Ce n'est pas une charnière manifeste, de celle qui aurait marqué l'histoire du Quinze de France. Elle a plutôt été furtive. Et pourtant, elle apparaît d'une grande évidence car elle concerne deux des plus grands joueurs, à ces postes, de leur époque. Surtout, elle s'avère d'un grand naturel quand on les écoute parler l'un l'autre, évoquer leurs souvenirs. Car Richard Astre et Jean-Pierre Romeu possèdent une longue histoire commune.
Astre constituait certainement le demi de mêlée le plus brillant des années 1970 avec Max Barrau ; Jean-Pierre Romeu était également le meilleur à l'ouverture. Cette charnière aurait donc pu connaître de nombreuses sélections. C'est du reste ce qui s'est passé durant toute leur jeunesse, Astre-Romeu, tous deux nés en 1948, c'était la charnière de leur génération. Ils formaient le numéro 9 et le numéro 10 de l'équipe de Midi-Pyrénées en Coupe Taddéï, ce qui, dans le rugby des années 1970, signifiait énormément. C'était un comité qui comptait autant de joueurs que l'Écosse.

Richard Astre n'était pas encore biterrois, il jouait à Toulouse, au TOEC, avec Jean Salut et Élie Cester. Jean-Pierre Romeu, né à Thuir, évoluait à Carmaux où il avait travaillé à la mine. C'est ainsi qu'après les cadets, ils ont continué à jouer ensemble en équipe de France juniors, puis sont entrés, bras dessus, bras dessous, pour faire leur service militaire au Bataillon de Joinville, qui représentait alors l'élite absolue du sport français. C'était en fait la seule entité où les meilleurs d'une discipline avaient accès au professionnalisme.
« Pour la première fois de nos vies, on s'entraînait tous les jours », raconte Astre. « Le vendredi soir, on prenait ensemble le train de nuit gare d'Austerlitz. Richard s'arrêtait le matin à Toulouse, moi, j'avais encore une heure de trajet. » Les deux hommes s'entraînaient ensemble la semaine et s'affrontaient parfois le week-end. « Avec le Bataillon, on a été invaincus durant toute cette année-là », assure Astre.
« Notre entente était excellente, jouer avec Richard, c'était du pain bénit »
Jean-Pierre Romeu
« Notre entente était excellente, rappelle Romeu. Avec Richard, on jouait les yeux fermés. On s'entendait bien dans la vie. Oui, jouer avec Richard, c'était du pain bénit. » Pourtant, ces deux-là n'auront pas la carrière en bleu que leur talent et l'histoire leur promettaient. Astre connaît sa première sélection en équipe de France le 11 décembre 1971 face à la Roumanie (31-12).
Jean-Pierre Romeu débute sa carrière en Bleu à l'occasion de cette même affiche crépusculaire (le match avait lieu chaque année au coeur de l'hiver), mais en 1972, le 26 novembre (15-6 pour les Français), alors qu'il vient de signer à Clermont. « On me proposait d'entrer chez Michelin. »« Signer dans un club était alors un acte fort, rappelle Astre, car, en général, à cette époque, c'était pour la vie. » D'autant qu'il y avait alors la règle de la licence rouge, une interdiction de jouer pendant un an quand on quittait un club. Ce qui fut le cas de Romeu lors de la saison 1968-1969 au nom de cette absurdité réglementaire.
« Avec Fouroux, on avait une façon différente d'exercer notre capitanat »
Richard Astre
Astre s'engage à Béziers, club avec lequel il va dominer le rugby français durant dix années puisqu'il va remporter le Championnat de France à six reprises (1971, 1972, 1974, 1975, 1977 et 1978). Cela ne suffira pourtant pas pour l'associer durablement à Jean-Pierre Romeu au sein du Quinze de France. Un petit demi de mêlée d'Auch va venir occuper cette place grâce non pas à sa passe incertaine, mais à son charisme, son tempérament, sa faconde, son emprise sur les avants : Jacques Fouroux.
« Jacques était moins doué que Richard, convient Romeu. Mais il avait pris l'ascendant psychologique sur le Quinze de France. »« On avait une façon différente d'exercer notre capitanat, explique Astre. Jacques, c'était un rapport de force qu'il instaurait, des catharsis, il ajoutait de l'émotion. Moi, j'étais dans un commandement sur l'action, comment on va faire pour battre l'adversaire. Avec Jacques, nous avions des rapports très tendus mais il y a toujours eu du respect entre nous. »

Astre et Romeu auront donc joué trois matches ensemble avec les Bleus. Astre n'est pas titulaire pour Angleterre-France à Twickenham lors du Tournoi 1973, le 24 février (14-6 pour les Anglais), mais il entre en cours de match sur blessure de Barrau et forme ainsi pour la première fois la charnière tricolore avec son ami de jeunesse.
Les deux joueurs ne se retrouveront ensuite qu'à deux reprises aux commandes du Quinze de France. D'abord, le 28 juin 1975 à Prétoria, où ils s'inclinent face à l'Afrique du Sud (33-18) puis au Parc des Princes, le 25 octobre 1975, où ils prendront le dessus sur l'Argentine (36-21).
Au fond, le plus grand match qu'Astre et Romeu ont livré ensemble, ils l'ont joué face à face. C'était bien entendu la fameuse finale du Championnat de France 1978. Ce 20 mai, l'ASM tient longtemps en échec Béziers avant que le génie d'Astre, auteur ce jour-là d'un match exceptionnel, fasse la différence (31-9). Cela ne portera pas le demi de mêlée pour autant durablement en équipe de France. Jacques Fouroux est décédé le 17 décembre 2005. L'amitié entre Jean-Pierre Romeu et Richard Astre perdure. « On partage toujours des parties de golf, sourit Romeu, et comme avec Béziers, c'est toujours Richard qui gagne. »