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Quand il a franchi les portes de l’hôtel Kyriad, le samedi 30 janvier sur le coup de 17 heures, Jacques Cristina avait la tête des mauvais jours. En battant son « Montferrand », Montpellier venait d’ouvrir une troisième brèche dans la forteresse du stade Marcel-Michelin.
Premier diagnostic à la va-vite : « Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? L’équipe est dans le creux… Des cadres vont partir, la relève n’est pas à maturité, le recrutement a été moyen. » Et après un bougonnement : « Mais tu sais, je juge de l’extérieur, je reste dans mon coin… »
On apprendra plus tard, en évoquant comme une prétendue contradiction l’amour du maillot et le mercenariat professionnel, que le droit du sol vaut bien celui du sang : « Tony Marsh venait du bout du monde, un étranger… Eh bien ce garçon s’intéressait aux anciens et nous appelait par notre prénom. »
« Je n’en revenais pas qu’ils se couchent à 10 h du soir et nous du matin »Le vague à l’âme du vétéran est emporté par l’irruption sonore de Christian Lopez. « Ils ont perdu ? Ouille ! J’ai beau être plus proche de Toulon… » « Avé l’assent » du natif du Cannet-Rocheville, où il est né et où il a pris en main les destinées du club de ses débuts. À 63 ans, l’ex-capitaine des grands Verts de Saint-Étienne a conservé l’allure et la moustache qu’il frisait (intérieurement), lorsqu’il opposait ses tacles chorégraphiés aux attaquants lyonnais Di Nallo, Lacombe et Chiesa « les trois nains de 1,50 m (sic) ». Quarante ans après, les flingues fument encore…
À les voir s’étreindre comme deux capi de Corleone, on se demande bien ce qui rapproche « le tracteur », ainsi nommé Cristina pour son quintal surpuissant au temps de sa splendeur, et « Jeannot », surnom de Christian selon une logique qui nous échappe. Le premier se souvient en 1975 de sa curiosité quasi ethnologique des Rocheteau et autres Larqué, quand l’ASM les croisait dans les hôtels. « Je n’en revenais pas qu’ils se couchent à 10 heures du soir et nous à 10 heures du matin » en rajoute Jacques « le tracteur ».
Le second n’est pas en reste : « Mes meilleurs potes étaient rugbymen, plus que les footballeurs ! Ça date de mon service militaire au Bataillon de Joinville où il y avait avec moi Armand Vaquerin, un drôle de personnage. Quand il rentrait le lundi d’un match avec son équipe de Béziers, il se retrouvait systématiquement au trou parce qu’il ne faisait que des conneries, du genre casser un bar. » Armand Vaquerin, pilier dur au mal et personnalité borderline, s’est tué en jouant à la roulette russe, en 1993, à l’âge de 42 ans.
Le rugby d’alors aux antipodes du foot en matière de préparation physique ? Pas si sûr… À l’ASSE comme à l’ASM, les circonstances ont rythmé l’évolution. Jeannot Lopez raconte : « En 1972, Robert Herbin, notre nouvel entraîneur, est allé voir à l’étranger comment ça se passait. Il en avait marre qu’on se fasse éliminer en coupe d’Europe après un ou deux tours. » À la même période, le rugby s’est trouvé un précurseur en la personne de Jacques Cristina.
Alors carabin, le numéro 8 clermontois a déniché la bonne méthode médicale pour se forger un profil de blindé musculaire. Et dans son milieu où on s’entraînait à l’humeur, il n’est pas peu fier d’avoir pris les devants : « J’avais grandi de 18 cm en un an et il fallait que je comble le vide… J’ai dégotté des bouquins de médecins finlandais qui entraînaient les skieurs de fond. Au club, on se foutait de ma gueule ! Mais quand on voit maintenant le temps que les joueurs passent dans la salle de muscu ! ». Le sport de haut niveau est un alcool fort. Christian Lopez est toujours addict : « J’aimerais être encore joueur. Ah ce public de Geoffroy-Guichard, des mineurs qui suaient sang et eau pour se payer leur place ! On en avait les poils qui se dressaient. On n’avait pas le droit de se planter, sinon le président Roger Rocher nous menaçait : « Je vais afficher vos feuilles de paye à la bourse du travail ! »
L’ancien capitaine des Verts n’est pas bégueule sur le sujet : « Je touchais 50.000 francs par mois. Après la coupe du monde de 82, j’ai signé à Montpellier pour 90.000 francs. Quand tu penses que quatre ans plus tard, Luis Fernandez signait au Racing pour 700.000 francs !? »
Jacques Cristina fait la part des choses : « Mes études m’ont coûté une carrière d’international. J’ai refusé une sélection contre l’Australie et une autre contre les Blacks en 1979, parce que le lendemain, je passais des examens. Mais bon, le rugby et l’ASM m’ont aidé financièrement à faire mes études, à payer mon loyer… »
… Et à remplir son sac de hauts et petits faits : « Un jour, dans une ville des Pyrénées, les spectateurs nous ont caillassé et envoyé des bouteilles. J’ai dû calmer les gars qui voulaient se livrer à une expédition punitive dans les tribunes. » Toute la fraîcheur d’âme d’un « rubiii » disparu… Ah, putaing-cong !
Texte : Jean-Paul Gondeau