Le Club de Rugby Liceo Francés de Madrid a peut-être signé l'un des plus beaux contes du sport espagnol : un retour en Première Division dix-huit ans après l'avoir quittée, porté par des jeunes français et espagnols, des anciens élèves du lycée français et un entraîneur formé lui aussi dans la cour du lycée. Petit budget, grands exploits : le Liceo n'invente rien. Il perpétue une vieille idée du rugby, celle des copains et de la famille, avant les contrats.
C'était le 25 mai 2025, jour de finale de Deuxième Division espagnole, dans l'enceinte du lycée français de Madrid. Des milliers de personnes s'étaient rassemblées malgré des installations modestes : élèves, parents, professeurs et même des anciens venus spécialement de France. « On n'avait jamais vu autant de monde, confie Mateo Carrière, ailier du Liceo Francés. On gagne sur la dernière action après treize phases de jeu. C'était totalement dingue, je n'ai jamais vécu quelque chose de pareil dans ma vie, je crois que personne ne réalise encore quelques mois après. »
Après dix-huit ans d'absence, le Club de Rugby Liceo Francés effectuait son grand retour en Première Division espagnole - équivalent de la Nationale et Nationale 2 en France. Ce jour-là, les visages racontaient plus qu'une victoire : ceux d'une génération d'anciens élèves du lycée français de Madrid redevenus les héros de leur cour de récréation.
Parmi eux : Santiago Ceballos García, 19 ans, étudiant en ingénierie mécanique ; son frère Borja, 22 ans, étudiant en psychologie ; Pedro Bardón Pedrola, 23 ans, courtier ; Carlos Destre Fernández-Golfín, 22 ans, étudiant en ingénierie industrielle ; ou encore Mateo Carrière, 20 ans, étudiant à KEDGE Business School à Bordeaux. Tous ont grandi sur la pelouse du lycée, ce terrain qui reste aujourd'hui encore le coeur battant du club.
Fondé en 1968 par des professeurs d'éducation physique du lycée, le Liceo Francés s'est imposé au fil des décennies comme un acteur majeur du rugby espagnol. Dans les années 1990, il a connu ses heures de gloire, avec plusieurs podiums en División de Honor et deux Coupes de la Reine remportées par son équipe féminine. Malgré ces titres, les infrastructures n'ont jamais vraiment évolué : un terrain scolaire, pas de salle de musculation, du matériel limité et interdiction de vendre de l'alcool à la buvette. Le club vit encore au rythme du lycée.
Le Liceo Francés, c'est avant tout une école de rugby - la plus importante d'Espagne aujourd'hui. Elle compte 570 licenciés, 22 équipes, soutenues par la présence des élèves du lycée français de Madrid, le plus grand d'Europe avec 4 360 élèves. « Quand j'étais petit et encore étudiant au lycée, il y avait un vrai lien entre les jeunes et l'équipe première », raconte Pedro Bardón, ancien élève et actuellement joueur. « Les entraîneurs des catégories jeunes étaient souvent d'anciens joueurs ou des joueurs actuels. Quand ton entraîneur te dit "on joue samedi au lycée", tous les petits viennent voir le match. »
Cette proximité entre les générations a forgé une identité forte, à la fois française et espagnole. Beaucoup d'élèves du lycée rejoignent naturellement le club, attirés par cet esprit de camaraderie et de simplicité. Une philosophie qui rayonne bien au-delà des anciens du lycée. « Cette ambiance attire les jeunes : certains habitent à quarante-cinq minutes du club et malgré la distance, ils viennent s'entraîner parce qu'ils savent qu'ils seront bien accueillis », poursuit Pedro.
Avec un budget limité - « équivalent à celui d'un club de Troisième Division », estime Jérémy Santos, responsable du recrutement - le club ne peut pas rivaliser sur le plan économique. Alors, il a choisi une autre voie : miser sur la formation. L'année dernière, 17 des 24 joueurs inscrits sur la feuille de match de la finale étaient issus du centre de formation.
Depuis plusieurs années, le club est dirigé par Fernando Díez, ancien international espagnol passé par la Coupe du monde 1999 et considéré comme l'un des meilleurs entraîneurs d'Espagne. Lui-même ancien élève du lycée, il a insufflé cohérence et ambition à l'équipe.
« La veille de la finale, on se demandait encore : même si on gagne, est-ce qu'on montera »
Mateo Carrière, joueur
« Depuis deux ou trois ans, nous avons eu d'excellentes générations de moins de 18 ans, qui ont terminé en finale ou en demi-finales du Championnat d'Espagne. Nous leur avons fait confiance très tôt. Cette année encore, deux ou trois joueurs de moins de 18 ans ont intégré l'équipe première et ont participé à des matches. Certains nous disent que c'est fou, notamment sur le plan physique, mais ces jeunes s'accrochent. Deux ans plus tard, à 20 ans, ils atteignent une certaine maturité et cela a contribué à nos excellents résultats », explique Jérémy Santos.
Cette montée en Première Division n'était pas prévue. « Ça faisait deux ans qu'on sentait un potentiel, mais tout le monde savait que financièrement, ce serait compliqué, raconte Mateo Carrière. La veille de la finale, on se demandait encore : même si on gagne, est-ce qu'on montera ? »
Après cet exploit, le club attire l'oeil et les joueurs sont repérés par les recruteurs. Comment faire face à des clubs disposant de grosses infrastructures et qui versent des salaires ? « Je ne vais pas mentir, confie Carrière. J'ai hésité à aller voir ailleurs, dans un plus gros club, mais c'est mon club. Ici, on reste parce qu'il y a un truc différent. »
À défaut de moyens, le club mise donc sur sa formation mais aussi cet état d'esprit en plus qui donne envie de venir - et de rester - ici plus qu'ailleurs. « Au départ, j'étais censé signer à Cisneros, le club rival. Mais l'ambiance y était un peu froide, alors j'ai voulu essayer le Liceo Francés. Dès le premier jour, je n'en revenais pas de l'accueil : directement, je me suis retrouvé à faire un barbecue argentin avec des Français, des Espagnols, des Argentins. Les joueurs me présentaient leurs familles, m'invitaient chez eux alors que je ne les connaissais pas, et je me suis dit : "OK, ici je vais être heureux." », raconte Loukemy Billard, qui a donc signé au Liceo Francés.
« C'est mon club depuis toujours et pour toujours »
Lucas Santamaria, joueur international espagnol
Certains joueurs partis tenter leur chance ailleurs finissent toujours par revenir, un peu comme des enfants qui retrouvent la maison après des années d'exil. Dans son histoire, le club a formé de nombreux joueurs internationaux espagnols. Actuellement, deux joueurs de l'équipe font partie de la sélection nationale, dont Lucas Santamaria, un enfant du club revenu cette année après avoir joué en 3e division française (la Nationale). « Je suis revenu en Espagne pour préparer au mieux la prochaine Coupe du monde 2027 avec l'Espagne. On m'a proposé plusieurs clubs, mais je ne pouvais aller ailleurs qu'au Liceo Francés. C'est mon club depuis toujours et pour toujours », confie-t-il.
Après cinq journées dans le Championnat de Première Division, dite « División de Honor », l'équipe première se classe septième sur onze équipes, avec deux victoires et trois défaites, dont une de justesse contre El Salvador, le tenant du titre (28-32). Les petits poucets continuent d'impressionner.








