D'abord mon Papa est né à Marseille mais élevé en Tunisie, dans une famille sicilienne (tous les européens de Tunisie ou presque étaient siciliens). Orphelin très jeune après le meurtre de son père, élevé par les pères Don Bosco. Il est en France, à mener une vie de bâton de chaise quand la guerre le rattrape. Chose exceptionnelle, une fois incorporé à Tours on lui propose de devenir officier (on en manque) alorsse qu'il n'a aucun diplôme à part le brevet. Un grand honneur pour un descendant d'immigrés.
Donc Ecole des Elèves Officiers de Réserve, il sort pas trop bien classé mais parachutiste quand même. On le détache dans le train aéroporté, Groupement de Transport 507, qui soutient et transporte le célèbre 1er régiment étranger de parachutistes, les paras de la Légion donc. Leur métier est de courir dans toute l'Algérie pour éteindre les foyers de rébellion. Mon père arrive en 59, c'est-à-dire après la bataille d'Alger après les opérations à la frontière tunisienne qui ont causé pas mal de pertes, le FLN recevant alors quantité d'armes et de munitions de ses soutiens. Quand il passe la première fois sa section en revue, une section mixte faite de paras appelés et de légionnaires, il a zéro médaille face à des guerriers dont certains se battent depuis 1943, "guarda com'è bello il tenentino" regarde comme il est mignon le petit lieutenant déclare un Légionnaire italien, qui reçoit immédiatement une punition.
Il m'a décrit une guerre de marches et d'embuscades, un coup les Moudjahidin, un coup la Légion. Avec une certaines admiration pour le FLN, des soldats capables de marcher 80 km dans un relief accidenté sans s'arrêter. Tous les légionnaires qui ont fait l'Indochine lui racontent que ça n'est pas ça la vraie guerre, que le Viet était plus mordant. En attendant il reçoit une citation à l'ordre de la brigade pour avoir mis hors de combat deux ennemis et avoir récupéré leur armement dans la presqu'ile de Kolo. Mais les combats ne sont pas tout : on rentre à Alger le weekend et on y rencontre une belle hôtesse d'Air Algérie, ma mère, fille d'un officer ancien prisonnier des Viets, qui dirige une école d'officiers à Arzew.
Puis vient l'opération Jumelles, pour réduire les poches de résistance en Kabylie. Guerre impitoyable, avec des représailles sanglantes quand ils ont des pertes. Guerre épuisante aussi, mon père voit mourir un des derniers anciens de Stalingrad, d'une mort stupide, décapité par une pale d'hélicoptère. Des années plus tard nous sommes en vacances en Kabylie avec des amis Kabyles. Le capitaine local de l'Armée Algérienne demande à mon père son âge et où il a fait la guerre. Dans les paras ? Vous avez fait l'opération Jumelles ? Oui. Le capitaine sourit : moi aussi. Et ils se racontent leur batailles.
Cette année là, De Gaulle laisse entendre qu'un référendum sur l'indépendance aura lieu, avec un corps électoral complet. Ca commence à chauffer sous les képis. Les pieds-noirs montent des barricades dans Alger et on charge les paras de rétablir l'ordre. Puis vient l'insurrection de l'armée : le 20 avril 1960 dans l'après-midi, mon père est officier de permanence du GT 507. Hélie Denoix de Saint Marc l'appelle : ce soir on marche sur Alger. Vous en êtes ? Mon père répond oui, principalement parce qu'il en a marre de courir l'Algérie pour rien mais aussi parce que c'est Saint Marc qui l'appelle, et que c'est un officier adoré de ses hommes et sans doute le seul à avoir un peu d'éducation politique.
Le putsch est une vaste blague. On arrête des officiers républicains, on les relâche, la radio joue des hymnes militaires. Tous ceux qui ont cru à une réforme agraire, à un partage de la richesse avec les musulmans, à une Algérie française et fraternelle sont dépités. L'Armée dans son immense majorité ne suit pas les putschistes. Heureusement, des officiers comme Challe et Saint Marc ont refusé d'armer les Pieds-Noirs, ce qui aurait entraîné un bain de sang.
Après des semaines dans un camp à la frontière marocaine, on renvoie les mauvais sujets à leurs affaires. Mon père rentre en France, complètement déboussolé, il votera communiste pendant un certain temps. Il m'a souvent dit : politiquement, j'étais d'une incompétence crasse. Mais il en regrette rien.
Voilà voilà, c'était donc en partie et brièvement les aventures de Papa en Algérie. 