L'entretien s'est effectué en deux temps. La première rencontre a eu lieu il y a quelques mois sur la terrasse ensoleillée du bar The Oval, à Clermont, juste à côté du stade Marcel-Michelin. Sébastien Vahaamahina, 27 ans, s'y était pointé en scooter rouge, détendu. La seconde s'est déroulée plus récemment, au coeur de l'été, à Oliva (Espagne), dans une salle de l'hôtel où les Bleus suivaient un stage de préparation pour la Coupe du monde. À chaque fois, le deuxième-ligne français a joué le jeu de ces entretiens sur un mode un peu plus intimiste qu'à l'accoutumée, son large sourire accompagnant le plus souvent les questions un poil décalées qui lui étaient soumises. « Vaha » l'introverti s'ouvre de plus en plus, et ça s'entend.
« Quelle est la personne la plus importante dans votre carrière ?
Loïc Van der Linden (ex-joueur de Brive). Il m'a repéré et m'a fait venir en métropole. Pourquoi moi et pas un autre ? Je n'ai plus de contacts avec lui, mais je me souviens que pour une demi-finale de Coupe d'Europe contre le Leinster à Lyon (victoire 27-22 en avril 2017), ma soeur et Cathie, ma femme, m'ont dit : "Tu sais que Loïc Van der Linden est là ?" Ça m'a fait une boule au ventre de savoir que j'allais le revoir après le match.
2,03 m ; 122 kg
Deuxième-ligne
Club : Clermont
45 sélections
10 novembre 2012 : il fête sa première sélection avec les Bleus lors d'une victoire face à l'Australie (33-6).
Palmarès : champion de France avec Clermont en 2017 ; vainqueur du Challenge Européen en 2019.
La phrase ou les mots que vous dites le plus souvent à vos partenaires sur le terrain ?
"Allez, on passe à autre chose." Que ce soit après une bonne ou une mauvaise action. Il faut qu'on soit toujours dans l'anticipation, ce qui ne veut pas dire qu'on doit oublier ce qui vient de se passer. Sinon, j'ai des mots clés, comme "vitesse", "courir" ou "puissance" que j'écris sur un strap au poignet. Je les regarde pendant le match, ça me fait un petit rappel.
La date qui a le plus compté dans votre carrière ?
Je réfléchis... Ce qui me vient en tête, c'est un match en Irlande où je suis remplaçant, en 2013, et où on fait 13-13 (le 9 mars), avec un essai de Louis Picamoles. Ça m'a marqué parce que l'équipe de France venait de perdre trois matches d'affilée. On parlait de cuillère de bois, et je venais juste d'arriver (2esélection), j'étais le petit jeune.
Le joueur qui vous impressionne le plus ?
Lionel Nallet. Je n'ai jamais joué contre lui ni avec. J'aurais aimé. J'ai toujours adoré l'énergie qu'il dégageait. On le voit plutôt comme un gros costaud, mais l'essai qu'il marque contre le pays de Galles en renversant tout le monde en 2011 (28-9, le 19 mars)... Quand j'étais jeune, je ne jurais aussi que par les All Blacks et j'admirais Joe Rokoçoko. Me dire que j'ai joué face à lui, c'est dingue. J'aimais sa vitesse et ses appuis. Surtout sa fameuse toupie, quand il faisait un tour sur lui-même au contact d'un adversaire pour lui échapper.
«On m'insultait et j'ai pété les plombs, j'ai répondu. J'ai des grandes mains, des grands doigts, on le voit bien sur mon geste»
C'est un geste que vous arrivez à faire ?
Non (rires) ! Mais c'est un geste de lui que j'ai revu sur Youtube il n'y a pas longtemps.
Le maillot que vous gardez le plus précieusement ?
Celui des All Blacks. Le seul que j'ai échangé et que je garderai à vie. C'est celui du deuxième-ligne Luke Romano, je l'avais échangé à Christchurch en 2013 avec l'équipe de France (défaite 30-0, le 15 juin). Ça devait être ma 4e sélection (la 5een réalité). Peu importe le mec en face, je voulais juste un maillot des Blacks. Je l'ai encadré, et il est dans une pièce dédiée à mes maillots et mes guitares. J'en ai d'autres, notamment tous ceux de l'équipe de France et un de l'ASM par saison. Mais celui des Blacks, je sais que je ne le donnerai à personne.
Un objet qui vous suit toujours dans votre sac ?
Mon bip pour ouvrir le portail chez moi ! Ça m'est déjà arrivé de l'oublier, et j'ai dû appeler ma femme ou ma belle-mère. J'ai aussi mes clés de maison que j'ai tendance à perdre...
Le geste que vous travaillez le plus à l'entraînement ?
Les passes... Ça se voit, non (rires) ? J'essaie d'en faire le plus possible. Tant que je ne l'ai pas bien réussie, je recommence. Des simples passes, hein, pas des chistéras. Je suis droitier, mais j'essaie des deux côtés. J'ai juste un peu moins de puissance à gauche qu'à droite, c'est plus dur pour les sautées. Sinon, je bosse aussi le run and catch, mes courses avec le ballon avant l'impact. Je les travaille avec Philippe Gardent, le préparateur physique de l'ASM, car je n'exploite pas assez mes ballons d'attaque. Souvent, j'ai tendance à m'encastrer sur les mecs et, du coup, je n'arrive pas à tenir sur les jambes.
Le joueur que vous aimeriez être ?
Fritz Lee, mon partenaire n° 8 de Clermont. Parce qu'il sait pratiquement tout faire. Il a la passe des deux côtés et une lecture de jeu impressionnante. C'est un très grand, j'aimerais lui ressembler. Ballon en main, il sait rentrer dedans ou esquiver. Il avance toujours. Je lui dis que j'aimerais être comme lui, il le sait. Je lui demande des conseils sur ses angles de course, ses prises d'intervalles, etc. Il a cette faculté à trouver de l'espace plus vite que les autres.
«Ça ne me dérange pas de pousser (en mêlée), mais je n'y prends pas beaucoup de plaisir»
À qui demandez-vous conseil lorsque
vous rencontrez des problèmes sportifs ?
À ma femme, Cathie. Je lui parle plus facilement qu'à quelqu'un d'autre. Ensuite, je vais vers les entraîneurs pour leur demander leur avis et exposer mes problèmes plus largement.
Quel est votre rêve absolu dans le rugby ?
Comme tous les joueurs, gagner la Coupe du monde. On en rêve tous. Je dis ça parce que j'ai déjà été champion de France avec l'ASM (2017). Avant, c'était le Brennus. Gamin, c'est difficile de dire que tu rêves d'être champion du monde sans savoir la carrière que tu vas faire. C'est au fil des années et des matches que ce rêve prend forme. Après, champion d'Europe, c'est plus dans nos cordes avec Clermont qu'être champion du monde avec les Bleus. Aujourd'hui, on a les moyens de passer la première phase et de disputer au moins un quart de finale.
À quoi pensez-vous durant "la Marseillaise" ?
À vite jouer. C'est l'hymne de la France, mais il me tarde surtout de jouer. Dans ma tête, il faut vite qu'on commence. J'arrive à repérer où se trouve ma femme dans les tribunes. Après, très souvent, je pense à mon père, qui n'est plus là. Je suis souriant car je sais que ça lui ferait plaisir de me voir chanter la Marseillaise. Il ne m'a jamais vu l'entonner avant de mourir. Parfois, ça me motive, parfois, ça m'émeut un peu trop, c'est à double tranchant. C'est pour ça qu'il me tarde de débuter.
Quel est le premier rendez-vous que vous vous fixez sur le terrain ?
Le coup d'envoi, justement. Parce que, maintenant, plus personne n'est impressionné par le regard d'un adversaire dans le couloir des vestiaires. Tu penses plutôt à quelle montée tu vas faire quand on doit taper, ou à quelle réception et sortie de camp tu vas faire si c'est l'adversaire qui tape le coup d'envoi. Si tu réussis ça, tu pars déjà sur de bonnes bases, ça te donne plus de confiance.
Quel est le geste réalisé sur le terrain dont vous êtes le plus fier ?
L'essai qu'on marque à Newcastle en finale du Challenge européen avec Clermont contre La Rochelle (36-16, en mai dernier) sur un ballon porté. J'ai cette image où on était tous là collectivement, où certains mecs de notre équipe tombaient et revenaient aussitôt dans le maul, parce qu'on voulait aller derrière la ligne. Ce n'est pas moi qui marque, c'est Fritz Lee, mais je suis resté debout avec les deux lifteurs du début à la fin de l'action. Sinon, j'aime aussi gratter des ballons. Quand on est proches de notre ligne et que j'arrive à en piquer un pour éviter un essai, c'est le kif total.
Le geste dont vous avez le plus honte ?
Ah ! Tapez sur Internet, vous trouverez direct. Vous mettez Sébastien Vahaamahina, et la première chose qui sort, c'est ça : carton rouge. J'ai honte. De l'expulsion et du doigt d'honneur adressé au public d'Agen à ma sortie du terrain (28 avril 2018). On m'insultait, et j'ai pété les plombs, j'ai répondu. J'ai des grandes mains, des grands doigts, on le voit bien sur mon geste. De la part d'un joueur pro, international, ça ne se fait pas. Quand je suis rentré dans le vestiaire, j'étais tout seul et j'ai réalisé : "Mais qu'est-ce que je viens de faire ?" J'avais tout bousillé : la fin de saison, la tournée avec l'équipe de France, tout. Ce n'est même pas un comportement d'homme, ça. Montrer une image comme ça, c'est très moche. Je me suis excusé le soir même sur Twitter.
Quel souvenir gardez-vous de votre premier entraînement de rugby ?
C'était en Nouvelle-Calédonie, j'avais 14 ans. Il y avait beaucoup de Wallisiens et quelques Kanaks. La seule chose dont je me souviens, c'est que j'avais réussi à plaquer le plus costaud de tous. J'étais le plus maigre de mon équipe, au Petit Train de Païta, le club du petit village où j'habitais. Je suis pourtant arrivé à attraper le mec et à le mettre au sol. Ça m'a beaucoup plu. C'était sur un terrain de foot sans poteaux. L'entraînement était tard, vers 17 heures. Il fallait attendre que certains élèves finissent leurs heures de colle pour commencer. On mangeait un peu avant. Du pain avec du pâté.
Quelle action préférez-vous dans le rugby ?
La passe claquette. Quand elle est très vite réalisée devant les adversaires, c'est magnifique. Je ne m'entraîne pas spécialement à ça, d'ailleurs je ne sais pas si je suis capable d'en faire, mais j'aime ça. À l'ASM, notre arrière Isaia Toeava en est le grand spécialiste. À l'entraînement avec les Bleus, cet été, Thomas Ramos en a fait aussi une belle que j'ai vraiment aimée.
«Pendant l'hymne, je pense à mon père qui n'est plus là. Je suis souriant car je sais que ça lui ferait plaisir de me voir chanter 'la Marseillaise'. Parfois ça me motive, parfois ça m'émeut un peu trop»
L'action que vous aimez le moins ?
(Il se marre.) Ça fait partie de mon boulot, mais ce sont les mêlées. Ça ne me dérange pas de pousser, mais je n'y prends pas beaucoup de plaisir. À la limite, je souhaiterais que le ballon sorte le plus vite possible pour me relever et jouer. Je sais que des mecs aiment les batailles en mêlée, mais le jeu, c'est plus cool. Pour autant, je n'ai pas besoin qu'on me tape sur la tête pour m'encourager à pousser. Celui qui me tape, je lui mets une claque (rires) ! En équipe de France, quand je pousse à droite avec Rabah (Slimani), c'est un peu le confort derrière (sourire). On a nos petits automatismes.
Quel est l'exercice que vous détestez le plus à l'entraînement ?
Le Bronco test : 20 mètres aller-retour, 40 mètres aller-retour, 60 mètres aller-retour, et ça cinq fois d'affilée ! Ça t'engorge les jambes. Tu es mort... Et derrière, tu enchaînes avec l'entraînement rugby. Heureusement, ce n'est que l'été, pendant la préparation physique.
La personne à qui vous envoyez votre dernier texto avant un match ?
À ma femme. Je l'ai rencontrée au Stade de France, après un match avec les moins de 20 ans. On s'est croisés dans les tribunes... On peut appeler ça un coup de foudre. Elle m'a fait devenir un homme. Grâce à elle, je suis devenu beaucoup plus réfléchi. Elle sent et vit le rugby à travers mes matches. Alors, ça m'arrive de lui envoyer un texto depuis les vestiaires, une heure et demie avant le match. Après, je coupe. En fait, c'est plutôt elle qui m'envoie le texto et je lui réponds. Si elle oublie, c'est moi qui le lui réclame. Avant de partir, elle me demande souvent : "À quelle heure je t'envoie le message ?" Et elle m'envoie un message comme ça (il écarte les bras), immense (il rit) !
Avec quel joueur aimeriez-vous échanger votre maillot aujourd'hui ?
Avec le deuxième-ligne gallois Alun Wyn Jones. Je voulais faire le troc durant le Tournoi des Six Nations, mais leur talonneur a voulu l'échanger avec moi, et je n'ai pas pu refuser. C'est un joueur qui a énormément de charisme sur le terrain. Tu sens que tous ses partenaires l'écoutent. Techniquement, ce n'est pas le meilleur, mais il fait son job à la perfection. Sinon, j'aurais adoré avoir celui de Jonah Lomu. Si on me l'offrait, là, maintenant, je le prendrais. Mais il y a beaucoup de personnes qui le méritent plus que moi.
Qu'aimeriez-vous que les gens disent de vous à la fin de votre carrière ?
Bravo ! Félicitations pour ta carrière. Ça voudrait dire que j'en ai fait une.
La chanson qui vous apaise après une défaite ?
Bob Marley en priorité, et One Love en particulier. Dans ma voiture, je mets de la musique au taquet, du zouk ou du reggae, et ça me réveille. »
