CLERMONT MEILLEUR AUVERGNAT DU DÉBUT DE SAISON, LE DEUXIÈME LIGNE INTERNATIONAL SE LIVRE RAREMENT. QUAND IL LE FAIT, IL RÉVÈLE UNE PERSONNALITÉ ATTACHANTE, RICHE DE SA DISCRÉTION ET DE SON HONNÊTETÉ. LA MÉTAMORPHOSE DE « VAHAA »
On oublie trop souvent qu’il vient juste d’avoir 24 ans. Peut- être parce qu’il dispute déjà sa cinquième saison de Top 14. Peut-être aussi parce qu’il n’aime pas cette idée. « Non je n’aime pas ça. Je ne veux pas qu’on me trouve des excuses. Si je fais un mauvais match, ce n’est pas parce que je suis jeune. C’est parce que j’ai été mauvais. Point. » Peut-être, enfin, parce que Sébastien Vahaamahina n’aime pas se mettre en avant. La dernière fois qu’il nous avait accordé un entretien, Vahaamahina venait juste d’arriver à Clermont. Une heure de réponses franches, directes, loin du cliché de « mauvais mec » qui le précédait en Auvergne. Le deuxième ligne était apparu timide mais attachant, jamais arrogant. Un peu hésitant, aussi, comme engoncé dans ce costume de rugbyman professionnel que d’autres avaient taillé pour lui, eu égard à ce physique définitivement hors norme. Cette semaine, c’est un Sébastien Vahaamahina épanoui qui s’est confié. Bavard ? Pas encore. « Mais c’est vrai que je parle plus qu’avant. Parfois, cela surprend mes coéquipiers. Ils me chambrent : « Oh grand ! Qu’est-ce qu’il t’arrive, tu parles maintenant ? » Au début, ça m’a fait bizarre. En fait, ils ont raison. » Depuis quatre mois, c’est un joueur expressif qui se produit sur la pelouse de Marcel-Michelin. Clairement, « Vahaa » est bien dans ses crampons et cela se retrouve sur le terrain, où il éblouit et s’assume. Une évolution, pas encore une révolution. Il la raconte, par étapes. ● UNE LANGUE QUI SE DÉLIE Il faut bien saisir le parcours de Vahaamahina, ses origines et son cheminement pour comprendre cette évolution exponentielle du langage. De Nouméa à Brive, un peu par hasard, au croisement de son chemin avec des recruteurs corréziens en pâmoison devant ce physique de bête. « Quand je suis arrivé en métropole, je ne parlais pas très bien, je ne connaissais que quelques mots en français. Aujourd’hui je suis plus à l’aise, je cherche moins mes mots. Les choses viennent plus naturellement. Après, c’est vrai qu’il y a aussi mon caractère. Je n’ai jamais été très bavard. Parfois, les gens ne m’ont pas compris. Certains l’ont pris pour de l’arrogance. Aujourd’hui, ça va bien dans ma vie. Alors, je suis un peu plus ouvert. » Et désormais, « Vahaa » s’exprime. Même en public. Même en cours de match, devant ses coéquipiers. À sa manière. « Parfois, sous les poteaux quand on vient de prendre un essai, je vois que tout le monde parle et cherche des explications. Moi je suis dans mon coin et je ne dis rien. Et d’un coup, ça explose. Certains ont besoin d’entendre des choses directes mais d’autres ont plus de mal à accepter la critique. Moi, je ne sais pas faire autrement. Je suis trop « cash ». Si un truc m’énerve, je le balance très simplement mais directement, sans préparer le terrain. C’est déjà un progrès pour moi et je ne sais pas faire autrement.» ● UNE DÉCOUVERTE AMOUREUSE DU RUGBY Venu au rugby par hasard, Sébastien Vahaamahina n’a pas le parcours d’un Morgan Parra, obsédé depuis tout jeune par la chose ovale. « Je n’avais pas de poster dans ma chambre, je ne connaissais pas les grands joueurs. Je n’ai jamais baigné là-dedans », nous confiait-il il y a quinze mois. De son opportunité briviste en 2010, à 18 ans, jusqu’à son éclat d’aujourd’hui, il a appris à connaître son sport. Et à l’aimer. « Deux semaines sans rugby, désormais, c’est trop long. Cela me manque. C’est devenu ma passion, presque une drogue. Ça n’a pas toujours été le cas. [...] Le rugby, à mes débuts, ce n’était qu’un jeu. J’ai gardé cette philosophie, j’ai besoin de m’amuser. Est-ce que c’est un métier ? J’hésite. J’ai un employeur, je suis salarié. En ce sens, oui, c’est mon métier. Mais si on réfléchit comme ça, on prend son fric et on se fout du reste. J’ai besoin de m’amuser et de gagner pour aimer le rugby. C’est aussi une bonne manière de me vider la tête. Quand j’ai fini ma journée, je suis lé- ger et je peux profiter de tout ce qu’il y a autour de mon métier. » Le joueur insiste sur ce dernier point, toujours avec du recul. « Le rugby est devenu quelque chose d’important dans ma vie. Mais il y a toujours un « mais »... Je sais qu’un jour, cela va s’arrêter. Les choses à côté du rugby dureront plus longtemps, j’ai besoin d’en prendre soin. Alors, je cloisonne. Quand j’ai fini l’entraînement et que je rentre chez moi, je ne pense plus au rugby. Je profite de ma femme, de mes amis, de ma maison. De toutes ces choses qui seront encore là quand j’aurai fini ma carrière et que le rugby ne sera plus là. » ● UNE ÉVICTION POUR LA COUPE DU MONDE DURE À DIGÉRER L’été de Sébastien Vahaamahina, loin des préoccupations clermontoises, a été rythmé par la préparation à la Coupe du monde. Les interminables séances de Watt bike, l’espoir d’un Mondial glorieux et la proximité avec ce qui se fait de mieux dans le rugby français. Mais aussi une phrase, isolée et qui a surpris son monde « Non, je ne serai pas déçu [si je ne fais pas la Coupe du monde]. Si j’y suis ça fera une Coupe du monde, si je n’y suis pas tant pis, je jouerai au rugby dans mon club » déclarait-il le 7 août. Des propos dont il regrette aujourd’hui l’écho. « (il soupire) Ça a fait un bon titre d’interview… Derrière, pourtant, j’expliquais ce que je pensais. Que je serais déçu de rater la Coupe du monde mais que je n’oubliais pas qu’il resterait mon club, ma famille… Les gens n’ont retenu que cette phrase. » La douleur, pourtant, était bien présente au moment de quitter Marcoussis. « Bien sûr que cela a été dur. Contrairement à ce que beaucoup ont pensé. [...] Pendant la cérémonie d’ouverture, j’avais envie de pleurer devant ma télé. Je me suis retenu. » Une douleur que n’a pas atténuée la manière dont s’est passée son éviction. « Philippe Saint-André m’a convoqué dans son bureau pour me l’annoncer. Je m’en doutais un peu, je l’avais vu venir. Ce qui m’a dé- rangé, c’est qu’il ne m’a donné aucune explication. Il m’a juste dit que j’avais fait une bonne préparation physique, qu’ils étaient contents de moi, que je m’étais bien envoyé mais qu’ils avaient décidé de ne pas me prendre. C’est tout. » Vahaamahina a alors fait du « Vahaa ». En silence. « Il ne m’a rien dit. Du coup, je me suis levé et je suis sorti. Je n’ai rien dit. J’ai fait mon sac et je suis parti. J’ai dit au revoir aux autres par messages. C’est dur à vivre, les gens n’imaginent pas votre déception à ce moment. Mais j’ai aussi pris conscience de certaines choses ». Lesquelles ? « Par exemple, faire très attention à mon hygiène de vie, à ce que je mange. J’ai de la chance, j’ai ma femme qui m’aide dans cette démarche ! Mais j’ai appris à me priver. Ou j’évite certains plats pour me contenter de fruits et de laitages. Des légumes, des protéines, pas trop de féculents… Au début, c’était dur mais c’est en train de devenir une habitude. » ● UN « GRATTEUR » NAISSANT Parmi ses dispositions du début de saison, Vahaamahina impressionne dans un secteur : sa capacité à enrayer les attaques adverses, au sol, en contestant les ballons. Jusqu’à l’arracher ou, au pire, ré- cupérer une pénalité. Étonnant pour un joueur de 2,03 m, quand l’exercice est généralement réservé aux gabarits plus compacts. S’il assure ne détenir « aucun secret », le joueur confirme cette affection nouvelle, qu’il s’est générée seul. « Personne ne m’a fait travailler ça précisément. Je ne sais pas comment c’est venu. Aujourd’hui, j’aime bien ça. Dès que je vois l’opportunité, j’y vais. On joue au rugby, non ? Il faut y mettre la tête, oh ! On prend des coups mais ce n’est pas grave. Cela ne me fait pas peur. Je finis les matchs avec les mains défoncées, parce qu’on me marche dessus. Je prends des coups de tête mais je m’en fous. Je ne lâche pas. Quand j’ai réussi à mettre les mains sur le ballon, il n’y a plus que l’arbitre pour me convaincre de lâcher. Je vois les choses comme ça. » Personne ne s’en plaint. ● LE RÔLE DE FRANCK AZÉMA DANS CETTE MUTATION Ce « Vahaamahina nouveau » se révèle sous le maillot clermontois. Pas seulement une coïncidence de l’âge. Dans l’environnement auvergnat, le deuxième ligne a trouvé de quoi s’épanouir dans son style, sans surjouer, grâce à la philosophie de tolérance prônée par Franck Azéma. « Quand je suis arrivé à Clermont, il m’a énormément aidé. Pas forcément par ses mots, plutôt par l’homme qu’il est, sa présence et surtout sa tolérance à mon égard. Je m’explique : naturellement, je ne suis pas un stressé. À part quand il y a plusieurs journalistes qui m’interrogent ! (il rit) Je suis quelqu’un de cool, qui rigole souvent. C’est aussi ma manière de me préparer avant les matchs et Franck me laisse faire. Sourire avant un match, cela ne veut pas dire que vous n’êtes pas concentré. Les Néo-Zélandais, ils sont super souriants avant les matchs. Pourtant, ils jouent quand même pas trop mal, non ? Avant d’arriver à Clermont, j’étais obligé de m’isoler avant les matchs. De me mettre dans un coin et de rigoler, même tout seul. Les gens vont me prendre pour un fou ! (il rigole) Moi, j’ai besoin de me décontracter, pas de mettre des coups de tête dans les murs. C’est la culture française, je le respecte. Mais gé- néralement, je reste plutôt avec les sudistes avant les matchs. Ils sont plus tranquilles. En fait, je suis moi aussi de l’hémisphère sud et je réagis comme eux. La pression monte dans le couloir, dans les vingt dernières secondes avant d’entrer sur le terrain. D’un coup, je monte en pression. Et dès que je suis dehors, c’est parti !