En 2018 et 2019, à pareille époque, la liste des « chômeurs » comportait environ soixante-dix noms, dont une cinquantaine de joueurs pro (Top 14 et Pro D2). En 2017, le chiffre était même légèrement inférieur avec une trentaine de chômeurs comptabilisés mi-juillet. Pour cette année 2020, alors que la période officielle des mutations vient de prendre fin (15 juillet), le chiffre a explosé. Selon Provale, le syndicat des joueurs, le nombre de chômeurs a dépassé la barre symbolique des 100 ! Conséquence de la crise sanitaire qui touche le monde entier. L'arrêt des compétitions et le manque de visibilité sur la saison à venir ont fait le reste.
De nombreux clubs, en plus des baisses de salaires, ont considérablement réduit la voilure, laissant des joueurs sur le carreau, dont quelques noms ronflants à l'image des internationaux français Maxime Mermoz (35 sélections) et Benjamin Fall (14 sélections), mais aussi Kini Murimurivalu (30 sélections avec les Fidji), Clément Daguin ou encore Jean-Charles Orioli. Alors comme chaque année, Provale est proactif.
Pour tenter de limiter la casse, Robins Tchalé-Watchou, son président, a obtenu la création d'un statut dérogatoire pour les chômeurs auprès de la Ligue nationale de rugby. Ainsi, jusqu'au 30 janvier 2021, les clubs pourront embaucher les joueurs inscrits sur la liste des chômeurs Provale sans que ceux-ci ne soient considérés comme joueurs supplémentaires ou jokers médicaux. « Nous espérons que cela permettra aux clubs d'avoir plus de marge de manoeuvre, explique le directeur général adjoint Mathieu Giudicelli. Pour certains, la situation est très compliquée. Ils ne savent pas où inscrire les enfants à l'école, s'ils doivent déménager. Il y en a dans des situations précaires. »
Pour minimiser les dégâts, une cellule de suivi a été mise en place. Son nom : le service réseau. Quatre membres de Provale (Yannick Lacrouts, Juan-Martin Berberian, Ben Broster et Victor Paquet), tous anciens joueurs, sont chargés d'être en contact direct avec les chômeurs. « On prend régulièrement des nouvelles de nos joueurs, détaille Mathieu Giudicelli. C'est au minimum un coup de téléphone par semaine. On essaie d'identifier rapidement ceux dont le moral est en baisse, poursuit l'ex-pilier droit passé par Montpellier, Mont-de-Marsan, Tarbes et Biarritz. Puis on leur propose l'intervention de notre cellule psychologique composée de Pat Barnard (ex-Brive) et Maylis Bonnin (ex-capitaine des Bleues). C'est au joueur de décider. »
Si la problématique mentale guette, la problématique physique est également un sujet sensible pour Provale, d'autant plus difficile à maîtriser en raison de la pandémie de Covid-19. Les chômeurs s'entretiennent physiquement de manière individuelle. « Si Provale met à leur disposition une cellule diététique et une commission médicale, cette dernière n'a pas pour mission de donner un programme d'entretien aux joueurs, prévient Mathieu Giudicelli. Elle donne des préconisations pour exercer dans les meilleures conditions et sans risque par rapport au Covid. »
Le principal souci avec le Covid justement, c'est que les chômeurs le sont depuis le 1er juillet, ce qui coïncide avec la fin de leur contrat dans les clubs, hors protocole médical. Du coup, contrairement aux années précédentes, Provale se retrouve bloqué pour l'organisation de matches amicaux avec une équipe de chômeurs. « Tous les joueurs du Top 14 et Pro D2 suivent un protocole médical strict dans leurs clubs respectifs depuis début juin, souligne le DG du syndicat des joueurs. Ce n'est plus le cas des chômeurs. On ne peut donc pas exposer ceux qui le suivent à ceux qui ne le suivent pas. On se retrouve dans l'expectative. »
Pour accompagner au mieux les chômeurs, dont certains ne s'attendaient pas à se retrouver sur le carreau, Provale met aussi l'accent sur l'après-rugby en proposant un bilan de compétences, mais surtout des formations, toutes adaptées au statut de sportif de haut niveau, grâce à de nombreux partenariats : Toulouse Business School (Bachelor et Master 2), Grenoble École de Management (programme grande école et Cachelor), l'Edhec Business School (Bachelor spécialisé dans la finance), Neoma Business School (Bachelor bac +4 en immobilier), EMC Lyon (Bachelor et Master 2), L'ANDSA (donne accès à tous les CFA de France), la police nationale et Pôle Emploi.
« Un panel très large, ouvrant à tous les métiers », souligne Mathieu Giudicelli, qui espère néanmoins que la finalisation des budgets dans plusieurs clubs permette d'ouvrir la porte à quelques retouches dans les effectifs et donc délester la liste des chômeurs de quelques noms.
Pour y remédier, Provale réfléchit à l'organisation d'un match de gala, le « match du jubilé », pour rendre un dernier hommage à tous ces joueurs ayant terminé leur carrière dans un certain anonymat. Soit un match entre eux, soit une opposition contre un adversaire à définir, mais devant du public. Mais là encore, le protocole sanitaire pourrait compliquer cette belle initiative.
