Le Monde 20 octobre 2016
Dan Carter : " Je ne vois pas où est le problème "
Jogging et sweat à capuche ample sur le dos, Dan Carter a reçu Le Monde, mardi 18 octobre, dans les locaux du Racing 92. Quelques heures plus tôt, son club venait d'annoncer que la Fédération française de rugby (FFR) le blanchissait, ainsi que ses deux coéquipiers, Jœ Rokocoko et Juan Imhoff, dans l'affaire des corticoïdes.
Des traces de cet anti-inflammatoire, puissant antidouleur, avaient été retrouvées dans les urines des trois joueurs après la finale du Top 14, le 24 juin, qui opposait le club francilien à Toulon. A l'heure de s'exprimer pour la première fois sur cette affaire, le Néo-Zélandais n'affichait pas une joie débordante, visiblement fatigué de revenir sur une histoire dont il ne comprend pas qu'elle suscite tant d'interrogations.
La commission de lutte contre le dopage de la FFR vient de vous blanchir. Vous attendiez-vous à cette décision ?
Je n'ai pas été surpris. Nous savions que nous n'avions rien fait de mal et quelle serait la réponse. Mais la manière dont s'est déroulée cette histoire a été décevante, avec tout ce qui est sorti dans la presse. Des informations confidentielles ont fuité. C'est dur de devoir se défendre quand on n'a rien fait de mal. Vous savez, je tiens mon intégrité et celle de mon sport en haute estime. Je respecte les autorités qui aident à maintenir notre sport propre. C'est bien d'avoir reçu la décision, de pouvoir avancer et faire ce que j'aime, c'est-à-dire jouer au rugby.
Comprenez-vous que les gens soient surpris que trois joueurs puissent disputer une finale avec des corticoïdes dans leur organisme ?
Quand vous vous blessez, vous mettez en place les procédures pour soigner cette blessure, dans le cadre des règles antidopage, bien sûr. La raison pour laquelle j'ai eu recours à cette infiltration, et je l'ai expliqué à la commission, c'est qu'au lendemain de la demi-finale contre Clermont - le 17 juin - , je souffrais d'une inflammation au genou.
J'ai reçu une injection, puis me suis reposé deux jours. Après, j'étais apte à jouer et j'ai joué. Je ne vois pas où est le problème puisque tout cela entre dans le cadre des règlements.
Concernant cette inflammation au genou droit lors du match contre Clermont, avez-vous d'abord essayé d'autres traitements avant l'infiltration de prednisolone ?
Il y a évidemment des méthodes pour aider à réduire une inflammation, comme les soins avec de la glace. Mais quand il y a une solution possible qui ne sort pas du cadre des règles antidopage, ce serait stupide de ne pas s'en servir. Je fais confiance à Sylvain - Blanchard, médecin du Racing 92 - et à sa manière de soigner mon corps.
Lors de la saison 2015-2016, avez-vous reçu d'autres infiltrations pour soulager la douleur de votre genou ?
Oui. C'était la seconde fois de la saison que je recevais une infiltration dans mon genou. La première était début 2016, pendant la saison régulière. - Il s'agissait alors, précise le Racing 92, de mésothérapie, un traitement à base d'anti-inflammatoires non stéroïdiens, et non de corticoïdes - .
Avez-vous subi une infiltration durant la Coupe du monde avec la Nouvelle-Zélande, ou durant la préparation ?
Oui, j'ai subi une infiltration après avoir contracté cette blessure. C'était après le quart de finale - contre la France, le 17 octobre 2015 - . Le lendemain, j'avais une forte inflammation au genou droit.
Seriez-vous d'accord pour publier le dossier médical concernant l'infiltration précédant la finale, afin que les gens puissent être convaincus que la bonne décision a été prise et que votre santé, comme l'intégrité de la compétition, ont été respectées ?
C'est exactement ce que nous avons fait devant la commission. Nous avons montré mon dossier médical et les raisons qui expliquent l'infiltration. Les membres de la commission les ont lus et en ont été complètement satisfaits. Je n'ai rien à cacher, rien à me reprocher, donc publier mon dossier médical pour montrer que rien de mal n'a été fait, je suis d'accord. Il faudrait que j'en parle au médecin. Mais pourquoi quelqu'un devrait-il montrer son dossier médical à des gens qui n'ont aucune connaissance en la matière ?
Savez-vous combien d'infiltrations de corticoïdes vous avez reçu au cours de votre carrière ?
Non. Quelques-unes… Quand vous avez une blessure, vous avez envie de la soigner. C'est aussi simple que cela.
Pensez-vous que vous auriez pu jouer la finale sans cette infiltration ?
Je n'y ai jamais réfléchi. C'était juste une petite inflammation au niveau du genou. L'infiltration m'a aidé, tout comme le repos les jours suivants.
Comment considérez-vous ces infiltrations du point de vue de votre santé ?
On fait confiance aux équipes médicales et aux organisations antidopage. En tant que joueur, on veut jouer. Le timing est important aussi, on n'a pas envie d'abandonner son équipe. Je savais que la fin de saison était toute proche et que j'allais avoir une pause d'un mois. Maintenant, mon genou fonctionne bien, j'ai pu faire ma rééducation, du renforcement musculaire et reprendre de la force.
Donc vous n'avez pas eu l'impression de mettre votre santé en danger ?
Non.
Vous comprenez le débat et les controverses qui sont apparus ?
Non, pas vraiment. Je ne suis pas sûr de comprendre quel est le débat. J'ai été surpris par tous les articles et reportages que cela a générés. Chez moi, en Nouvelle-Zélande, les médias ont eu vent de l'histoire, ils ont vu que je n'avais pas enfreint les règles antidopage, et au bout de vingt-quatre heures, ce n'était plus une histoire. En France, cela a duré.
L'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a deux mois pour faire appel de cette décision. Craignez-vous qu'elle le fasse ?
Je ne connais pas les procédures en France, comment tout cela se passe. Ce serait agaçant si c'était le cas, mais qui sait… Le plus important est que nous ayons été blanchis et que nous sachions que nous n'avons rien fait de mal.
Hormis les infiltrations, quels autres traitements êtes-vous amené à prendre dans le cadre de la gestion de la douleur ou pour la récupération ? Prenez-vous des antidouleur, par exemple ?
Non. Si mon corps est en bon état, les seules choses que je prends, ce sont des produits naturels, et de la protéine en poudre après une session de musculation. C'est tout. Je ne suis pas très branché supplémentation.
Pourquoi ne pas avoir pris, par exemple, un antidouleur avant la finale plutôt qu'une infiltration de corticoïdes ?
Je ne m'y connais pas vraiment en antidouleur mais l'infiltration contribue à réduire l'inflammation, tandis qu'un antidouleur comme le Tramadol ne fait que masquer la douleur.
Connaissez-vous les risques potentiels d'une telle infiltration ? Le médecin du club vous en a-t-il parlé avant ?
Je sais qu'on ne peut pas en faire de manière hebdomadaire, je me doute qu'il y a une limite de deux, peut-être, par saison, mais je ne suis pas médecin. Je connais les risques inhérents aux corticoïdes mais pas non plus dans le détail, les conséquences à long terme et tout ça, c'est pourquoi je fais confiance au médecin pour prendre la bonne décision.
Dans le cyclisme, le règlement concernant les infiltrations de corticoïdes interdit la reprise de la compétition dans les huit jours. Pensez-vous que ce serait une bonne règle à appliquer au rugby, meilleure pour la santé des joueurs ?
Je ne connais pas suffisamment les corticoïdes pour donner mon avis. Je ne sais pas. (…) Je ne connais pas suffisamment les détails médicaux autour des corticoïdes pour pouvoir prendre une décision éclairée sur le sujet. Encore une fois, je fais confiance à mon médecin.
Certains docteurs estiment que, bien que légales, ces infiltrations sont une forme de dopage car elles vous permettent de jouer alors que vous êtes blessé. Qu'en pensez-vous ?
Qu'il faut faire confiance à l'Agence mondiale antidopage, et c'est ce que je fais. Si vous êtes dans les règles, vous n'êtes pas dopé.
Cette affaire peut-elle peser dans votre décision de poursuivre votre carrière en France ?
Cela ne change rien à mon contrat avec le Racing. Je suis très content des procédures qu'ils ont suivies et de la façon dont ils m'ont soutenu. Pour la suite, après 2018, je n'y ai même pas pensé. C'est dans un an qu'il me faudra décider de mon avenir. Pour l'instant, j'aime ma vie en France, c'est un endroit formidable, et le Racing est un club formidable.
Une impression de légèreté
Il n'est pas sûr que l'interview que Dan Carter nous a accordée éteigne le débat sur l'utilisation des corticoïdes. L'ouvreur du Racing 92 n'a certes pas enfreint les règles antidopage, comme l'a confirmé la commission de lutte contre le dopage de la Fédération française de rugby. Mais l'impression de légèreté qui entoure le traitement de Carter interroge sur le caractère routinier des infiltrations chez le club champion de France – de 60 à 80 par saison, selon l'entraîneur adjoint, Ronan O'Gara.
Ainsi, Carter a-t-il bénéficié d'une infiltration au genou droit six jours avant la finale du Top 14 pour, selon ses termes, " une petite inflammation " constatée au lendemain de la demi-finale. Carter était resté sur le terrain jusqu'au bout de la prolongation – cent minutes de jeu –, offrant la victoire d'une transformation, à une minute du terme.
Après deux jours hors des terrains mais marqués par des exercices dans la piscine, des massages, des étirements et de la cryothérapie, il s'entraînait de nouveau. Quatre jours après, il remportait une finale de très haut niveau. Un calendrier à comparer aux huit jours de repos qu'impose l'Union cycliste internationale après une infiltration de corticoïdes.
Confiance absolue
Aurait-il pu jouer sans cette infiltration ? Lui ne s'est pas posé la question. A-t-il bénéficié d'un traitement à base de corticoïdes uniquement parce qu'il s'agissait d'une finale ? Non, nous a-t-il répondu en souriant, renvoyant à une infiltration subie pendant la saison régulière. Le club nous précisera plus tard qu'il s'agissait de mésothérapie, un traitement à base d'anti-inflammatoires non stéroïdiens, à l'inverse des corticoïdes.
C'est peut-être là le plus stupéfiant : comme il l'a répété à de nombreuses reprises, Dan Carter place une confiance absolue dans le médecin du Racing – ou s'abrite derrière lui. Lors de l'entretien, il ne s'est d'abord pas souvenu avoir signé la fiche de consentement réglementaire avant ses infiltrations. Il l'a signée, a ensuite certifié le club puis… le joueur lui-même. Il n'a pas demandé à bénéficier de ce traitement décrit par les médecins du sport comme un dernier recours, c'est le médecin qui l'a lui-même proposé, assurant qu'il ne savait même pas que les corticoïdes pouvaient être administrés d'une autre manière.
La légende des All Blacks semble authentiquement surprise par la polémique. Dan Carter ne cache d'ailleurs pas avoir subi une infiltration de corticoïdes dans la semaine précédant une demi-finale de la Coupe du monde 2015, et, comme il le dit lui-même : " Quand il y a une solution possible qui ne sort pas du cadre des règles antidopage, ce serait stupide de ne pas s'en servir. "