Mort de Jean Cormier, un guerrier de la nuit
Publié le mardi 18 décembre 2018 à 06:15 par PM Bonnot dans l'Equipe
Avec Jean Cormier, grand reporter au « Parisien », écrivain, réalisateur, tonitruante et chaleureuse figure de l'Ovalie, décédé à soixante-quinze ans, c'est un peu de l'âme du rugby qui s'est éteint hier.
S'il fallait résumer la vie d'un homme à un objet, celle de notre confrère Jean Cormier, décédé hier des suites d'un cancer de la prostate, pourrait être tout entière contenue dans son carnet d'adresse. C'était un objet épais comme une nuque de pilier basque, rafistolé de chatterton, débordant de pages surnuméraires, débraillé et un peu avachi d'avoir tant bourlingué et qui finit par se perdre une nuit plus longue que les autres.
Jean Cormier est mort
Mais ce carnet d'adresses racontait cinquante ans de curiosité journalistique et de chaleur humaine sans égale, de sens de la fête et du partage. Il racontait aussi la simplicité des rapports autrefois partagés entre sportifs et journalistes autour d'une même passion, l'incomparable faculté de son propriétaire à attirer la sympathie au premier contact et puis aussi, bien sûr, son goût des nuits sans fin au coeur de Saint-Germain-des-Prés et du Pays basque, son pays de cocagne.
Celui de Chachi Eyéraguibel, sa mère tant choyée, dont il expliquait dans Alcool de nuit, recueil de textes écrits à trois mains avec Antoine Blondin et Roger Bastide, son mentor en journalisme : « Cette dame qui aimait tant la fête [...] m'a passé comme un ballon doré cette passion de l'autre qui anime et adoucit mon temps terrestre ».
Alors bien sûr, Jean Cormier, c'est une carrière de reporter immense. Entré au Parisien Libéré à vingt ans comme pigiste en 1964, il a couvert plus de cinquante ans de l'histoire du rugby, mais aussi du Tour de France et des Jeux Olympiques d'une plume alerte et spontanée.
« La Corme », comme toute l'Ovalie l'appela toutes ces décennies durant, était déjà là en 1966 pour servir de traducteur entre dirigeants de la FFR et police galloise, au soir de la formidable bagarre de rue qui avait opposé Dauga, Cester et les frères Boni à une patrouille de bobbies un soir de défaite à Cardiff et il bavardait encore en portugais avec le pilier Cedate Gomes Sa lors du dernier Tournoi.
Il était parmi les premiers à tenter de porter secours à Tom Simpson agonisant sur les pentes du Ventoux en 1967 et le dernier à fermer le Sunny Side de la rue Princesse au terme des interminables agapes qui avaient suivi le premier Grand Chelem en 1968.
Il était chaleureux et attentif avant d'être obnubilé par la prospérité de sa signature
Il était l'un des seuls journalistes à avoir pénétré, vêtu d'un survêtement de l'équipe de France que lui avait prêté le lutteur Daniel Robin, dans le village olympique assiégé à Munich en 1972 et encore présent au Jeux de Londres pour le simple plaisir de passer quelques jours chez l'international anglais Chris Ralston, un vieux pote parmi la vaste confrérie des vieux potes qui à travers le monde nous ont un jour lâché « Ah, vous êtes français ? Journaliste ? Alors vous connaissez Cormier ! »
Jean Cormier, tenez, c'est encore celui qui aida le quinze de France à échapper à la cuillère de bois en 1982 en cornaquant à quarante-huit heures du match au coeur de la nuit germanopratine le capitaine irlandais Fergus Slattery et son complice Willie Duggan avant que ce dernier ne déclare forfait après s'être cassé la main dans une bagarre avec des chauffeurs de taxi. Et c'est aussi celui qui nous avait épatés un jour de juin 1980 à Roland-Garros, en enjambant le muret de la tribune présidentielle pour se retrouver bientôt seul dans les vestiaires en compagnie du kiné et de Yannick Noah qui venait de se blesser face à Jimmy Connors en huitièmes.
Aux côtes de Pieter de Villiers. (CLEMENT / L'EQUIPE)
Par soif du scoop ? Même pas. Juste par curiosité journalistique, car Jean Cormier était soucieux de l'autre avant d'être journaliste, chaleureux et attentif avant d'être obnubilé par la prospérité de sa signature et surtout infiniment ouvert sur le vaste monde où la fraternité du rugby lui tint souvent lieu de passeport.
Biographe de Che Guevara qui y avait joué et des plus grands chefs français, réalisateur de documentaires sur les indiens d'Amazonie, complice de Jean Castel, de Carlos comme de Pierre Barouh, fin connaisseur du Brésil et de Cuba mais aussi créateur du fraternel « Marathon des leveurs de coude » de Saint-Germain-des-Prés, il laisse ce matin toute une humanité qui, de Jean-Pierre Rives à Mathieu Bastareaud, son confident du Sous Bock, de monseigneur Laffont, le ci-devant « curé de Soweto », à Alain Dutournier ou Guy Savoy, de Pierre Dospital, son berger en Pays basque à Denis Lalanne, notre estimé confrère, de Graham Mourie, prestigieux capitaine des All Blacks, à tous les joueurs de rien avec lesquels il a un jour trinqué, a senti une page de l'histoire du sport se tourner en apprenant sa mort.
À tous ceux-là ainsi, bien sûr, qu'à sa fille Jennifer et à Marie-Paule, son épouse, L'Équipe adresse ses condoléances désolées.
Modifié par JB 03, 19 décembre 2018 - 13:10 .