Yann Sternis dans l'Equipe
« Tous les soirs de match à la maison, le pont est bondé deux bonnes heures avant le coup d'envoi », avait prévenu dans l'après-midi Glen, patron du comptoir Saint-Sébastien, en centre-ville. Des bouchons au coeur d'une cité souvent prise en exemple de la désertification des centres-villes des villes moyennes, l'image est discordante. Elle illustre le paradoxe territorial de l'USON : progresser vite dans une localité en difficulté.

Désindustrialisation, perte d'emplois, fermeture de commerces et déficit migratoire : Nevers est entré dans une spirale négative depuis le début des années 1980. Le chef-lieu de la Nièvre compte aujourd'hui 35 000 habitants, soit 10 000 de moins qu'en 1975. Même le circuit de Nevers-Magny-Cours, fleuron sportif du département, n'accueille plus le GP de F 1 depuis dix ans. En ce vendredi après-midi, les ruelles piétonnes sont plutôt animées. Sans être omniprésents, drapeaux et écharpes de l'USON garnissent régulièrement les vitrines des boutiques. Le club a gagné en visibilité partout dans une ville pas si endormie. « Ce soir, avec le match, l'ambiance sera plus écharpes jaune et bleu(les couleurs de l'USON) que gilets jaunes », entend-on dans le centre.
«Soi-disant, la tendance est plutôt aux gens qui partent d'ici. Grâce au rugby, des gens arrivent de partout : des Fidji, d'Afrique du Sud, etc.» Xavier Péméja, entraîneur en chef de Nevers
L'ascension du club vers le monde pro a débuté en 2009, lorsque Régis Dumange en est devenu son président. Fondateur de l'entreprise locale Textilot Plus, ce patron de soixante-sept ans, classé par Challenges parmi les 500 plus grandes fortunes du pays (473e), n'a eu de cesse de faire progresser l'USON où il avait longtemps joué dans sa jeunesse. L'équipe première a rejoint en 2010 la Fédérale 1, où elle a longtemps échoué à monter. Une période d'apprentissage durant laquelle le club a consolidé ses bases. Ses installations sont d'ailleurs louées par toutes les composantes du club.

« J'ai vu plus d'évolutions ici en un an et demi que j'en ai vécu en plusieurs saisons dans d'autres clubs », affirme le talonneur bourguignon Jean-Philippe Genevois (31 ans), pourtant passé par Bourgoin, Toulon, l'USAP ou le BO. « C'est peut-être le club de Pro D2 le mieux structuré aujourd'hui, s'enthousiasme l'entraîneur Xavier Péméja, arrivé dans la Nièvre en 2016. Le centre d'entraînement est magnifique, le centre de formation aussi. Pour la récupération, il y a des kinés, de la cryothérapie, des bains froids, tout est pro, rien n'est mis de côté. »
Surtout pas le stade, qui a connu de multiples travaux d'agrandissements et de modernisation au fil de la progression du club. Écran géant de 35 m2, pelouse hybride, studio télé, nombreuses loges, restaurant, bars... l'enceinte de 7 500 places sent autant la peinture fraîche que la saucisse-frite. En cas de montée en Top 14, le président voudrait augmenter sa capacité à 10 000 places. Car le Pré-Fleuri a trouvé son public (6 200 spectateurs en moyenne la saison passée, cinquième meilleure affluence de Pro D2). À une heure du début du match contre Soyaux-Angoulême, la boutique du club, lovée sous une tribune latérale, est prise d'assaut. À la caisse, une grand-mère achète un ballon siglé et un bonnet. Deux mètres derrière elle, un enfant d'à peine huit ans, visiblement fan de Zac Guildford, demande à une vendeuse s'il peut embarquer un mini-poster de l'ailier all black arrivé cet été et s'extasie après avoir reçu une réponse positive.

Au stade comme en ville, le discours est le même : un lien se tisse actuellement entre le club et sa ville. Les habitants savent que le club ne pourra résoudre leurs tracas du quotidien, mais ils ont retrouvé la fierté d'une ville où ils disent par ailleurs se plaire et dont ils aiment vanter les avantages. «Les gens sont heureux quand ils entendent que le nom de Nevers est associé à une image positive, à des bons résultats, un stade plein, ils sont heureux d'avoir des étrangers qui débarquent, avance Xavier Péméja. Soi-disant, la tendance est plutôt aux gens qui partent d'ici. Grâce au rugby, des gens arrivent de partout, des Fidji, d'Afrique du Sud, etc.» «Il n'y a pas une fois où, quand on sort dans le centre, on ne se fait pas arrêter, les gens nous félicitent, ça apporte une dynamique à la ville», confirme l'arrière Loïc Le Gal.
«Le club crée du lien social et même du lien professionnel, assure Arnaud Goguillot, président de l'association USON (qui assure la gestion de l'école de rugby et des équipes à XV jusqu'aux moins de 18 ans) et par ailleurs directeur d'une clinique. Par exemple, quand on recrute des salariés, des cadres, pour les attirer, on dit : "Regardez ce qu'on fait à Nevers"». Les prix accessibles des places (4,50 euros à tarif réduit, 9 euros pour les adultes) ou la politique d'entraide nouée avec les clubs alentour ont également participé à convaincre des nouveaux venus de se rendre au stade. «Avant, les Nivernais allaient voir du foot à Auxerre, du rugby à Clermont, du basket à Bourges ; dans notre ville il n'y avait plus personne les samedis soir, il y avait un manque», assure le président Dumange.
Si l'USON a réussi son opération séduction dans la Nièvre, il lui reste encore à éviter quelques écueils pour conquérir la France. À commencer par décoller ses étiquettes de nouveau riche ou de club champignon, soudainement apparu en Bourgogne, loin des habituels bastions du rugby tricolore. Si l'on souligne souvent ici que le club nivernais est vieux de cent quinze ans et que ses structures désormais solides sont de nature à le faire durer dans le temps, on reconnaît que le nouveau public du Pré-Fleuri, familial ou venu d'autres sports (notamment du foot), a compté un déficit de culture ovale. «Il a fallu éduquer ces supporters, détaille Régis Dumange. On a écrit des messages sur l'écran géant, pour expliquer certaines règles, inciter à ne pas siffler. On a fait notre public à l'image de notre club, respectueux [...] Mais est-ce que les spectateurs viendront toujours au stade si l'on aligne des défaites ? Je me pose la question. Moi, je suis préparé, je peux perdre, ça servira d'expérience, mais les spectateurs peuvent voir ça comme un échec total.»

«À partir du moment où on a commencé à être à plus de 6 000 spectateurs, la saison dernière, c'est devenu plus difficile d'entraîner tout le monde dans nos animations et nos chants», explique dans un bar du stade Xavier Louap, ancien joueur du club il y a trente ans, à l'époque des «tribunes en bois » et co-président de la Botte de l'Ovalie, la principale association de supporters. En déplacement, les membres de l'association doivent affronter certaines railleries récurrentes du public adverse qui aime pointer le budget du club, le plus gros du Championnat (12,4 millions d'euros selon la Ligue nationale de rugby). «On nous dit qu'on est des riches alors qu'à Nevers, il n'y a que des vaches», en rigole Sophie, béret jaune sur le crâne.
À quelques mètres de là, auprès de la pelouse et de ses joueurs, Régis Dumange trouve plutôt des avantages à bâtir son club sur une terre presque vierge. «Quand vous construisez dans un club qui a déjà un passé, il faut le digérer, faire avec les anciens, on ne bâtit pas une histoire sur une histoire. Moi, je ne pars pas totalement d'une feuille blanche, mais presque. Alors je construis mon histoire.» En embarquant une ville avec lui.
Actuellement deuxième de Pro D2, le club de Nevers a su allier des joueurs d'expérience à ceux qui avaient besoin d'une seconde chance.
Xavier Péméja en est persuadé : l'USON va prochainement accéder à l'élite. «Je ne sais pas quand ce sera ni si je serais encore là, mais ce groupe, ou au moins une grande partie de mes joueurs, va monter», assène l'expérimenté technicien (58 ans). Septième de Pro D 2 la saison dernière, Nevers est actuellement deuxième du Championnat. Une progression qui s'explique notamment par son excellent parcours à domicile (huit victoires en huit matches) et par la stabilité du groupe nivernais. Les dirigeants de l'USON avaient recruté une quinzaine de joueurs en 2017 après avoir validé la montée en Pro D 2. L'été dernier, ils ont choisi de ne pratiquement pas modifier leur effectif. «Le groupe a été maintenu à 90 %, de nombreux joueurs ont été prolongés et sont sur un projet de deux-trois ans», témoigne Jean-Philippe Genevois.
Par ailleurs, Xavier Péméja peut compter sur un groupe élargi et homogène. Plus de quarante joueurs ont déjà été utilisés en Championnat cette saison. « Il y a beaucoup de concurrence », confirme l'entraîneur nivernais. Le recrutement s'est globalement porté sur quelques joueurs d'expérience (Genevois, Bélie, plus de deux cents matches de Top 14 à eux deux) et beaucoup de jeunes (26 ans de moyenne d'âge).
Des éléments souvent revanchards, comme le deuxième-ligne Bastien Chalureau (26 ans), formé à Toulouse et qui retournera chez les Rouge et Noir la saison prochaine. Enfin, l'USON a donné une nouvelle chance à deux anciennes vedettes aux parcours chaotiques : l'arrière Zac Guildford (29 ans), champion du monde avec les All Blacks en 2011 et dont la carrière avait été sérieusement perturbée par des problèmes d'alcool, est arrivé l'été dernier. Un an avant, c'est Josaia Raisuqe, mis en examen pour violences en état d'ivresse et agression sexuelle et licencié du Stade Français, qui avait débarqué dans la Nièvre. Le puissant ailier fidjien s'est particulièrement bien adapté à l'USON : il est l'actuel meilleur marqueur d'essais (9) du Championnat. «Avec lui, on a la chance d'avoir un facteur X», estime Genevois.