Tiens, à propos de Fouroux, je viens de retrouver une interiew de Villepreux. On croirait qu'elle a été écrite hier.
C'est un peu long, et ça en dit long.
Villepreux de l'attaque.
Employé du rectorat, Chargé de mission sur la situation des athlètes de haut niveau, l'ex-arrière de l'équipe de France, un des plus merveilleux que le rugby ait connu, est l'auteur d'une thèse de doctorat sur le rugby. Toulousain d'adoption (il est né en Corrèze en 1943), cet adepte du jeu offensif qui fut trente-quatre fois sélectionné dans le XV tricolore, nous livre ici ses réflexions et ses propositions face à la crise d'Ovalie.
- Comment situez-vous les responsabilités dans la situation de l'équipe de France actuellement, après la défaite de Murrayfield ? Jacques Fouroux est-il seul responsable?
PIERRE VILLEPREUX: - Les responsabilités se situent à deux niveaux. D'une part, la Fédération française de rugby n'a pas su, depuis dix ans, mettre en place un championnat qui permette à une équipe nationale de se dégager, ni donner des matches de qualité afin de tirer le niveau vers le haut. Il faut que les internationaux puissent jouer en permanence les uns contre les autres, dans une confrontation d'un niveau de jeu intéressant. La deuxième dimension, c'est l'entraînement. Fouroux et les autres n'ont pas su, ou pas voulu, analyser la qualité du jeu depuis bientôt dix ans pour ne se préoccuper que du court terme, c'est-à-dire des résultats. Ceux-ci ont souvent été le fait de la qualité de certains joueurs, je pense à Sella, Blanco, Berbizier, Rodriguez... Autrement dit, le jeu théorique que les responsables prétendent développer n'est pas appliqué. A priori, ce système pourrait tenir la route, quand on dit vouloir imiter les All Blacks, cela peut se défendre mais ça ne colle pas avec ce qui est mis en place dans les entraînements ni dans le jeu. La production fournie par l'équipe de France sur le terrain ne correspond pas du tout à ce qui est dit. Ou bien ce sont les joueurs qui ne veulent pas appliquer ce qu'on leur demande, et cela m'étonnerait. Ou bien, c'est que le message ne passe pas et c'est sûrement parce qu'on ne sait pas le faire passer.
- Quelle est votre conception d'un rugby moderne? Que faut-il changer dans le système actuel?
- Créer un rugby moderne, c'est mettre en place un système de jeu qui lie en permanence le travail des avants et celui des trois-quarts et vice-versa, sans donner aucune priorité sur les formes de jeu à développer, qui sera fonction des essais créés dans le jeu de mouvement sur l'adversaire. Il faut prendre en compte les rapports de force engendrés par le mouvement des joueurs et du ballon. Ce n'est pas ma théorie, c'est celle de René Deleplace, donc ce n'est pas vraiment nouveau.
Le jeu pratiqué par l'équipe de France ne correspond pas à cela. Il est très stéréotypé, automatisé, les joueurs reproduisant systématiquement les mêmes phases même s'il n'y a aucune pertinence à le faire. Je pense en particulier aux percussions des joueurs, surtout des avants, qui me font plus penser au rugby à XIII qu'à un jeu dynamique qui permettrait, par des progressions successives et par un jeu de passes, de déstabiliser la défense de l'adversaire que l'on pourrait déborder ensuite en utilisant les trois-quarts.
- Les changements successifs de postes n'ont -ils pas troublé le fonctionnement de l'équipe de France?
- Vous voulez parler de ces joueurs dits «polyvalents». La polyvalence, ce n'est pas changer de postes, c'est être disponible à toutes les formes de jeu qui se présentent et pas seulement d'être capable de jouer troisième ligne, centre ou ailier. Les permutations de postes ont toujours été pratiquées dans le rugby français, mais ne doivent pas avoir cours au sein de l'équipe de France. On a la possibilité d'avoir le meilleur potentiel, et donc de choisir les gens les plus efficaces à leurs postes. Il est indispensable qu'au plus niveau, on mette en place les joueurs qui sont le plus capables d'exprimer leur potentiel à des postes bien précis. Les dirigeants peuvent changer autant de joueurs qu'ils voudront, cela ne changera rien. Ce ne sont pas les joueurs qui sont en cause, mais le système. Il faut une méthode d'entraînement dans laquelle le langage d'enseignement mis en place pour les joueurs et le langage proposé par les entraîneurs soient le même. Il faut harmoniser la pratique et la compréhension qu'en reçoivent les joueurs.
- Quel est votre sentiment avant le match de samedi au Parc des Princes contre l'Irlande?
- On va jouer contre l'équipe qui est, a priori, la plus faible du Tournoi. Il serait inconcevable de perdre à Paris, il sera nécessaire de gagner, mais de gagner avec la manière. On ne tolérerait pas un match où l'équipe de France serait à la limite, où le jeu serait absent. Mais ne vous inquiétez pas, on va gagner!
- Comment voyez-vous l'avenir du XV de France, en particulier dans la perspective de la Coupe du monde?
- Si on en est là aujourd'hui, c'est parce qu'on a pas su gérer le long terme, c'est à dire aussitôt après la première Coupe du monde, essayer de préparer la suivante. On va se retrouver, à un an de la Coupe, dans une situation de crise qui n'est pas du tout favorable à une bonne préparation.»
- Quelles solutions préconisez-vous?
- Il faut créer un véritable club France. Même si les dirigeants actuels disent c'est ce qu'on fait, je n'y crois pas du tout, dans la mesure où l'équipe B ne s'entraîne pas avec l'équipe A, ni avec l'équipe A'. Il faut mettre en place des entraînements communs, un langage commun entre toutes les équipes et surtout mettre à la tête de ces clubs des gens compétents, ce qui n'est pas toujours le cas.
- Vous pensez qu'il faut tenir compte des avis des gens qui sont écartés des responsabilités, et changer de dirigeants à la FFR?
- Il faut cesser de marginaliser, «d'emmerder», passez-moi l'expression, les gens qui émettent des critiques et de les traiter de manière insultante parce qu'ils ont des idées novatrices qui ne vont pas dans le sens que souhaite le pouvoir. Je ne suis pas pour la pérennité du pouvoir. Pour changer de politique, il faut changer les hommes. Tant qu'il n'y aura pas de changement radical chez les dirigeants, on n'avancera pas. Il faut donner les moyens à d'autres personnes de mettre en place un nouveau système de jeu, et s'il ne fonctionne pas, on prend d'autres responsables. Essayons de construire un rugby moderne.
Propos recueillis par Pierre Michaud
L'Humanité le 27/02/1990.