Il est tard, Bernard Laporte propose de démissionner mais ne veut pas partir seul. Les autres ne veulent pas le suivre. Le côté « vas-y toi d'abord » dans toute sa splendeur ; la politique au sens le plus nain du terme.
« La voie qui me paraissait la plus claire était celle de la démission du comité directeur »
Amélie Oudéa-Castéra, ministre des Sports
Bernard Laporte prendra sa décision au coeur de la nuit de mercredi à jeudi : il démissionne. L'annonce devra passer par un intermédiaire puisque M. Laporte a été débranché de toutes ses applications présidentielles début janvier. À la demande de son ministère de tutelle, le quintuple condamné du 13 décembre pour corruption ou trafic d'influence - pour des faits directement en relation avec ses fonctions à la FFR malgré le déni insensé de son bureau fédéral - n'a plus le droit d'assister à ce genre de conclaves. Ni de parler au nom de la FFR, ni de la représenter.
L'information de sa démission fuite alors que le comité directeur vient à peine de commencer. Au bout d'une demi-heure, la ministre sort. Amélie Oudéa-Castéra salue la démission de M. Laporte comme « une décision qui s'imposait ». Mais pour elle, une vraie sortie de crise digne de ce nom réclame une suite : « Je leur ai indiqué que la voie qui me paraissait la plus claire, la plus nette, la plus légitime et aussi la plus rapide, car on a tous envie que cette crise puisse aller à son terme et être résolue rapidement, était la voie d'une démission du comité directeur. »

La préconisation du ministère de tutelle est donc de se conformer à l'article 15 des règlements de la FFR qui prévoit qu'en cas d'une démission d'au moins une majorité des membres du comité directeur (soit 19), un bureau provisoire se voie charger de gérer les affaires courantes et d'organiser dans un délai de six semaines une assemblée générale devant élire un nouveau comité directeur. Le temps de convoquer cette « AG », une élection pourrait intervenir d'ici fin mars-début avril, après le Tournoi et bien avant le Mondial (8 septembre-28 octobre).
L'opposition, tout comme la Ligue nationale (qui représente les clubs pro), rejoint le ministère sur la ligne de ceux qui estiment qu'on ne pourra rien reconstruire, ni confiance ni légitimité, sans en passer par des élections générales, liste contre liste, programme contre programme. Après trois quarts d'heure de comité directeur, le chef de file des opposants Florian Grill quitte la réunion.
La frange pro-Laporte du comité directeur rejette l'éventualité d'une démission et se raccroche à l'article 21 : la vacance de pouvoir engendrée par le départ de Laporte peut être comblée par la nomination d'un président intérimaire parmi les membres du bureau (via un vote du comité directeur) jusqu'à la prochaine assemblée générale (en juin prochain à Lille) où les clubs seraient appelés à élire un nouveau président. Grill annonce froidement la démission des neuf élus de l'opposition.
« On ne peut pas cautionner ce hold-up. Ils veulent décider entre eux d'un président par intérim, issu du bureau fédéral, qui devra gérer la Fédération jusqu'en juin, sans légitimité, sans passer par les urnes. Ils veulent nommer un président que les clubs n'ont pas choisi, à quelques mois de la Coupe du monde et alors que la convention avec le Stade de France est à renégocier. Je suis très déçu pour le rugby. Cette attitude qui manque de dignité. On a demandé leur avis aux clubs et, aujourd'hui, on vient leur dire que leur avis ne sert à rien. Tout ça n'est pas sérieux, tout ça n'est pas responsable. C'est grossier envers les clubs. C'est grave. »
En démissionnant, l'opposition sait que si le processus de l'article 21 va à son terme, elle ne pourra pas présenter de candidat à Lille. Elle a fait le choix de privilégier un principe clair (des élections générales) à une visée opportuniste (Grill aurait eu de grandes chances d'être élu en juin mais il aurait dû gouverner avec un comité directeur qu'il estime défaillant).
À 14 heures, les deux représentants de la LNR au comité directeur de la Fédération (le patron de la Ligue, René Bouscatel, et celui du Stade Toulousain, Didier Lacroix) actent à leur tour leur démission (les 11e et 12e du jour), relayant la volonté unanime des clubs pro d'en passer au plus vite par des élections.
Et voilà le résultat, il est de toute beauté : il n'y a plus d'opposition au comité directeur de la FFR, plus de contre-pouvoir, plus de représentation de la Ligue ; il n'y a plus vraiment de président de la FFR, ni de président délégué. On ne sait plus si la FFR est représentée au Six Nations ou à World Rugby, et par qui. Il ne reste qu'une gigantesque pétaudière visible depuis la Lune.
Notons tout de même que les forcenés de Marcoussis, qui s'enchaîneront peut-être un jour à l'immense grille d'entrée, n'ont pas osé proposer un nouveau Buisson pour un nouveau référendum, avant de soumettre le suivant à la façon des Deschiens « 36-15 code qui n'en veut ». Ils ont préféré à la place se moucher avec le résultat d'un référendum fort représentatif (plus de 90 % de participation). Car chacun aura compris de quoi ce vote était le « non ».
Comme l'indiquait lui-même le candidat Buisson dans un entretien au Monde le 18 janvier, la raison d'être de ce référendum était aussi de « revalider le comité directeur ». La base l'ayant invalidé à la majorité, en conséquence rien ne changera. « On est aussi les clubs, dit Virginie Deprince, membre du comité directeur. On ne peut pas m'expliquer qu'il va y avoir une guerre après une consultation même pas obligatoire, qui n'est pas dans les statuts. Il y a eu un vote, notre président en a tiré des enseignements, c'était certainement une manière de nous protéger. On n'a rien fait, l'affaire qui nous impacte aujourd'hui est à l'écart de la FFR (ce qui est factuellement faux). Je soutiens Bernard (Laporte), toujours, la justice lui permettait de rester, je regrette qu'on en soit là. C'est pas qu'on s'accroche aux sièges, on travaille. »
Ce qui est certain, c'est que la démission de Laporte permet à ses condisciples d'espérer garder leur place. Tous ceux qui auront épousé tous ces agissements jusqu'ici, tous ceux qui n'ont jamais tiqué devant une faute éthique avérée (« Bernard Laporte est intervenu auprès du président de la commission d'appel de la FFR afin qu'il diminue les sanctions contre le club de Montpellier et ses joueurs », dixit le jugement de la 32e chambre correctionnelle de Paris), tous ceux qui n'ont jamais manifesté la moindre distance critique, ni saisi le comité d'éthique, ni remis en question le contrat maillot avec Altrad alors que la justice l'a déclaré né d'une relation de corruption, tous ceux-là auront tout assumé et auront suivi leur chef partout, sauf sur le chemin de la démission.
« La consultation était consultative et non prescriptive, c'était une forme de référendum qu'on écoute ou pas »
Laurent Gabbanini, directeur général de la FFR
La solidarité s'arrête là. Ils font aujourd'hui mine de ne pas comprendre que l'enjeu du référendum n'était pas la présidence de Laporte puisqu'elle était vidée de sens depuis le débranchement du 6 janvier. L'enjeu n'était évidemment pas non plus le seul Patrick Buisson. Mais cette gouvernance joue la montre et réagit toujours avec une bataille de retard.
La démission de Laporte aurait dû intervenir dès après le jugement et celle du comité directeur comme une réponse appropriée au référendum. Aujourd'hui, il se réfugie derrière des statuts qui n'ont pas été conçus pour répondre à la situation d'un président condamné pénalement, suivie d'un vote disqualifiant adressé à sa gouvernance. « La consultation était consultative et non prescriptive, c'était une forme de référendum qu'on écoute ou pas », dit le DG Laurent Gabbanini.
Les clubs seront ravis de l'apprendre car on s'était bien gardé de leur tenir un tel discours avant le vote. D'ici mardi ou mercredi, le bureau fédéral aura recensé qui en son sein souhaite postuler au poste de président intérimaire. Vendredi prochain, ce qu'il reste de ce comité directeur compte donc propulser sur le trône quelqu'un qui, à ses yeux, était un moins bon candidat que Patrick Buisson, battu au référendum. Peut-on vraiment gouverner l'une des plus grandes fédérations de ce pays dans ces conditions-là ?