Le 19 janvier dernier, lors de sa présentation à Clermont, Christophe Urios, limogé de l'UBB par son président Laurent Marti au mois de novembre précédent après trois saisons au club, avait emprunté la formule d'un illustre condisciple du foot pour résumer une vie de coach de haut niveau. « Jusque-là, je faisais le beau, parce qu'en vingt et un ans (d'entraînement), je ne m'étais jamais fait virer. Comme le dit José Mourinho (double vainqueur de la Ligue des champions de football), tu es un meilleur entraîneur quand tu t'es fait virer une fois. Quand ça arrive, tu es déçu, vexé, tu perds l'estime de toi, tu as la rage. Mais après les fêtes, j'ai senti que l'envie d'y retourner était revenue. »
La sortie du manager de l'ASM souligne le niveau de pression de plus en plus fort auquel est soumis ce poste, souvent utilisé comme premier fusible. Cette saison, Urios fait partie des quatre techniciens débarqués en cours d'exercice, en plus de Jeremy Davidson (Brive), Jono Gibbes (Clermont) et Pierre-Henry Broncan (Castres). Si ce chiffre n'est pas un record (voir ci-dessous), il reste élevé par rapport à la moyenne de 2,3 managers virés par saison depuis l'instauration du Top 14 en 2005-2006.
« Le monde du rugby ne s'y est pas encore habitué, estime Miguel Fernandez, directeur associé de CSM Sport & Entertainment (une importante société d'agents basée à Londres) et président de Intervals, le syndicat des agents sportifs du rugby. Globalement, entre dix et douze clubs peuvent prétendre se qualifier et la moitié d'entre eux ne va pas y arriver. Ces clubs n'auront donc pas atteint leur objectif. Et qui n'atteint pas son objectif risque sanction. Aujourd'hui, il est beaucoup plus simple d'écarter un coach ou un adjoint que de changer 35 joueurs. »
Didier Nourault, président de Tech XV, le syndicat des entraîneurs, connaît bien cette situation. À la tête de Montpellier pendant neuf saisons, il avait été remercié en mars 2009 après de mauvais résultats. « On est tous conscients que cela fait partie des risques du métier, on est toujours un petit peu préparé à cela, consent-il aujourd'hui. Mais quatre entraîneurs limogés, cela reste toujours trop et ce n'est pas empreint d'une grande cohérence pour les clubs. C'est relativement complexe de travailler en changeant tous les deux ou trois ans de manager, et donc de façon de jouer. Cela pose la question de la politique sportive des équipes à moyen terme. Connaît-on des entreprises capables de changer de vision tous les deux ou trois ans ? »
Une relation de confiance saine entre le président et son manager peut aussi passer derrière l'intérêt de l'équipe et surtout du club en tant qu'institution quand celle-ci se retrouve en difficulté (lire notre entretien avec Pierre-Yves Revol, président de Castres, à propos de l'éviction de Pierre-Henry Broncan). « Il n'y a pas de manoeuvre colérique ou égotique de la part des présidents, assure Fernandez dont le réseau est régulièrement sollicité par les clubs. Ils sont garants d'un projet global avec des enjeux économiques importants dans un écosystème. » « Les présidents n'envisagent pas de se séparer de leur manager, reconnaît Nourault. Ce sont les circonstances qui font qu'ils doivent réagir vite et sous pression. »
« L'électrochoc ? On voit que cela marche une fois sur quatre »
Didier Nourault, président de Tech XV, le syndicat des entraîneurs
Alors, l'argument de l'électrochoc est souvent avancé. Mais le pari présente peu de certitudes. « Dans les faits, on voit que cela marche une fois sur quatre », évalue Nourault. Quand l'entraîneur cristallise les tensions et ne trouve plus de leviers, s'en séparer est devenu la première solution. Quitte à donner raison aux joueurs et à garantir des retrouvailles épicées. Car s'ils peuvent facilement être débranchés, il arrive aussi à ces techniciens de retrouver du boulot en moins de deux, et même d'être opposés à leurs anciens joueurs plus vite que prévu.
Urios a recroisé l'UBB à Chaban-Delmas avec Clermont le 19 février (18-9). Une grande première pour un coach au cours de la même saison. Licencié de Brive en décembre dernier, Jeremy Davidson, lui, viendra défier son « ex » avec le survêtement castrais le 13 mai lors de la 25e journée, dans un duel possiblement capital pour le maintien.
« Entraîneur, c'est un métier de fou que je ne recommanderai à personne, admet Fernandez. On rentre sur un coup de tête et on ressort avec un coup de pied au cul. Dans ce métier, vous prenez votre bâton de pèlerin et votre baluchon en sachant très bien que tous les deux ou trois ans vous risquez de déménager femme et enfants pour reconstruire quelque chose ailleurs. Un entraîneur est habité douze heures par jour, si ce n'est plus. Pour être un bon coach, il faut avoir une capacité à gérer la frustration et les attentes, et savoir se remettre en question sans jamais douter. Il faut avoir une capacité à gérer les mauvaises nouvelles et l'anxiété sans être anxiogène. C'est très compliqué. C'est un boulot qui développe aussi facilement la paranoïa parce que vous êtes attentifs à tout. Il ne faut pas être câblé comme tout le monde pour faire ce genre de job et ce job n'est pas donné pour tout le monde. »
Face aux risques psychosociaux auxquels sont exposés les entraîneurs, Tech XV a mis en place un suivi. « On a des psychologues qui interviennent pour que les entraîneurs ne perdent pas pied, c'est essentiel, confirme Nourault. Il y a une aide pour ceux qui sont limogés, mais il y a aussi des propositions d'accompagnement utilisées par des entraîneurs en poste. » Pour éviter de péter un fusible et parce que finalement, ils ne savent jamais vraiment combien de temps ils vont le rester.
En crise au niveau sportif, institutionnel et financier, le rugby gallois a aussi décidé de changer de cap à l'orée de 2023, en écartant le Néo-Zélandais Wayne Pivac au profit de son compatriote Warren Gatland, auréolé de trois Grands Chelems (2008, 2012, 2019) lors de son premier passage sur le banc du quinze du Poireau (2007-2019). Pour l'instant, l'électrochoc n'a pas eu lieu : le pays de Galles a perdu ses trois premiers matches du Tournoi et lutte désormais pour éviter une humiliante cuillère de bois. A. Co.