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Recruter les meilleurs joueurs comme Antoine Dupont, et monter un circuit mondial de 12 franchises, tel est le projet mené par l’Anglais Mike Tindall, champion du monde en 2003 et membre de la famille royale britannique
Le rugby professionnel fêtera ses 30 ans cet été. Et comme pour faire écho au projet de circuit mondial du milliardaire australien Kerry Packer, qui avait précipité la fin de l’amateurisme en 1995, un autre projet assez délirant, complètement hors sol, agite actuellement les coulisses du rugby international. S’il se réalisait, il serait une menace pour le Top 14.
Baptisé « R360 », ce projet envisage de créer un circuit itinérant de douze franchises, huit équipes masculines et quatre féminines, « marketées » autour d’une identité nationale ou régionale. L’idée ? Organiser 16 week-ends de type « Super Bowl », mêlant matchs de rugby et concerts de musique dans des grands stades à Londres, Barcelone, New York, São Paulo, Tokyo, Paris, Dublin, le Cap.
>>>> Consultez la plaquette de présentation du projet que nous nous sommes procurés en cliquant ici.
Pour rendre ces rendez-vous attractifs, l’ambition des concepteurs de R360 est de recruter près de 300 joueurs de haut niveau et, parmi ceux-là, la « crème de la crème » : les Antoine Dupont, Maro Itoje, Damian Penaud, Rieko Ioane etc. C’est d’ailleurs le capitaine et demi de mêlée du XV de France qui figure sur la plaquette de présentation du projet. Avec côté féminin, Ilona Maher, joueuse des États-Unis mais surtout influenceuse de premier plan avec ses 4,9 millions de followers sur Instagram.
Un million de dollarsComment comptent-ils attirer les stars du rugby mondial ? Avec des salaires 20 à 30 % supérieurs aux émoluments du Top 14. Un million de dollars par saison pour les meilleurs, payés à Dubaï, siège de la société, et un maximum de seize matchs à disputer lors de deux fenêtres : d’avril à fin juin puis en août et septembre.

Là où le projet R360 est malin, c’est qu’il se glisse dans les intervalles du calendrier international, sans chahuter le tournoi des Six-Nations, la Coupe du monde ou les tests de l’automne. Il permettrait donc aux joueurs internationaux d’évoluer avec leur équipe nationale. En revanche, il percuterait de plein fouet le Top 14 et les compétitions de clubs en Europe.
Il y a beaucoup à dire sur le fond et sur la faisabilité d’un projet qui est la négation même de ce qui a fait le succès du Top 14 par exemple : l’enracinement, la richesse d’une histoire. Mais il serait imprudent d’en sous-estimer la dangerosité. À la Ligue nationale, on confirme être en alerte.
« C’est un projet de passager clandestin qui capte la valeur générée par l’écosystème des fédérations et des clubs au profit d’investisseurs privés »
« On est très vigilant, confirme Emmanuel Eschalier, le directeur de la LNR. Le projet existe et il est mortifère pour le rugby professionnel de clubs et à terme des équipes nationales. C’est un projet de passager clandestin qui capte la valeur générée par l’écosystème des fédérations et des clubs au profit d’investisseurs privés. »
Qui sont-ils ? L’identité des concepteurs du projet R360 a été dévoilée la semaine dernière. En figure de proue se trouve Mike Tindall, ancien trois-quarts centre anglais, champion du monde en 2003, devenu membre de la famille royale britannique après son mariage avec la princesse Zara Phillips. Sa présence n’est évidemment pas étrangère au « buzz » provoqué par le projet.
Pour l’accompagner, Tindall s’est entouré de Mark Spoors, ancien responsable de la division rugby du géant américain du divertissement Wasserman, et de l’avocat de John Loffhagen. Ce juriste a piloté la mise en place de deux compétitions « rebelles » qui ont fait exploser les instances traditionnelles : le circuit LIV en golf et l’Indian Premier League en cricket.
Ce que l’on doit prendre en compte au moment de jauger la crédibilité du projet, c’est la fragilité du modèle économique du rugby professionnel. Il est en meilleure santé en France qu’en Grande-Bretagne ou dans l’hémisphère Sud, mais le Top 14 présentait la saison passée un déficit cumulé de 64 millions d’euros.
500 millions d’euros sont nécessaires pour financer ce projet dont le business plan est flou
Ce que l’on ne peut ignorer non plus, ce sont les bouleversements qui secouent l’univers du sport traditionnel avec l’apparition d’événements comme la Kings League de football, lancée par l’ancien défenseur espagnol Gerard Piqué, ou plus inquiétant encore les « Enhanced Games », cette compétition où les athlètes seront autorisés à se doper. Le projet « R360 » s’inscrit dans le même paysage où les frontières entre sport et spectacle sont effacées.
Une centaine de précontrats signésLe temps presse donc et les obstacles qui se dressent devant le projet sont nombreux. Il y a d’abord les barrières institutionnelles. « Alors que World Rugby a officialisé le lancement de la Coupe du monde des clubs en 2028, je ne vois comment elle donnerait son feu vert à une compétition rivale », nous a souligné Bruce Craig, le président du club anglais de Bath.
S’ils ont réalisé une première levée de fonds d’une vingtaine de millions d’euros, Tindall et ses associés n’ont toujours pas indiqué s’ils pouvaient s’appuyer sur des investisseurs poids lourds, un fonds souverain par exemple. Car ce sont 500 millions d’euros qui sont nécessaires pour financer ce projet dont le business plan est encore flou.
Le projet « R360 » va-t-il faire « pschitt » ou deviendra-t-il une menace pour le Top 14 en allant lui « voler » ses actifs les plus précieux ? Dans les coulisses, les acteurs sont partagés. Les représentants de « R360 » ont fait savoir qu’ils avaient signé des précontrats avec près de 120 joueurs internationaux, sans bien sûr dévoiler leurs noms. Ces accords ne sont valables que jusqu’en septembre. L’incertitude ne devrait pas durer.
Pour R360, impossible donc de faire signer des Bleus sans passer par les représentants de Wasserman. Alors quel rôle jouent-ils ? Selon nos sources, ils sont les interlocuteurs exclusifs de R360 en France. « Nous connaissons le projet mais nous n’y sommes impliqués en aucune manière. Ce serait suicidaire », module Pascal Forni, un peu étonné que le projet R360 utilise l’image d’Antoine Dupont.
« Nous ne pouvons pas prendre parti. En revanche, si le projet se monte, nous ferons des joueurs. Ce que je sais, c’est que le projet est sérieux. Mais je suis dubitatif sur son avenir. Il est possible qu’il ne voit jamais le jour ou alors qu’il ne fonctionne qu’une année. Mais cela peut être aussi une réussite comme la ligue (ndlr: LNR). »

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Le président de la Ligue nationale de rugby s’inquiète des conséquences possibles du projet Tindall pour le Top 14
Le projet R360 vous inquiète-t-il ?
Il faut le prendre au sérieux comme toutes initiatives de ce genre. S’il se concrétisait, il pourrait être potentiellement mortifère pour le rugby tel qu’on le connaît à l’heure actuelle. J’ai du mal à croire qu’un acteur français envisage d’y souscrire avec toutes les conséquences néfastes que cela pourrait avoir. Mais je veux croire au bon sens des acteurs pour préserver un modèle qui fonctionne.
Quand vous dites « acteurs », vous pensez aux agents ?
Agents, joueurs, dirigeants qui pourraient être sollicités. Mais pour l’instant, je n’en connais pas. Et j’espère que chacun est conscient de ce que lui apporte le rugby professionnel français.
C’est un projet qui peut séduire les joueurs puisqu’il propose moins de matchs et plus d’argent
Potentiellement mais je pense que pour quelques joueurs qui pourraient profiter de manière très court-termiste il y aurait des conséquences néfastes pour l’ensemble. Je veux faire confiance à la sagesse de chacun.
La validation par World Rugby de la Coupe du monde des clubs est-elle une réponse à cette offensive ?
Non, le projet de Coupe du monde des clubs est antérieur mais il faut traduire sa validation comme la volonté de ne pas se contenter d’une situation telle qu’elle existe mais d’œuvrer pour le développement du rugby.