WESLEY FOFANA Par Jacques Verdier (Extrait Midol du 02/10/17)
« Je suis un apprenti de la vie »
L’oeil noir, oblong, charbonneux, dispense une superbe lumière sur un visage carré que mange une barbe de quelques jours. C’est très souvent le signe d’une belle intelligence. Je connaissais, comme vous, la grâce du joueur. Sa vitesse, l’électricité de sa course, cette habilité à se jouer de ses rivaux, à un contre un, dans un mouchoir de poche. Cette disposition toute personnelle à prolonger par des traits fulgurants, au coeur même de la défense adverse, ses embardées, par une deuxième accélération foudroyante. Les puristes, les nostalgiques du jeu de ligne, un temps sous le charme, lui firent le procès de n’être pas suffisamment passeur, technicien, au regard peut-être d’un physique et de dispositions naturelles qui devaient l’incliner à privilégier cette forme de jeu. Ils le voudraient Castaignède, Codorniou. Lui, se défend de ressembler à quiconque et réfute cette idée de n’être pas ce joueur porté par le sens du collectif. Il en souffre, d’évidence, et tient à le dire.
Je découvre, chemin faisant, au cours d’un déjeuner pris en tête-à- tête, dans une brasserie clermontoise où se pressent joueurs et dirigeants, un être singulier, crêté, passionné, jeune père de famille, ouvert au monde, à la culture de son temps, porté sur la méditation et le Taoïsme — cette sorte de philosophie et de mystique orientale proche du bouddhisme, dont Lawrence Durrell, le plus Gardois des écrivains anglais, donnait un magnifique aperçu dans « Le sourire du Tao » — et qui dément par la passion et le verbe, le cliché absurde selon lequel les jeunes joueurs seraient devenus écervelés, assistés, incultes, et n’auraient d’autres horizons que le pré vert où se laisser admirer. Un beau soleil automnal s’est levé, ce matin, sur Clermont comme un drap propre. Wesley, entre deux séances d’entraînement, se contente en guise de déjeuner d’une salade, arrosée d’eau du robinet. Ni dessert, ni café. Il espère retrouver le chemin des stades, ce week-end, à Toulouse et mesure, au fil du temps qui passe, la précarité d’une situation où le corps des néorugbymen est soumis à rude emploi. Je ne savais, dis-je, que peu de chose de Wesley Fofana avant notre rencontre. Il me semble, à l’instant, sur fond de modestie mâtinée de rigueur, ressembler au club qui l’emploie, dont je salue, depuis toujours, la modération, la gentillesse non affectée, le goût de la recherche et cette forme de bienveillance qui transparaît encore de la table où se tient Éric de Cromières, le président, et deux de ses dirigeants, auprès desquels, tout à l’heure, je me rendrai. Mais c’est un bonheur de pressentir, sous ce physique de beau gosse prédisposé à plaire, la force d’un tempérament, la personnalité bien affirmée d’un homme qui n’est pas né dans le rugby, mais entend faire de cette passion apprise à l’adolescence, au lycée Georges-Braque de Paris, où un éducateur, Serge Collinet, sut lui montrer les beautés cachées, une sorte de passage existentiel. Instants privilégiés qui me font regretter cette nouvelle disposition communicationnelle du rugby d’aujourd’hui qui entend enfermer les joueurs dans des conférences de presse ineptes, où tout est dit, sauf l’essentiel. Wesley a accepté d’en sortir. Je ne saurais trop l’en remercier.
C’est la reprise, alors ?
Oui. J’espère retrouver les terrains ce week-end, à Toulouse. Je suis bien physiquement, mentalement. Je sors d’une blessure des plus traumatisantes et d’une rééducation qui me fit passer de 0,5 kilomètre par heure à plus de 30…
Parle-moi de tes débuts. Le rugby est une passion tardive…
À 14 ans, je ne connaissais rien de ce jeu. Tous les sports me plaisaient, mais le rugby m’était étranger. Je l’ai découvert au collège. Mais ce sport m’a plu tout de suite. Il plaisait moins à mon père, en revanche, qui était un fou de foot et très peu à ma mère qui avait peur que je me fasse mal…
Ils doivent néanmoins être très fiers, aujourd’hui ?
Je le crois. Au début, mon père se cachait pour me voir… Mais oui, je pense que oui.
Qu’est-ce qui t’a plu d’emblée ?
La prise des espaces, la possibilité d’exprimer mes qualités naturelles. J’adore courir. Et puis les copains, les voir, les retrouver, partager avec eux.
J’imagine donc que tu ne sais rien de la confrérie des centres français qui va de Maurice Prat à Jauzion ?
Pas grand-chose en effet. J’ai rencontré Denis Charvet, un jour et j’ai apprécié de discuter avec lui. J’ai vu des vidéos de Philippe Sella. J’ai rencontré Yannick Jauzion aussi, que j’ai bien aimé. J’ai connu Tony Marsh sans avoir pu jouer avec lui. Mais c’est à peu près tout.
Et tu ne sais donc rien, je suppose, de leur philosophie du jeu, du culte du jeu de ligne qui fut, longtemps, l’apanage du jeu à la française ?
J’ai vu des vidéos. J’en ai beaucoup parlé avec Franck (Azema, N.D.L.R.), avec Rémi (Lamerat). Mais il y a une telle différence, en défense notamment, dans les rucks, dans l’intensité du combat avec ce qui se pratiquait avant, que plus rien n’est comparable.
Un trois contre deux, reste un trois contre deux…
C’est vrai et ils jouaient mieux les décalages avant, j’en suis persuadé. On est moins relâché aujourd’hui. L’appréhension du contact induit d’autres réflexes. On ne peut plus satisfaire au « assieds-toi et donnes », c’est impossible.
Et fondamentalement cela change quoi ?
Qu’on ne verra plus de carrière allant jusqu’à 15 ans de pratique. Quarante matchs par saison, le corps ne peut pas, ne peut plus. Les blessures le prouvent. On est au bout d’un système.
La compensation, dans ces conditions, serait seulement financière ?
Non, on ne peut pas dire ça. On joue d’abord par passion, même si l’aspect économique n’est évidemment pas négligeable. 98 % de la population signerait pour pouvoir être à notre place. Mais est-ce que ça vaut vraiment le coup, je ne sais pas.
À ce point ?
Je suis inquiet à cause des blessures, des commotions. Je ne sais pas où l’on va. Je ne m’étais jamais autant rendu compte que depuis que je ne joue plus, à quel point ça tape fort. Sur le long terme, ça fait peur. Notre corps subit et pas seulement les chocs ; les tendons, les ligaments aussi sont touchés. On a l’impression qu’à chaque match il peut y avoir un blessé.
Constat alarmant. Mais comment passer outre ?
Peut-on faire marche arrière ? Je ne crois pas. Faut-il changer les règles ? Mais comment ? J’ai l’impression que l’on attend qu’il se passe quelque chose de vraiment grave pour réagir. D’autant que l’on ne perçoit pas tout. Il m’est arrivé de jouer à côté d’un gars qui était K.-O. sans que personne ne s’en rende compte. C’est terrible. Mais quelles sont les solutions ?
Cela peut-il inciter au dopage ?
Ah non ! Je n’ai jamais vu quelqu’un se doper de ma vie. Quand j’ai entendu Bénézech proférer des certitudes à ce sujet, cela m’a fait bondir. Je préférerais être le joueur le plus nul au monde plutôt que d’avoir à toucher à des produits interdits. Alors quand Bénezech a dit que je devais me doper au prétexte qu’il aurait vu ma mâchoire se développer- il disait de même de Titi Dusautoir - j’étais fou de colère. C’est très grave ! C’est d’autant plus scandaleux que les gens finissent par le croire et qu’il nous est impossible de répondre.
C’est plus dur à avaler que la critique émise sur le fait que tu ne faisais pas de passes ?
Ça n’a rien à voir, même si cette critique-là m’a également blessé. C’est incroyable ce besoin qu’ont les gens de mettre les joueurs dans un moule. Je me souviens avoir percé contre l’Angleterre sans parvenir à trouver un soutien sur l’extérieur. De ce jour, on a décrété que j’étais un coffre à ballons. J’ai vécu ça comme une injustice. Quelques temps après, j’ai lu que j’étais passé d’un extrême dans l’autre, que je faisais trop de passes et ne perçais plus.
De sorte que la coupure t’a fait du bien ?
Oh oui ! J’ai voulu couper. Couper vraiment. M’occuper de ma femme et de ma petite fille, voir des amis qui n’ont rien à voir avec ce jeu. J’aime ce milieu, qu’on ne s’y trompe pas. On y est très protégé, assisté. On est des enfants auxquels ont fait tout. Mais, parfois, cela fait du bien d’en sortir.
À propos des jugements, de la pesanteur, quel regard portes-tu sur lapresse sportive ?
Les notes dans les journaux sont blessantes. Certains journalistes me font dégueuler, tellement on sent en eux une forme d’aigreur. On devine à travers leurs paroles ou leurs écrits qu’ils n’aiment pas ce jeu et encore moins les hommes qui le pratiquent. Mais il y a des types bien, heureusement (sourire).
Ne crois-tu pas que tout le mal vienne du fait que vous ne puissiez plus rencontrer les journalistes comme cela se faisait avant. J’ai connu cette période où les journalistes devenaient les complices des joueurs parce qu’ils se côtoyaient, se comprenaient et finissaient par s’apprécier. Comment espérer connaître quelqu’un au travers d’une conférence de presse ?
Je suis assez d’accord avec ça. Je regrette de ne pouvoir échanger plus avec certains journalistes. C’est vrai.
La presse est quand même moins dure que les réseaux sociaux, non ?
Là, c’est l’horreur. On a l’impression que les gens se vengent de je ne sais quoi. Il y a un fond de jalousie, de méchancetés incroyables. Et le plus souvent sous couvert d’anonymat.
Ces gens-là sont plus à plaindre qu’à blâmer, non ?
Probablement. C’est le reflet d’une certaine misère sociale. Même si, parfois, c’est rude à encaisser.
Comment vois-tu ta vie après ta carrière ?
J’ai une petite fille. Nous attendons un petit garçon. Je crois que c’est ma famille qui décidera de notre avenir. À titre personnel, je suis très bien à Clermont, mais j’aimerais bien voyager aussi. L’Australie me plaît. L’Angleterre également. Ne le répétez pas mais j’aime beaucoup les Anglais (rires). Je les trouve chaleureux, plein d’humour.
Quelle est ta devise ?
Je suis un apprenti de la vie. Quand je serai grand, je saurai… Je veux surtout vivre le moment présent à fond.
Quels sont tes goûts en dehors du rugby ?
J’aime tous les sports. Les voir comme les pratiquer. J’aime les Arts martiaux. J’aime lire, aller au cinéma, j’aime les jeux vidéo. Tout ce qui contribue à m’instruire.
Quel type de cinéma ?
J’aime tous les genres de films. Les grands classiques, mais aussi des films comme « Le guerrier pacifique » avec Nick Nolte, tiré d’une histoire vraie, d’un roman de Dan Millman que je viens d’ailleurs d’acheter et que je recommande à tous. J’ai par ailleurs une prédilection pour Will Smith, comme acteur. J’adore ce qu’il fait dans le comique, le dramatique. Je le trouve incroyablement charismatique.
Et les lectures ?
Je ne suis pas très roman, même si je viens d’en acheter un… J’aime bien tout ce qui touche au développement personnel, en revanche. Le Taoïsme.
Le Taoïsme, vraiment ?
Oui. J’ai rencontré quelqu’un - dont je ne dirai rien, n’insiste pas - qui m’a initié au Tao, à la méditation. Je trouve ça formidable. C’est comme un rendez-vous quotidien avec soi-même. Et ça, à la différence du sport, cela peut t’accompagner toute une vie…
Tu arrives à méditer tous les jours ?
Je ne me fixe pas de limite. On peut méditer quatre heures comme dix minutes. Mais c’est comme le sport, il faut le faire tous les jours pour en percevoir les bienfaits. C’est une façon de se retrouver avec soi-même, de se ressourcer. Et là, tu ne peux pas te mentir.
C’est formidable !
Je crois que nous sommes très en retard là-dessus. Mais les gens vont y venir, j’en suis sûr. Les pouvoirs de la méditation sont exceptionnels pour lutter contre le stress, pour modifier favorablement les connexions du cerveau, pour mieux se connaître. Mais je peux aussi passer des heures sur mon ordinateur comme tout le monde…
Tu recherches quoi sur l’ordinateur ?
Tout et rien. L’ergonomie d’un bureau, le meilleur artisan sur Clermont. Jouer aussi. Comme tout le monde, quoi !
Un dernier mot sur Clermont à la veille de ta reprise et du défi européen.
On a pris du retard. On s’est rendu compte qu’il nous manquait 10 minutes de temps de jeu effectif et cinquante impacts par match au regard de ce qui se pratique au niveau européen. De sorte que l’on met aujourd’hui les bouchées doubles, avec des entraînements plus longs, plus intenses. Aujourd’hui (mercredi dernier) qui est la journée la plus dure sur le plan de l’intensité, on a quatre heures d’entraînement au menu.
En travail d’opposition ?
Oui, c’est un passage obligé pour arriver à nos fins.
Vous travaillez toujours en opposition ?
Toute l’année. Il arrive que cela se limite à dix minutes seulement. Quand tout baigne, que les réflexes sont là, on minore l’opposition. Mais cela reste le plus sûr moyen de progresser.