« Quiconque aurait pris mon tee sur le terrain peut-il me le rendre s'il vous plaît ? » Ces mots ne sont pas ceux d'un enfant apeuré à l'idée d'avoir perdu le tee offert à Noël par les parents. Non, ce sont ceux de Lima Sopoaga (32 ans), ouvreur des Samoa, lors du Mondial en France, après la rencontre opposant les Manu Samoa au Chili le 16 septembre dernier. L'ancien All Black témoignait, à sa façon, de l'importance que revêt l'objet pour certains buteurs, priant sur son compte X (ex-Twitter) la communauté Internet de retrouver son modèle : « Je vous paierai même pour cela. Je l'ai depuis l'âge de 14 ans. »
Le buteur des Bleus et de Toulouse, Thomas Ramos, avouait, cet automne, à la Dépêche avoir changé de modèle après la déception d'une demi-finale de Top 14 perdue (18-24) face à Castres, en juin 2022, durant laquelle il avait raté plusieurs coups de pied. « Après le match, j'avais jeté mon tee. Pendant les vacances, je m'étais mis en tête que je ne voulais plus le voir parce que cela m'avait un petit peu énervé. » Muni d'un nouveau tee, il a réalisé depuis plusieurs performances remarquables face aux perches avec le Stade Toulousain ou le quinze de France, sans que l'on sache s'il y a un lien de cause à effet.
Ces histoires, pas si anecdotiques, racontent l'importance de cet objet, souvent chouchouté par les buteurs comme peuvent l'être parfois les gants du gardien de foot. C'est devenu un des équipements indispensables à la pratique du rugby, surtout avec la multiplication des coups de pied, pénalités et transformations, dans le rugby moderne.
Le tee a en effet tout à voir avec le rugby moderne, n'ayant fait son apparition que très tard, entre la fin des années 1980 et le début des années 1990. Vincent Bernard, expert du jeu au pied, sur lequel il tient un blog et actuellement entraîneur dans ce secteur au club d'Angoulême en Pro D2, rappelle que l'avènement du tee a d'abord tenu à une « question de législation ».
« Il a fallu une autorisation officielle pour utiliser les tees au début des années 90. Lors de la Coupe du monde 1991, tout le monde butait encore avec du sable. En 1992, cela a finalement été autorisé. Même s'il y a eu un retard à l'allumage dans le rugby car la première utilisation du tee dans le football américain date de 1922 ! »
pour faire tenir le ballon et taper.
Indispensable aujourd'hui, le tee a longtemps été absent des terrains de rugby, ne faisant son apparition qu'au début des années 1990. Alors, avant, comment faisait-on pour faire tenir le ballon et taper ? « Comme on pouvait ! » se souvient Didier Camberabero, international français (36 sélections) et buteur entre 1982 et 1993. « La technique ? Un grand coup de talon dans l'herbe pour faire une motte. Des trous dans le sol pour faire un petit tas, puis on posait le ballon dessus. Enfin, quand c'était possible ! Lorsque le terrain avait été arrosé, ça allait mais sinon, quand il était dur comme du béton, on devait se débrouiller pour faire tenir le ballon droit sur l'herbe. Ça faisait le travail, n'empêche... »
Il y eut ensuite l'arrivée du sable. Mode d'emploi : on s'en réserve un seau sur le bord du terrain, que l'on se fait apporter au moment du but. Mais le système ne dure pas longtemps, jugé trop défectueux. « L'idée était de se faire une motte avec du sable sur le terrain mais pour ne pas en mettre partout, on mouillait le sable. Bon, on finissait quand même par en étaler partout sur la pelouse, surtout quand le terrain était humide. Et puis, le ballon n'était jamais à la même hauteur d'une fois sur l'autre », se souvient Camberabero. R. Lax.
À partir de 1992 donc, tous les buteurs de la planète se sont mis à utiliser l'objet, encore primaire. « À l'époque, c'étaient des tees tout simples, des sortes de coupelles en plastique, que les joueurs retouchaient souvent, c'était une fabrication artisanale et personnelle », se remémore Philippe Bérot, buteur du quinze de France à la fin des années 1980.
Malgré sa simplicité, le tee séduit vite et son efficacité est certaine. « L'avantage des tees, même très basiques, c'est que le ballon est toujours positionné de la même manière, analyse Bérot. Ça permet d'avoir une bien meilleure précision pour taper le ballon. On peut placer le ballon comme on veut, vers l'avant, vers l'arrière, plus ou moins incliné. Avant, avec le mélange de sable que l'on faisait, le ballon n'était jamais placé à la même hauteur. Avec le tee, il y a aussi moins de prise au vent, le ballon est plus stable. »
De nos jours, la multiplication des coups de pied a conduit à la diversification des tees, imaginés, dessinés, conçus de toutes les formes. Le buteur doit trouver, durant ses jeunes années, le modèle adapté à sa course, sa frappe, son style, ses goûts. Ce choix se base sur plusieurs critères : la tenue du ballon, la possibilité d'incliner la balle, la hauteur du support.
Ancien joueur du Stade Français et de Northampton, aujourd'hui entraîneur du jeu au pied à Clermont, l'Anglais Ian Vass détaille : « En général, les buteurs commencent par le plot tout simple pour taper puis on leur propose de choisir entre 4-5 tees différents et ils doivent trancher. Ce choix, ça dépend de son propre timing, de la hauteur du tee et puis il faut trouver le bon angle de frappe, etc., c'est un process très individuel. »
Melvyn Jaminet, l'un des meilleurs dans l'exercice du but aujourd'hui en France, explique ce qui l'a amené à choisir son modèle actuel qu'il utilise depuis près de cinq ans. « Plus jeune, j'ai essayé plusieurs modèles. Ce que j'aime bien avec le mien, c'est qu'il est assez haut sur la pelouse (90 millimètres). Je peux poser le ballon sans qu'il soit au ras de la pelouse et avoir une belle frappe. Et puis, il y a quatre points (dents), ce qui maintient très bien le ballon, même quand il y a énormément de vent. »
« Il y a des tees qui permettent de taper plus ou moins droit, avec le ballon plus ou moins bas, haut, penché. De la même façon que toutes les frappes sont différentes, tous les tees sont différents, ajoute Maxime Petitjean, ancien buteur passé par Brive, Dax et Aurillac et désormais en charge du jeu au pied à Toulon. D'ailleurs, une fois qu'ils ont choisi, les buteurs ont tous leur tee et même lorsque deux joueurs ont le même modèle, ils demandent à avoir le leur, pas celui de l'autre. »
Cette recherche de son matériel personnel passe par des expérimentations en tout genre sur les tees, que les joueurs vont modifier, retoucher, découper, coller, renforcer, pour le rendre plus adapté à leur pratique du but. Ian Vass se souvient qu'il a, lui-même, beaucoup perfectionné ses exemplaires durant sa carrière.
« Je bricolais pas mal les tees en plastique, je collais par ci, je coupais par-là, je les rendais plus grands pour que ce soit plus agréable de tirer. Tout un tas de retouches. Mais je n'étais pas le pire ! (rires) Pour d'autres buteurs, c'est un objet sacré, alors ils le modifiaient vraiment dans tous les sens pour le garder plus longtemps ou pour l'améliorer. »
Petitjean avait également dû bricoler ses modèles pour arriver à un résultat parfait. « J'ai buté toute ma vie avec le même tee, j'étais très superstitieux. Alors, pour le garder plus longtemps, je le rafistolais avec un peu de glu, de chatterton et c'était reparti ! »
Les joueurs ne sont pas les seuls à travailler sur ces retouches et les joueurs stars nouent des partenariats avec des marques pour créer leur propre modèle. C'est le cas pour la star néo-zélandaise Daniel Carter, dont la gamme de Supertees a envahi le marché, avec ses modèles aux looks atypiques et aux formes inégales qui misent sur l'ajout de nombreuses petites dents, « permettant au ballon d'être positionné sous presque n'importe quel angle », comme l'affirme la marque.
Comme pour personnaliser encore plus la frappe du ballon et l'adapter à chaque joueur, la marque Gilbert, l'une des plus populaires auprès des buteurs, développe également plusieurs modèles télescopiques, dont il est possible de modifier la taille ou le support. Surtout, les modèles créés aujourd'hui misent sur l'emploi de matériaux thermoplastiques qui permettent aux tees d'être plus légers que ceux qu'utilisaient les buteurs de la dernière décennie, tout en étant plus résistants aux chocs.
Plusieurs fois meilleur réalisateur du Top 14 dans la dernière décennie, l'ancien demi d'ouverture du Racing 92 Jonathan Wisniewski a, lui aussi, développé son propre tee, le R100, développé en collaboration avec la marque française Decathlon.
Pourvu de trois longues tiges sur lesquelles le joueur vient positionner le ballon, ce modèle mise avant tout sur une grande stabilité du ballon, un des critères les plus recherchés chez les buteurs. Le tee se vend depuis des années.