Ode aux dieux de l'ovalie, tel pourrait être le titre d'une saison rugbystique qui s'est achevé samedi soir de la plus paradoxale des manières et qui a vu l'ASM conquérir le troisième brennus de son histoire,
Au terme d'un match totalement fou, les auvergnats ont coiffé sur le poteau des Rochelais qui ont vécu et perdu leur seconde finale successive
Tout avait pourtant idéalement commencé pour des maritimes revanchards qui dès le coup d'envoi s'étaient installés avec détermination dans les 22 adverses. A la suite d'un maul, ils récupéraient la balle à 15 mètres de l'en but et deux percussions rageuses permettaient à leur seconde ligne d'inscrire le premier essai de la partie, essai qui était transformé, permettant aux Rochelais d'inscrire les 7 premiers points de la rencontre,
Sur la remise en jeu, un coup de pied imprécis précipitait le ballon en touche directe et offrait aux charentais une mêlée au centre du terrain
Cette dernière à peine jouée s'écroulait et l'arbitre de la rencontre pénalisait aussitôt la première ligne auvergnate, alors que tout laissait à penser que cette pénalité serait bottée en touche, le demi de mêlé rochelais s'emparait du ballon et décidait de là jouer rapidement à la main, cette inspiration soudaine débouchait sur l'une des plus belles actions du match, action durant laquelle pas moins de douze maritimes touchèrent le ballon ce qui permit à leur trois quart aile de se retrouver démarqué
le long de la touche et de prendre de vitesse une défense auvergnate coupable en l’occurrence d'une certaine passivité
Débarrasé de tout défenseur, l'ailier s'offrit le luxe d'aplatir son essai au pied des poteaux, facilitant une transformation qui donnait alors 14 points d'avance aux jaunes et noirs
A ce moment du match, si les rochelais semblaient marcher sur l'eau, il en allait bien autrement pour des montferrandais amorphes qui semblaient être pétrifiés par l'enjeu de la rencontre, incapables de s'organiser, lents dans leurs replacements, ils multipliaient les maladresses et semblaient résignés à n'être que les faire valoir d'un club de champion et cette impression bien terne se confirmait lorsqu'à quarante mètres de leur en but ils subissaient une interception qui permettait aux charentais d'inscrire leur troisième essai après seulement 19 minutes de jeu
Si l'essai n'était pas transformé, le score enflait tout de même à 24 – 0
Et les cinq minutes qui suivirent n'allaient rien arranger aux affaires clermontoises puisque le troisième ligne centre auvergnat était logiquement expulsé pour un placage jugé dangereux
10 minutes d'infériorité numérique que La Rochelle mettait à profit pour ajouter deux nouvelles pénalités et porter le score à 30 – 0
La messe était dite et ne restait qu'à patienter une quarantaine de minutes pour assister au premier sacre rochelais, puisque ni les commentateurs, ni les spectateurs ne doutaient plus de l'issue du match
Il me plairait d'être un insecte pour avoir une idée précise de ce qui s'est passé dans les vestiaires clermontois durant les dix minutes de la mi-temps,,,
Incantation ?, Colère ?, Prière ?, Peur du ridicule ?
Qu'importe au fond la réponse à cette interrogation, ce qui allait suivre sur le terrain était tout bonnement inimaginable,,,
Dans les contes, le gentil tue le méchant et tout finit au mieux, mais en général la vie n'est pas un conte, le sport non plus et personne en France (auvergne comprise) n'aurait cru que cette équipe moribonde allait trouver une âme qui allait la métamorphoser, la sortir de cette indolence affichée quarante minutes durant
Sur le coup d'envoi clermontois, le trois quart aile auvergnat chipait la balle au nez et à la barbe de la seconde ligne rochelaise, sur un pas il adressait le ballon au trois quart centre lequel tel un fou furieux s'enfonçait dans la défense adverse pour n'être repris qu'à 10 mètres de l'en but, s'en suivait un maul à l'issu duquel la balle allait du demi de mêlé au demi d'ouverture, lequel d'un coup de pied décroisé trouvait son ailier qui aplatissait en coin, La transformation du bord de touche s'avérait difficile et dans un premier temps le ballon semblait devoir sortir du cadre avant de rectifier mystérieusement sa trajectoire pour terminer son improbable course bien au centre des deux perches, 30 à 7 et nul ne savait encore que cet essai n'était que le prémisse d'un incroyable retournement de situation,
3 minutes plus tard, donc à la quarante huitième minutes, alors que les rochelais installés sur la ligne des cinq mètres adverse semblaient devoir inscrire un nouvel essai, la longue passe de leur trois quart était intercepté par l'ailier clermontois qui allait s'offrir une cavalcade de 80 mètres qui mérite d'être contée
Droit et plus altier que les trotteurs du dimanche, il s'enfonçait dans le boulevard désert qui lui tendait les bras poursuivi par deux défenseurs rochelais qui pensaient encore pouvoir l'arrêter et c'est ce qui faillit se produire à 50 mètres de la terre promise lorsque l'un des défenseurs se détendit pour plaquer le trois quart jaunard, mais ce dernier mû par la volonté d'y croire refusa de tomber, tangua quelques mètres, faillit sortir en touche, puis de manière inexorable il reprit sa course en avant pour aller s'écrouler ivre de fatigue entre les poteaux rochelais, cette action fut peut-être le point de bascule de la rencontre,
Car à partir de ce moment là, les auvergnats devinrent mythiques tel des enfants chéris par le dieu de l'ovalie et ce furent alors les minutes les plus folles que le rugby n'est jamais produit, Exit, les gallois des années 70, exit Campese, Blanco et tous les funambules de ce noble sport, rétrogradés par un hourra rugby, par une frénésie à faire se lever tous les stades de la terre
Une farandole de passes, des relais en cascade, une volonté de faire vivre le jeu jusque l'outrage et soudain l'art du sport touché par la grâce avec à la clef trois essais supplémentaires sur des actions construites, élaborées par un collectif subjugué et venant chercher un Graal bien mérité
Pour l’anecdote on retiendra que le dernier essai fût inscrit à la 79éme minutes, mais samedi soir l'essentiel n'était pas dans le score finale, mais dans une idée de ce jeu dont mon vieil ami Jeremy Spencer disait sans cesse « il n'est pas de plus bel océan que ce carré vert où la voix des hommes jetée aux vents ressemble à s'y méprendre à la voix des âmes jetées au temps »
