Des terrains à la Terre : Julien Pierre, ce géant vert
dans Sud Ouest du soir par Vincent Romain
L’ancien rugbyman international français, installé à Pau, est aussi un citoyen très engagé dans la défense de l’environnement. Il est même le président d’un fonds de dotation qui soutient des associations aux quatre coins de la planète.
Un geste de dépit, accompagné d’un soupir : « Tu vois, ça par exemple, ça ne sert vraiment à rien… » Julien Pierre vient de déployer son mètre quatre-vingt-dix-sept pour se lever de sa chaise et balance sur la table la paille en plastique qui accompagnait son verre de Perrier. Autour de lui, sur la terrasse du restaurant qui surplombe le gave de Pau, quelques regards appuyés ou impressionnés. Le gaillard est évidemment tout sauf un inconnu en Béarn : il vient d’y passer trois saisons en tant que rugbyman. En mai, il a disputé son tout dernier match au niveau professionnel.
Une retraite sportive bien méritée après quinze ans sur les pelouses de France avec les maillots de La Rochelle, Bourgoin, Clermont et donc Pau, récompensés par 27 sélections en équipe de France et une finale de Coupe du monde disputée en 2011. Une décennie et demie passée à charbonner, à déployer des montagnes d’énergie et de muscle au fond des mines que constituent les mêlées et les regroupements.
Une enfance au... zoo
Mais l’engagement de Julien Pierre dépasse largement les limites des terrains de rugby. L’homme est animé par une conscience environnementale qui trouve sa source dans sa plus tendre enfance. Ses quinze premières années, il les a passées dans le zoo des Sables-d’Olonnes, dont ses parents étaient les gérants. L’endroit avait été racheté dans les années 1970 par son grand-père, déjà fondateur du Bioparc de Doué-la-Fontaine, en Vendée. « Notre maison était dans le zoo. Le matin, on était réveillés au rugissement du lion ! C’était notre terrain de jeux. Le mercredi après-midi, personne à l’école ne se demandait ce qu’on allait faire : on allait au zoo. »
Le jeune Julien regarde des documentaires, lit des articles, se sensibilise aux milieux naturels et à la cause animale. Et l’adolescent se construit en tant qu’homme dans cet environnement. « Je suis quelqu’un qui observe beaucoup avant de se mettre en action et, dans la nature, il faut être comme ça, d’abord se faire discret pour ensuite être accepté. Ç’a été une merveilleuse école… Le déclic se produit en 2009, quand il accompagne son oncle à Sumatra, en Indonésie. Il y découvre des paysages qui s’impriment à vie sur sa rétine. « Des kilomètres de pipeline le long des routes, de la forêt brûlée, de la mangrove magnifique rasée au bulldozer parce qu’on veut produire de l’huile de palme, des camions d’arbres abattus pour fabriquer du papier… Quand tu arrives là-bas, tu te dis qu’il ne reste plus grand-chose. Ça fait un choc. Ces images m’ont ouvert les yeux. Tu te rends compte que ça ne repoussera jamais, que c’est terminé. »
Il en revient atteint du paludisme, mais surtout habité de la conviction qu’il veut faire sa part de boulot dans la défense de l’environnement. À Clermont, où il joue depuis un an, il fait la connaissance, via son oncle, des nouveaux propriétaires du parc animalier d’Auvergne, dont Pascal Damois, qui raconte : « Au départ, on pensait au côté rugby, on ne savait pas trop à quoi s’attendre… Mais on a vu qu’il connaissait bien son sujet, qu’il avait voyagé et découvert ce qu’étaient des projets de conservation et de protection des animaux. On est tombés sur quelqu’un de vraiment pointu qui savait ce qu’il voulait. On s’est retrouvés dans nos valeurs respectives. »
Après quelque temps passé à échanger, à tâtonner, à affiner envies et objectifs, tous trois créent leur association, vite trans-formée en fonds de dotation, La Passerelle conservation, qui a pour vocation de récolter des financements destinés à des programmes de sauvegarde. Julien Pierre – le président – et ses comparses choisissent les associations et les programmes qui leur tiennent à cœur, à l’autre bout du monde ou en Auvergne. Et les soutiennent à l’aide des fonds récoltés dans le parc via des parrainages et des événements divers. C’est ainsi qu’en 2017, La Passerelle a reversé 30 000 euros à des programmes portant sur la panthère des neiges en Mongolie, le panda roux du Népal, le gibbon du Laos, le kulan (un âne sauvage) au Turkménistan, les girafes au Kenya et les lémuriens à Madagascar.
« On essaie de trouver des programmes qui, en plus de protéger des espèces présentes au parc animalier, mettent des choses en place pour aider les populations locales », précise Julien Pierre, que ses coéquipiers surnommaient d’ailleurs… « Chameau ».
Son départ pour Pau en 2015 aurait pu l’éloigner de son engagement. Internet, une assiduité téléphonique et une implication sans faille lui ont permis d’éviter cet écueil. « Il est très impliqué, travaille beaucoup, assure Pascal Damois, trésorier de La Passerelle. Je connais d’autres sportifs professionnels qui se contentent d’apposer leur image sur une bonne cause. Julien met la sienne au service de la démarche, mais c’est avant tout un gros bosseur. Malgré la distance, il est l’un des acteurs de notre fonds au quotidien. Il remonte régulièrement, participe à toutes les réunions de travail avec les interlocuteurs que l’on peut avoir dans la région, il gère le recrutement des services civiques qui travaillent au sein de notre structure, son esprit fusionne en permanence pour savoir comment faire avancer nos projets. »
L’ancien deuxième ligne a ainsi tenu un rôle majeur dans l’ouverture, il y a un an, de la Maison de la nature auvergnate, pépinière qui rassemble dans un même lieu quatre associations naturalistes. Il y a quelques mois, il a jeté un pont entre l’Auvergne et le Béarn, puisque La Passerelle a aidé le Fiep (Fonds d’intervention éco-pastoral, qui milite pour des lâchers d’ours dans les Pyrénées) à confectionner de nouveaux panneaux d’expositions affichés dans les écoles. Au sujet du plantigrade, Julien Pierre n’a pas d’avis tranché mais estime que « ses détracteurs sont beaucoup plus bruyants, mais moins nombreux que ceux en faveur de sa réintroduction ». « Je suis allé dans une forêt à ours, au-dessus de Laruns, sans aucun sentier, rien. C’est ça qu’il faut protéger. Bien sûr, le pastoralisme est important et chaque brebis tuée est un drame. Mais des endroits naturels sont condamnés à disparaître et des espèces comme l’ours, mais aussi le tigre et la girafe, permettent de les protéger et de sauvegarder le côté sauvage. »
« Jupi » (son autre surnom) étale une modestie à toute épreuve, se défend d’être « un expert » environnemental et refuse de « donner des leçons ». « Je ne suis pas irréprochable. Je ne suis pas prêt à tout sacrifier et à vivre à la bougie dans une grotte. Mais j’essaie de faire mon maximum, de m’informer, de comprendre ce qu’on peut faire. » Lorsqu’on l’interroge sur ce qui le révolte au quotidien, le débit s’accélère : « Quand tu achètes un truc avec 15 emballages. Ou une orange avec un film plastique autour. Ce genre de trucs m’énerve. On donne un sac en plastique pour tout ou rien. Beaucoup de choses sont faciles, mais si on prenait un peu le temps de les faire ? Ne pas faire le tri, aujourd’hui, pff… J’ai déjà vu, dans ma résidence, des gens jeter des bouteilles en verre dans la poubelle classique alors qu’il y a un conteneur à cinq minutes à pied. »
Ces petits constats, ajoutés à des études toujours plus alarmantes et à la démission récente de Nicolas Hulot, le contraignent au fatalisme : « Cet homme engagé et convaincu admet que tout n’est pas mis en œuvre pour sauver la planète alors que tous les voyants sont au rouge. C’est peut-être à nous, citoyens, de faire l’effort, mais sommes-nous prêts ? Je ne suis pas pessimiste car je suis persuadé que l’homme a d’immenses ressources, mais je suis en même temps un peu défaitiste car on fait comme si c’était à l’autre de changer, et pas à soi-même… »
Julien Pierre préfère donc miser sur les générations à venir. La Passerelle termine de mettre au point un projet pédagogique qu’elle espère déployer à partir du printemps prochain. Il mêlera escape game, courses d’orientation et autres jeux, en classe et en forêt, application sur smart-phone ou tablette à l’appui. « Ça me tient vraiment à cœur. Je ne sais pas ce qu’on va laisser à nos enfants mais ils vont faire le monde de demain. Ils ont la vérité, à nous de leur transmettre les bons réflexes. »