Paroles d'ex - Walter Spanghero : « J'aurais aimé jouer avec les All Blacks »
Figure légendaire du rugby français et international (51 sélections), l'ancien deuxième et troisième-ligne narbonnais avoue s'être imaginé néo-zélandais, pour porter le maillot à la fougère argentée.
« Quel est l'adversaire qui vous a le plus marqué ?
Le joueur exceptionnel, tu le retrouves dans les grandes équipes. Chez les All Blacks, il y avait Colin Meads, au milieu d'un paquet d'avants de très grande qualité. Il ne faut pas que j'oublie Frik du Preez avec les Springboks et Mike Campbell-Lamerton avec l'Ecosse. Il y a aussi le demi de mêlée gallois Gareth Edwards et son coéquipier, le pilier Graham Price... Ces joueurs-là m'ont marqué, oui, même si, quand j'entrais sur le terrain, je ne faisais pas vraiment attention à mes adversaires. Dans mon esprit, un joueur de rugby doit être bon avant, pendant et après le match : c'est un tout. Et celui qui avait toutes ces qualités, c'est Christian Carrère (capitaine de l'équipe de France victorieuse du Grand Chelem en 1968, aussi vainqueur en 1967 et 1970). Mais bon, puisqu'il faut choisir, je dirais Frik du Preez, capable de jouer deuxième et troisième-ligne. Un joueur complet, rapide, dur au mal, et qui ne faisait jamais un voyage à vide...

Quel est le partenaire avec lequel vous avez eu les meilleures affinités dans le jeu ?
Je pense à Max Barrau. Il a été extraordinaire sur certains matches. On s'entendait bien. Il avait le sens du jeu, le placement, le coup de reins... Antoine Dupont lui ressemble beaucoup. Ils sont du même calibre. À cause d'Albert Ferrasse (agenais et président de la FFR de 1968 à 1991), Max n'a pas eu la carrière internationale qu'il méritait (après avoir quitté Agen au bout d'une saison, en 1974, pour revenir à Beaumont-de-Lomagne, il a écopé de 18 mois d'interdiction d'évoluer sur les terrains de Première Division).
« La première fois en équipe de France, c'est quelque chose qui marque à jamais. J'ai eu la chance de pénétrer sur le terrain encadré par mes deux idoles de l'époque, André Herrero et Michel Crauste »
Quelle est la combinaison de jeu que vous n'avez jamais comprise ?
À mon époque, il n'y avait pas d'entraîneur : il y avait des hommes de terrain. Un jour en 1973, avec l'équipe de France, avant d'affronter les All Blacks au Parc des Princes (13-6, en février), on s'entraînait depuis une heure à faire des espèces de mauls : on tenait le ballon et on partait au ras, des trucs qu'on faisait à Béziers et à Narbonne... Et là, j'entends quelqu'un hurler : "Stop ! Qu'est-ce que vous faites ? Ce n'est pas bon du tout, ça. Vous n'allez pas faire comme ça... Toi, Walter, tu arrives à tenir le ballon parce que tu as de grosses mains, mais les autres..." J'ai cru qu'il se foutait de ma gueule (rires). C'était Michel Celaya (qui a accompagné des tournées du XV de France comme entraîneur, à la fin des années 1960 et dans les années 1970).
En dehors du XV de France, quelle est l'équipe au sein de laquelle vous auriez aimé jouer ?
Si j'en avais eu la possibilité, j'aurais aimé jouer avec les All Blacks. Je suis un amoureux fou des animaux et de la terre, et là-bas, ce n'est pas ce qui manque... C'est la campagne, le rugby et rien d'autre ! Question jeu, les All Blacks, à mon époque, étaient bien organisés, avec d'excellents joueurs à tous les postes : il y avait matière à s'exprimer, à se mettre en valeur. Parce qu'un seul joueur, sur le terrain, il ne peut rien faire : il faut autour de lui quatorze gars exceptionnels. Et j'ai connu ça lorsqu'on a gagné le Tournoi en 1968 et qu'on a remporté la tournée en Australie en 1972 avec l'équipe de France.

Quel est votre meilleur souvenir, tous matches confondus ?
Il y en a beaucoup (sourire). C'est difficile, comme question (silence). Mais tous ceux qui ont porté le maillot de l'équipe de France vous le diront certainement, la première fois, c'est quelque chose qui marque à jamais ! Pour moi, c'est en Afrique du Sud, en 1964. J'ai eu la chance de pénétrer sur le terrain encadré par mes deux idoles de l'époque, et qui le sont restés après : André Herrero et Michel Crauste. On a battu les Springboks (8-6) et ça m'a semblé être un bon départ.
« Mes parents, ça les embêtait un peu que je dispute des matches parce que souvent, le lundi, j'arrivais à la ferme un peu fatigué et mon père se demandait comment il allait faire pour s'occuper de l'étable »
Qui vous a remis votre premier maillot ?
À l'époque, ça ne se faisait pas. Il était pendu à une des patères du vestiaire. Ce maillot, quand je l'ai enfilé, j'ai tout de suite pensé à mes parents et à mon club, Narbonne. Pour mes parents, c'était une fierté. Et pour mon club aussi. Au tout début, à Narbonne, on m'a fait confiance en me titularisant en équipe première, ce qui m'a permis de progresser. Ce match, à Springs, n'était pas télévisé et mes parents ne l'ont jamais vu. À mon retour, ils m'ont interrogé sur le pays, le Kruger Park, les animaux sauvages, mais pas sur le rugby... De toute façon, il n'y avait pas grand-chose à dire d'autre que l'engagement monstrueux que tout le monde avait mis sur le terrain... À l'époque, nos parents ne se souciaient pas trop du rugby : leur truc, c'était de se lever à six heures du matin pour traire les vaches et sortir le fumier. Ça les embêtait que je dispute des matches parce que, souvent, le lundi j'arrivais à la ferme un peu fatigué ou avec une côte en travers, et mon père se demandait comme il allait faire pour s'occuper de l'étable...
Quel est le match que vous aimeriez effacer de votre carrière ?
C'est la finale. Contre Béziers. En 1974 (avec Narbonne). C'est la plus grosse désillusion de toute ma vie. D'autant qu'on doit la gagner (défaite 16-14). Mais on la perd parce qu'on n'a pas été bons : on avait des points à marquer et on ne l'a pas fait. Dans des matches comme celui-là, tous les points sont bons à prendre et contre Béziers, on a laissé passer beaucoup de points : des buts de pénalité loupés, une occasion immanquable d'essai derrière un fond de touche, une passe oubliée dans l'euphorie... Nous n'avons pas su marquer quand il le fallait. Les Biterrois, eux, chaque fois qu'ils entraient dans nos vingt mètres, ils marquaient. Ils avaient l'habitude des finales, ce qui n'était pas notre cas.
Y a-t-il un fou rire mémorable dont vous vous souvenez ?
J'ai plutôt envie de vous parler du joueur avec lequel j'ai le plus rit, et c'est Jean Gachassin. Il était impossible à suivre en troisième mi-temps... C'était un cas à part, il n'y a aucun doute là-dessus. Et on ne peut pas énumérer tous les coups pendables qu'il nous a faits (rires).
« Je suis monté sur un fond de touche pour exploser (Patrice Péron) mais il s'est baissé et je me suis cassé la main sur son genou : cinq fractures, et l'os qui sortait »
Quelle a été la plus grosse bagarre à laquelle vous avez participé ?
Oh ! il y en a eu d'énormes. Je pense à un match disputé à Cassayet (l'ancien stade de Narbonne) face au TOEC. C'était en 1965. Chez eux, au match aller, avec Narbonne on avait gagné mais ces mecs, ils nous avaient assassinés... Et puis est arrivé le match retour ! Et là, ils ont fait le tour du terrain en courant et ils ont pris cinquante pions : on leur a mis une drôle de séance... Il y avait aussi des déplacements à Brive, à Dax et à Toulon. À chaque fois, j'ai chargé grave, la main ouverte ou les côtes cassées après avoir pris un coup de godasse. Il ne fallait pas tomber...
Clubs : Narbonne (1961-1975), Stade Toulousain (1975-1977).
51 sélections en équipe de France.
Vainqueur du Grand Chelem (1968), du Tournoi en 1967 et 1973.
En club : Challenge Yves-du-Manoir 1968, 1973 et 1974.
Quelle est l'anecdote que vous n'avez jamais racontée ?
J'étais spectateur d'un quart de finale entre Toulon et Dax dans les années 1960. Ça commence tête contre tête dès la première mêlée. Un pilier tombe par terre. Il sort du terrain, le soigneur lui passe un coup d'éponge sur le front et il revient en jeu. Deuxième mêlée et encore tête contre tête ! Son vis-à-vis tombe à son tour par terre... Ça sentait la poudre. Troisième mêlée, toujours tête contre tête et les deux tombent ensemble. Alors l'arbitre les expulse... Les voilà qui sortent, lentement, côte à côte. Et quand ils passent devant moi, (André) Berilhe (pilier de Dax) dit à Aldo (Gruarin, pilier international de Toulon) : ¨On commençait à s'amuser et ce gros con, il nous fout dehors !¨
Quelle a été votre plus grosse colère ?
Jamais je ne me suis mis en colère. En revanche, avant les matches, il m'arrivait de motiver mes coéquipiers et de monter un peu dans les tours (sourire). Sur le terrain, je me souviens d'un joueur du Racing-Club de France, Patrice Péron, qui avait étendu Jo Maso et Lucien Pariès. Celui-là, je voulais me le chercher ! Je suis monté sur un fond de touche pour l'exploser mais il s'est baissé et je me suis cassé la main sur son genou : cinq fractures, et l'os qui sortait. J'ai disputé tout le reste du match dans cet état, et puis le soir, au comptoir, on s'est retrouvé bras dessus bras dessous... Mais autrement, des colères, non, jamais. »
Opéré une première fois de la hanche droite en 2017, il a subi début 2020 douze opérations consécutives afin d'implanter une prothèse. Il devait séjourner trois jours à l'hôpital pour une ponction : il y est resté onze mois, isolé, sans bouger, victime de multiples infections et allergies. La dernière opération a duré quatre heures et demie et « mon coeur a failli lâcher deux fois », avoue-t-il. La cicatrice qu'il arbore va sur 55 centimètres du bas du dos au genou ; il a perdu vingt-deux kilos et remarche avec des béquilles, mais ne cesse pas pour autant de travailler.
« Le boulot, c'est comme l'essence dans un moteur, dit-il. Je ne peux pas rester sans travailler. Ma rééducation va durer deux mois, oui davantage mais je marche avec des cannes, et de mieux en mieux. Mon secrétariat m'envoie tous les documents et j'ai l'impression que je n'ai jamais arrêté de travailler. Je prends beaucoup de plaisir à développer les affaires. Presque autant que j'en ai pris à jouer au rugby. »