« Quel est le coéquipier le plus doué que vous avez côtoyé ?
J'ai joué avec des monuments au Stade Français, comme Pieter de Villiers, Sylvain Marconnet, "Domi" (Christophe Dominici) et Sergio Parisse. À Leicester, Aaron Mauger, Geordan Murphy, Lewis Moody, Martin Castrogiovanni, Martin Corry, etc. Et à Clermont, "Roro" (Aurélien Rougerie), Morgan (Parra), Dato (Zirakashvili). Mais en 2007, Juan Martin Hernandez marchait sur l'eau. C'était un génie technique, un super jeu au pied, de supers mains mais aussi un énorme défenseur.
Il avait tout : la classe, le courage, le professionnalisme. Accessoirement, il était beau (rire), très sympa et un très bon coéquipier. Son seul défaut était peut-être de vouloir absolument jouer dix alors que c'était alors le meilleur arrière du monde. Il était incroyable. Il était très exigeant avec lui-même. Peut-être trop. Morgan et Domi, eux, n'étaient pas des joueurs de semaine mais de grands matches. Plus il y avait de pression, plus ils étaient bons.
« Martin (Castrogiovanni) était complètement fou. Un immense gamin de 16 ans dans un corps de géant et un personnage vraiment attendrissant »
Le plus fort que vous ayez affronté ?
Richie McCaw (troisième-ligne aile, international néo-zélandais de 2001 à 2015, double champion du monde, élu trois fois meilleur joueur du monde). Le leadership par la résilience. C'était un Terminator qui absorbait ton âme et ta confiance en toi. Dans un ring, tu essaies de "puncher "le plus fort possible, et même si tu ne fais pas tomber ton adversaire, tu veux le voir saigner, souffrir et avoir peur. Lui ne montrait jamais rien.
Je me souviens d'un énorme déblayage de Yoann Maestri (lors de la défaite des Bleus face aux All Black, 19-26, en novembre 2013). On pensait qu'on l'avait crevé mais il s'était relevé. On s'était dit "ce n'est pas possible, ce mec est un cyborg". Ça te tue de l'intérieur. Thierry Dusautoir avait un peu de ça aussi. J'ai également beaucoup de respect pour les talons propres, costauds sur les bases, en particulier (Keven) Mealamu (international néo-zélandais de 2002 à 2015).
Le partenaire le plus déjanté ?
Difficile de ne pas citer le gros Marconnet (au Stade Français, de 1997 à 2010) et Castrogiovanni (à Leicester, de 2006 à 2013), sur qui on pourrait écrire un bouquin. Martin était complètement fou. Un immense gamin de 16 ans dans un corps de géant et un personnage vraiment attendrissant. Même si tu buvais de la main droite une gorgée de boisson énergisante d'avant match, il te disait de le faire en cul sec.
Dans un tout autre registre, il y a aussi Paul Jedrasiak à Clermont (il y a joué de 2013 à 2024). Un chanteur, un danseur, gentil et touchant. Sur un défi, je lui avais fait faire cent pompes dans la chambre la veille d'un match contre les Saracens. Je peux ajouter Daniel Kotze (à Clermont de 2011 à 2016). Lui nettoyait sa piscine en combinaison de plongée et avec les bouteilles.
Votre plus belle bringue ?
Celle de 2017 avec Clermont. Juste magique. Après la finale, on était rentrés à hôtel près de la gare Montparnasse (de Paris), à 200 mètres de chez mes parents. Mon père était passé fumer un cigare. Puis avec les potes on était évidemment allés "rue de la Soif" (rue Princesse, dans le VIe arrondissement de Paris). Le retour à Clermont et l'arrivée à la place de Jaude, c'était "ouf". J'en garde un souvenir hyper précieux. Ma femme était enceinte de sept mois. J'étais avec ma (première) fille sur les épaules. Elle était impressionnée par tous les maillots jaunes. On est parti un peu avant la fin des festivités. Et dans une rue à proximité, une centaine de supporters m'a reconnu et s'est mis à chanter. J'en avais des frissons.
Parcours pro : Stade Français (2004-2007, puis 2009-2010) ; Leicester (ANG, 2007-2009) ; Castres (2010-2011) ; Clermont (2011-2019).
Palmarès : champion de France avec le Stade Français (2007) et Clermont (2017) ; champion d'Angleterre avec Leicester (2009) ; vainqueur du Challenge européen avec Clermont (2019).
Votre plus grande déception ?
J'ai perdu cinq finales de Coupe d'Europe (2005 avec le Stade Français ; 2009 avec Leicester ; 2013, 2015 et 2017 avec Clermont). Je regretterai toute ma vie celle contre Toulon (16-15) à Dublin en 2013. Sportivement, c'était une immense déception. On est la meilleure équipe et on ne doit jamais la perdre. Toulon a l'immense mérite de ne jamais rien lâcher. J'ai retourné 25 fois le match dans ma tête. C'était horrible mais j'ai pu m'en relever parce que j'étais encore jeune et qu'on avait une saison à terminer.
La dernière, en 2017 contre les Saracens, on perd de peu (28-17) mais on doit en prendre 40. Émotionnellement, la plus terrible. J'étais au fond du trou. D'une manière très égoïste, je pensais que je méritais plus que les autres d'en gagner une. Ce qui n'était pas vrai du tout... Et ça ne faisait que raviver ma peine. En interne, on s'est un peu pris le bec puis on finit champions de France quelques semaines plus tard.
« Fabien (Galthié) est un génie stratégique. On n'est pas proches du tout mais il m'a donné ma chance. Je lui dois beaucoup »
L'entraîneur qui vous a le plus marqué ?
Fabien (Galthié) est un génie stratégique. On n'est pas proches du tout mais il m'a donné ma chance. Je lui dois beaucoup. Richard Cockerill est venu me chercher à Leicester et ça a été une bénédiction. Avec Franck Azéma, on a eu des hauts et des bas mais on a quand même fini très proches. Techniquement, Yannick Bru m'a fait énormément de bien en équipe de France.
Mais si je dois souligner un entraîneur qui m'a marqué, c'est Vern Cotter (entraîneur de Clermont de 2006 à 2014). C'est le seul qui m'a dit : "tu n'as pas besoin de gagner ma confiance. Je te la donne, à toi de ne pas la foutre en l'air." Il était suffisamment intelligent pour comprendre que j'avais besoin d'amour et de cette main tendue. J'avais envie de ne jamais le décevoir.
Une anecdote que vous n'avez jamais racontée ?
Juste avant mon retour en équipe de France, en novembre 2012, on gagne à Agen avec l'ASM. On a la bonne idée de sortir dîner entre Clermontois à Toulouse avant de prendre l'avion pour monter à Paris. Sauf qu'on est allés dans le restaurant de William Servat et qu'on a fini à 5 heures du matin complètement explosé parce qu'il nous a rincés toute la nuit. On est arrivés très mal.
Philippe Saint-André (le sélectionneur) nous a défoncés en disant "je ne vous ai pas payé une nuit d'hôtel pour faire la bringue mais pour vous reposer". Yannick Bru (entraîneur des avants) m'a attrapé à l'aéroport et lancé "il y a deux solutions, soit vous êtes bons à l'opposition de dimanche, soit vous dégagez". On est donc allé faire du physique, on a bien sué. Et à l'opposition on a été très bons. Wesley Fofana a marqué dix essais parce qu'on avait beaucoup à se faire pardonner. Au final, on est restés pour la tournée, et on bat l'Australie (33-6), l'Argentine (39-22) et les Samoa (22-14). »








