Ces derniers mois, c'est son mari, Jalil, qui exprimait la voix de la famille Narjissi dans les médias. Début juillet, nous avons contacté ce dernier afin de savoir s'il accepterait de proposer à son épouse de nous rencontrer. « Il faut qu'elle le fasse, oui, pour Medhi, nous a-t-il aussitôt répondu, je vais le lui demander. » Le 14 juillet, nous les avons retrouvés tous les deux à quelques kilomètres d'Agen, dans la maison d'un ami où ils venaient de passer la nuit afin de s'éloigner des festivités de la veille.
Aux côtés de son mari, Valérie Narjissi a trouvé la force de prendre la parole et de répondre à nos questions, malgré l'infinie douleur et les larmes apparues dès le début de notre discussion. « C'est comme ça tout le temps, nous dit-elle, en réponse aux excuses que nous lui formulons. Il me manque quelque chose, donc c'est normal. Quand je vois tout ça, c'est dégueulasse. »
Deux jours auparavant, Arnaud Dupin, l'avocat de Stéphane Cambos, le manager de l'équipe de France des U18 en 2024, mis en examen après la disparition en mer de Medhi Narjissi lors d'un stage en Afrique du Sud, avait pris la parole dans les colonnes de Sud-Ouest. Il venait de déposer une requête en nullité devant la chambre de l'instruction aux fins d'annulation de la mise en examen de son client. « Stéphane Cambos est meurtri par le fait de ne pas avoir parlé à la famille », déclarait l'avocat, affirmant à nouveau que la Fédération française de rugby l'en avait empêché.
« Vous disiez, tout à l'heure, que cela vous avait fait mal de lire l'interview de l'avocat de Stéphane Cambos...
Bien sûr que cela me fait mal de voir qu'ils n'assument toujours pas. Ils veulent se défendre, ils sont là à dire qu'ils ne sont pas responsables. C'est... Je ne veux plus l'entendre. C'est trop. On entend ça depuis le début. Au bout d'un moment, il faut changer de disque. Notre fils, nous, il n'est plus là. Et dans des conditions... (elle ne finit pas sa phrase). On y pense tout le temps.
Quand l'avocat de Stéphane Cambos affirme que son client aurait aimé vous appeler...
C'est facile de dire des choses pareilles. Il fallait le faire, c'est tout. Les remords, c'est trop facile. Mais franchement, est-ce qu'il a vraiment pensé à le faire ? Je n'y crois pas trop.
Comment ça va, aujourd'hui ?
Très mal.
Il n'y a pas un jour qui passe sans que...
Pas une minute.
La colère que vous aviez exprimée il y a quelques mois, elle...
(Elle enchaîne à nouveau avant la fin de la question.) Elle est toujours là, voire pire. Parce que moi, tous les jours, je souffre de ne pas voir mon fils, de ne pas l'embrasser. Je souffre de me rappeler comment je l'ai laissé partir. Je m'en veux. Quand on lit les conditions dans lesquelles tout cela s'est passé, ça fait mal. Très mal.
Avez-vous réussi à reprendre le travail ?
Non. C'est impensable. Comment pourrais-je m'occuper des enfants des autres alors que je n'ai pas su m'occuper du mien ? (Valérie Narjissi est aide-auxiliaire dans une crèche.)
Comment la famille résiste-t-elle ?
On résiste pour Medhi. Pour que la vérité soit faite, que la vérité soit dite, pour que tous les coupables soient jugés. Il ne faut pas qu'il y en ait un seul qui s'échappe. Ce n'est pas possible.
« Ce qui me hante, c'est d'avoir fait confiance à la Fédération en pensant qu'ils étaient rigoureux, que tout était carré. Alors que c'est tout l'inverse »
Aujourd'hui, le préparateur physique et le manager général de l'équipe se déchirent. Le second dit qu'il avait interdit cette baignade, le premier affirme que c'est faux. Il y en a forcément un qui ne dit pas la vérité...
Déjà, je pars du principe qu'il y en a deux, certes, qui ont été mis en examen, mais qu'ils étaient plusieurs sur cette plage. J'ai l'impression d'être dans une grande cour de récréation : "C'est pas moi, c'est toi, je vais me faire taper sur les doigts." On parle quand même d'encadrants qui ont regardé mon fils se noyer sans bouger. Ils étaient là, à quelques mètres, et ils n'ont pas bougé. Nous, on imagine la scène, on imagine Medhi en train d'espérer qu'on vienne le sauver. Ce sont des lâches. Je n'ai pas de mots. Dès que j'y pense, cela me donne envie de vomir.
Vous vous êtes rendu sur place, l'été passé...
L'endroit fait peur. C'est de l'irresponsabilité totale. Ce n'est pas parce qu'il y avait du soleil ce jour-là qu'il n'y avait pas des vagues de cinq mètres. Et ils ont mis les gamins dans l'eau ! Ils les auraient mis, leurs gamins, dans l'eau ? C'est insensé. Vous savez, ce qui me hante, c'est d'avoir fait confiance à la Fédération en pensant qu'ils étaient rigoureux, que tout était carré. Alors que c'est tout l'inverse. C'est une accumulation de manquements, avec des enfants mineurs. Ils n'avaient pas à mettre un pied dans l'eau. Les années précédentes, jamais les enfants n'étaient allés se baigner sur cette plage. Jamais. C'est la décision d'une personne (le préparateur physique), et tout le monde dit : "OK, on y va, on laisse les gamins jouer." C'était un bain de récup, paraît-il. Ce n'est pas possible de faire ça à cet endroit-là. Il y avait des piscines à l'hôtel ! Je ne sais pas ce qui leur est passé par la tête. C'est de l'inconscience pure et dure.
Il y a au moins un adulte qui a dit aux enquêteurs que certaines règles n'avaient pas été respectées par les enfants. Qu'en penses-vous ?
Il n'y a pas d'enfants dans l'eau si tous les adultes n'y sont pas, c'est tout. C'est quand même la base de l'encadrement.
Votre mari disait, il y a quelques mois, que très peu de parents vous avaient contactés. Depuis, avez-vous eu des nouvelles ?
Sur cela, je n'aurai pas grand-chose à dire à part que moi, je n'aurais pas réagi comme ça.
Est-ce que vous avez pu discuter avec certains enfants, comme Noah Tinnirello, qui était très proche de Medhi ?
On a discuté un petit peu avec lui, oui, à son retour. Il nous a dit ce qu'il s'était passé, avec sa vérité. Tout l'inverse de ce qui a été dit.
C'est-à-dire ?
Qu'en fait, il n'y avait pas de consigne, pas de cadre.
« Tous ceux qui étaient au bord de l'eau sont responsables. Au lieu de dire que ce sont les enfants qui n'ont pas écouté
Vous partez le 1er août pour vous rendre sur les lieux du drame. Comment appréhendez-vous ce voyage ?
Compliqué. Mais on se doit de le faire. Pour voir Medhi, vu qu'on n'a rien... (Elle parle du corps de son fils qui n'a pas été retrouvé.) On va lui rendre hommage, en posant une stèle. On se raccroche à ça.
Comptez-vous aussi déposer plainte, là-bas, contre l'organisateur du voyage ?
Oui. En tant que maman, je veux que tout le monde soit tenu responsable. Celui qui a préparé le séjour aurait dû s'opposer. C'est son métier. Tous ceux qui étaient au bord de l'eau sont responsables. Au lieu de dire que ce sont les enfants qui n'ont pas écouté.
La tenue d'un procès, ce serait évidemment capital pour vous...
Il faut qu'il y ait vérité et justice pour Medhi. Nous, on a pris perpétuité. Cela ne nous le ramènera pas. Mais eux, ils ne peuvent pas s'en sortir. C'est impossible.
Il y a eu deux mises en examen...
La justice fait son travail. Elle le fait rapidement, on trouve, même si ce n'est pas assez pour nous. Mais je fais confiance.
« Je ne veux pas qu'il soit oublié
À la maison, Medhi avait sa chambre, bien sûr. C'est compliqué, on imagine...
C'est figé. Tout est figé. On rajoute des petites choses, des petits mots que l'on reçoit. Tous les matins, je vais lui faire un bisou sur sa photo (une grande photo de lui sur un tableau posé sur son bureau). Tous les soirs également. On en est là.
Et pour sa soeur ?
C'est très difficile. On prend soin l'une de l'autre. On s'écoute. On discute comme on peut et voilà.
Il y a eu beaucoup d'hommages depuis un an. Comment les avez-vous vécus ?
Les hommages ont tous été très bienveillants envers l'enfant qu'il était. C'était un enfant plein de vie, qui aurait dû briller dans sa vie, dans le rugby, tout ce qui était si bien parti. Tout ce qu'ils nous ont pris, tout ce qu'ils lui ont pris. Je ne veux pas qu'il soit oublié.
On dit souvent, par facilité, face au malheur, que la vie continue.
Non (silence). On survit. C'est tout. »








