Je ne sais plus d'où ça vient au départ, la première fois que j'ai vu ces textes c'était sur Aupa BO.
Les Pilars
Etrange bipède dont la morphologie évoque nos lointains cousins quadrumanes, le pilier se nourrit exclusivement de saucisson. Figure inénarrable du rugby, le spécimen prête volontiers le flanc à la caricature.
Quand on veut dépeindre le rugbyman sous les traits grossiers d’une brute épaisse dont l’essentielle faculté est de s’incliner pour pousser en mêlée, c’est bien sûr au pilier que l’on pense. Le cliché est un peu éculé me direz-vous. De nos jours, les piliers dits "modernes" sont des athlètes affûtés sans un gramme de graisse, galopant aux quatre coins du pré, capables de vous envoyer des passes vissées de 30 mètres. Heureusement pour le folklore de notre sport, ce tableau idyllique ne concerne qu’une poignée de joueurs professionnels composant le gratin de l’élite nationale. Les autres sont bien souvent à cataloguer dans la série "à l’ancienne".
Dépassant allègrement le quintal, un cou de taureau, tout dans le jarret et dans les reins, rien dans les abdos (hormis la Kro), le pilard traditionnel est voué aux tâches obscures de ce jeu : tordre son alter ego en mêlée, arracher des ballons dans les mauls et c’est à peu près tout. Jamais vous ne verrez un n° 1 ou un n° 3 porter le cuir dans une course folle et chaloupée pour prendre des intervalles au milieu des gazelles. Cela lui est généralement formellement interdit par son coach, et d’ailleurs, ce serait contre-nature...
Les hommes de l’ombre
Quand on joue à la pile, on va au charbon, on fait sa sale besogne et surtout on se tait. Et pour cause, le pilier est certes un homme fort, roué et vicelard, sa mobilité est limitée et ne peut donc jouer les stars en tortillant du cul. On les voit parfois tenter quelques foulées courageuses en début de partie, histoire de montrer qu’ils sont eux aussi des sportifs, et puis après, harassés par les travaux de force auxquels ils se bornent, marchent péniblement d’un regroupement à un autre, les mains appuyées sur les reins, cherchant l’oxygène comme des grosses carpes sorties de la rivière.
Néanmoins, tous les rugbymen vous le diront, un bon pilier, solide comme un roc, vaillant comme une mule, est une denrée ô combien précieuse. Deux piliers défaillants et c’est souvent la maison qui s’écroule, par contre s’ils sont conquérants, on peut voyager tranquille. Même les vieux adages ovaliens le disent : "le rugby, ça commence devant", et comme devant ça commence avec eux, mieux vaut être bien armés en première ligne.
Qui fait peur aux enfants, qui largue des caisses abominables ?
Il faut en effet être un gaillard de la meilleure moelle pour affronter toutes les avanies de ce sport. Qui ramasse les poires en premier quand une mêlée se relève ? le pilier. Qui sort du terrain la gueule en vrac ? le pilier. Qui est condamné à l’anonymat éternel ? le pilier. Qui se couvre de ridicule en se tartinant la fiole de vaseline et en se passant un bandeau d’élasto autour de la tête ? le pilier. Qui a les oreilles en choux-fleurs ? qui ne trouvent pas de shorts à sa taille, qui fait peur aux enfants, etc, etc… Alors vraiment, à tous les piliers de la terre, je rends un hommage à la bravoure, à l’abnégation et à l’humilité.
Et oui, finalement , on les aime bien nos bons vieux pilards, ils amènent un peu de sel dans une vie de groupe. On les brocarde gentiment, on les taquine parce qu’on sait que c’est facile et qu’ils n’ont pas toujours une répartie foudroyante. Faut dire qu’ils cherchent aussi… quand quelqu’un lâche une caisse abominable et enfume un car entier, c’est toujours sur les piliers que les soupçons s’abattent, quand, juste avant un match, un chiotte est "nutellisé"* sans vergogne, on voit souvent en sortir une bourrique, fière de son forfait, arborant un 1 dans le dos. Et puis, qui mange tout le saucisson dans les collations d’après-match ?
* Nutelliser : formidable néologisme construit sur la racine étymologique de "Nutella". Imaginez-donc une cuvette ressemblant à un pot de Nutella en fin de vie…
Je vous remets les deuxièmes lignes et vous aurez la suite après.
Si vous êtes sages.

Les 2ème Lignes :
Ils chaussent du 50 et n'ont plus que quelques dents. Déplaçant laborieusement leur immense carcasse, ils dépassent facilement le quintal et ne passent pas inaperçus. Ils sont les deuxièmes barres.
Le 4 et le 5 forment généralement une belle paire de mules. La principale fonction d'une seconde barre, comme on dit dans le jargon, c'est de pousser en mêlée et de sauter en touche. Bien évidemment, ne pas prendre le verbe "sauter" au pied de la lettre car l'immense majorité de ces Gulliver de l'ovale éprouvent les pires difficultés à s'arracher du plancher des vaches.
Soit il est une deuxième ligne "moderne", c'est à dire parfaitement filiforme, presque athlétique et dans ce cas comme le règlement l'autorise, ses copains peuvent le soulever très haut pour qu'il s'empare du ballon, soit c'est une deuxième ligne "à l'ancienne" : 120 kg et une détente verticale
de morse sur la banquise, ce qui le rend inutile dans l'exercice de la touche.
Dans ces conditions, il convient hélas de constater que le gros deuxième ligne est une espèce menacée, un peu comme les éléphants d'Afrique.
C'est bien dommage, car le bougre a une place bien à part dans le paysage rugbystique, voire dans le sport en général. Quelle discipline autre que le rugby aurait bien pu accueillir de pareils mastodontes, aussi vaillants que vicelards ? Eh oui, les 4 et 5, le fameux attelage de la mêlée, les deux poutres, occupent des postes si particuliers dans la conception traditionnelle de ce sport, qu'ils ont façonné leur propre mythe. Au coeur de la mêlée, enfermés dans la cage, les deux cerbères sont dans le secret des dieux : eux-seul savent vraiment ce qui se passe sous cet éphémère bâtisse de seize corps humains dont ils forment l'indestructible clé de voûte.
L'art de la mêlée relevée
En l'occurrence, rien de très romantique, puisque seuls les deuxièmes lignes cultivent l'art de la mêlée relevée. Les deux géants occupent un poste stratégique dans la cabane : bien campés sur leurs appuis, ils ont toujours un bras de libre, celui qu'il passe sous les cuisses des piliers de façon à bien s'arrimer. Et puis, quand le moment est venu, quand le deuxième barre a bien prémédité son
coup, ou quand il entend le signal (le 9 annonce une « Gabriel ») il exerce de ce bras un savant mouvement de balancier sous la mêlée en direction du camp adverse. Résultat : une tomate dans la gueule du talonneur, la mêlée se relève, c'est l'échauffourée. Sous ses airs de géant débonnaire, avec son élasto qui lui écrase les arcades, sa vaseline qui déborde et ses Rivat montantes, le bon
vieux deuxième ligne pourrait faire rire les enfants, comme le ferait un monstre gentil. Il n'en est rien.
Le seconde barre de métier est un concentré de vice, un type bien énervant qui vous nargue en arborant un sourire sardonique tout en protège-dents. Il ne s'énerve jamais et accomplit tous ses gestes, même les moins recommandables, avec un sang-froid de professionnel. Quand ça fait pas de bruit et que ça fait mal, il est probablement passé par là.
Bref, le 4 ne s'embarrasse pas avec le maniement de la balle, qui se limite au cas échéant à l'arrachage ou à la passe de sac de patates. Pour le style, on frappe pas vraiment à la bonne porte.
Le deuxième ligne a une vision plus périphérique du jeu. Tout ce qui tourne autour du ballon l'intéresse. Une main adverse qui traîne dans un regroupement, un talonneur un peu trop fouineur, une troisième ligne un peu trop hardie et hop, notre deuxième ligne fait le ménage, de façon licite, voire un peu moins si nécessaire.
Aujourd'hui, le rugby moderne consacre le deuxième barre joueur de ballon, coureur, sauteur. La mort annoncée de nos éléphants d'Afrique.